Impact clinique et économique des réductions de financement du PEPFAR en Afrique du Sud: une analyse par modélisation

Une modélisation démontre que toute réduction du financement du PEPFAR aurait un impact majeur sur l’épidémie de VIH en Afrique du Sud. La suppression totale du programme entraînerait 570 000 nouvelles infections supplémentaires d’ici 2034.

L’Afrique du Sud est l’un des pays les plus touchés par l’épidémie de VIH avec 7,4 millions d’adultes vivant avec le VIH en 2023. Arriver à maintenir le financement de la prévention et des soins, notamment des traitements antiviraux, est un véritable défi pour la société sud-africaine.

Le pays dépense environ 2,56 milliards de dollars par an pour la lutte contre le VIH, dont 460 millions (soit 20 %) proviennent du President’s Emergency Plan for AIDS Relief (PEPFAR), un programme de financement américain lancé en 2003. Depuis sa création, le PEPFAR a investi 110 milliards de dollars dans le monde, dont 8 milliards en Afrique du Sud.

Cependant, l’avenir du financement du PEPFAR est incertain en raison de possibles restrictions budgétaires du Congrès américain et de la volonté du président Trump de refermer l’Amérique sur ses propres besoins. Le récent raid contre l’USaid a déjà des conséquences majeures sur de multiples programmes d’aide financés par les États-Unis, et on ne sait pas, en février 2025, si le PEPFAR va également être touché. Une réduction, voire une suppression du programme, pourrait avoir des conséquences dramatiques sur la lutte contre le VIH en Afrique du Sud.

Modéliser les conséquences de la baisse des financements du PEPFAR

Pour anticiper cette éventualité, dès 2024, une étude1IDWeek 2024 – Ghandi A et al., abstr. 379, actualisé du Massachussetts General Hospital (Boston) a été présentée à l’IDWeek2IDWeek est la réunion annuelle conjointe de l’Infectious Diseases Society of America, de la Society for Healthcare Epidemiology of America, de la HIV Medicine Association, de la Pediatric Infectious Diseases Society et de la Society of Infectious Diseases Pharmacists. (Los Angeles) par Linda-Gail Bekker, de la fondation Desmond Tutu, le 18 octobre 2024, quelques semaines avant l’élection du président Trump. Elle visait à évaluer l’impact sur l’espérance de vie, l’incidence et l’impact économique d’une réduction progressive, voire une disparition pure et simple, du financement du PEPFAR sur l’épidémie de VIH en Afrique du Sud. Trois scénarios sont modélisés :

  1. Maintien du financement PEPFAR à 100 % (situation actuelle, qui permet de servir de comparateur)
  2. Réduction du financement à 50%
  3. Suppression complète du financement.

L’analyse prend en compte plusieurs indicateurs sur une période de 10 ans (2024-2034) :

  • Nombre de nouvelles infections au VIH
  • Nombre de décès liés au VIH
  • Espérance de vie des personnes vivant avec le VIH
  • Coût global des soins et traitements
  • Impact d’une possible restauration du financement en 2029

Méthodologie de l’étude

L’étude repose sur le modèle épidémiologique CEPAC, qui simule l’évolution de l’épidémie en fonction des investissements dans la prévention, le dépistage et le traitement. L’analyse inclut une population de 7,4 millions de personnes vivant avec le VIH, parmi lesquelles :

  • 5,6 millions sous traitement antirétroviral (ART)
  • 1,8 millions non traitées
  • 400 000 personnes non diagnostiquées

Le financement du PEPFAR est actuellement réparti comme suit :

  • 48 % pour les traitements (soins cliniques, laboratoires)
  • 24 % pour la prévention (PrEP, circoncision, préservatifs)
  • 1 % pour les tests de dépistage
  • 27 % pour la gestion des programmes et l’appui logistique

L’étude prend en compte l’hypothèse que les coupes budgétaires impacteraient directement les services financés par le PEPFAR, et que les alternatives de financement sont limitées.

Résultats de l’étude

1 – L’impact sur les nouvelles infections et les décès liés au VIH

Les projections montrent une forte augmentation des infections (près de 50% sur 10 ans en cas de suppression complète) et des décès liés au VIH en cas de réduction du financement :

Nouvelles infections sur 10 ans :

  • PEPFAR 100 % : 1,19 million
  • PEPFAR 50 % : 1,48 million (+24 %)
  • PEPFAR 0 % : 1,76 million (+47 %)

Décès liés au VIH sur 10 ans :

  • PEPFAR 100 % : 1,59 million
  • PEPFAR 50 % : 1,90 million (+20 %)
  • PEPFAR 0 % : 2,19 millions (+38 %)
Modélisation de l’impact d’une baisse ou d’un arrêt du financement du PEPFAR,
en terme de nouvelles infections, de décès et d’espérance de vie
.
(Source : La Lettre de l’infectiologue, d’après IDWeek 2024 – Ghandi A et al., abstr. 379, actualisé)

2 – L’impact sur l’espérance de vie et les coûts de santé

Une suppression du financement du PEPFAR réduirait significativement l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH alors que la diminution du coût moyen des soins reste assez modérée : les économies réalisées à court terme en supprimant le programme sont donc faibles en regard de l’impact majeur sur la morbi-mortalité.

Espérance de vie moyenne des personnes vivant avec le VIH:

  • PEPFAR 100 % : 22,7 ans
  • PEPFAR 50 % : 20,7 ans (-2 ans)
  • PEPFAR 0 % : 19,0 ans (-3,7 ans)

Coût moyen des soins par personne sur la durée de vie (en USD):

  • PEPFAR 100 % : 11 180 $
  • PEPFAR 50 % : 10 560 $ (-620 $)
  • PEPFAR 0 % : 10 040 $ (-1 140 $)

3 – Les effets d’un financement alternatif à partir de 2029

L’étude examine un scénario où un financement alternatif viendrait combler la perte du PEPFAR après cinq ans de déficit. Mais même avec une restauration budgétaire en 2029, les dommages resteraient irréversibles :

  • Les nouvelles infections resteraient nettement plus élevées qu’avec un financement continu
  • L’espérance de vie ne reviendrait pas au niveau initial
  • L’augmentation des décès serait déjà significative et difficilement rattrapable…
Modélisation de l’impact d’une baisse ou d’un arrêt du financement du PEPFAR,
en terme de nouvelles infections et d’espérance de vie s’il était rétabli en 2029.
(Source : La Lettre de l’infectiologue, d’après IDWeek 2024 – Ghandi A et al., abstr. 379, actualisé)

Des projections alarmantes

L’étude démontre que toute réduction du financement du PEPFAR aurait un impact majeur sur l’épidémie de VIH en Afrique du Sud. La suppression totale du programme entraînerait :

  • 570 000 nouvelles infections supplémentaires d’ici 2034
  • 600 000 décès additionnels liés au VIH
  • Une perte moyenne de 3,7 années de vie par personne vivant avec le VIH

Face à ces projections alarmantes, le maintien du financement du PEPFAR jusqu’en 2030 est crucial, pour éviter un recul des progrès accomplis en santé publique.