Lénacapavir en PrEP injectable deux fois par an: révolution ou évolution?

La recherche de nouvelles formulations de prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour prévenir l’infection par le VIH a franchi une étape de plus avec les résultats très encourageants des essais PURPOSE I et II avec le lénacapavir injectable deux fois par an. Ces avancées indiscutables soulèvent de nouveaux espoirs dans un contexte où la PrEP orale, malgré son efficacité prouvée, n’atteint pas les objectifs espérés, mais aussi de nombreuses questions, en particulier celle de son accessibilité.

Sans précédent. C’est ainsi que sont qualifiés les résultats des deux premières études PURPOSE, qui évaluent l’efficacité et la sécurité du lénacapavir en PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. injectable: 100% de protection contre la transmission du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. chez les femmes cisgenres, et 96% chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) et les femmes transgenres. En tant que premier essai de phase III de l’histoire de la prévention du VIH à ne montrer aucune infection, PURPOSE 1 (mené chez les femmes cisgenres en Afrique du Sud et en Ouganda : lien https://vih.org/vih-et-sante-sexuelle/20240704/la-prep-injectable-deux-fois-par-an-les-resultats-encourageants-de-letude-purpose-1/ ) a ravivé l’espoir de trouver un outil qui permettrait de mettre fin à la transmission du VIH. A l’heure actuelle, la promesse de réalisation de cet objectif, fixé à 2030 par l’OMS et l’ONUSIDA, ne cesse de s’éloigner.

On se souvient de la chairwoman de l’IAS 2024 de Munich, Sharon Lewin insistant sur les résultats inédits de Pupose I: «Zéro! Je répète: zéro infection!». Tout en rappelant le rôle des personnes concernées dans ces résultats: «L’essai clinique PURPOSE n’a été possible que grâce à l’engagement de milliers de femmes à travers l’Afrique à risque d’infection par le VIH qui y ont participé. Ce sont ces mêmes communautés qui doivent y avoir accès en premier.» 

L’impact sur la prévention

Ce nouveau type de PrEP peut-il avoir un impact significatif sur la prévention du VIH à l’échelle mondiale? Aujourd’hui, l’utilisation de la PrEP orale reste sous-optimale dans certaines populations clés, voire inexistante dans d’autres. En Afrique subsaharienne en particulier, les femmes, qui sont les plus touchées par l’épidémie, y ont un recours limité. Dans les pays du Nord, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes (HSH) mais qui ne s’identifient pas à la communauté gay, sont souvent moins enclins à recourir à la PrEP que leur pairs homo ou bisexuels. Enfin, l’accès des personnes transgenres à la PrEP est souvent compliqué par des problématiques de discrimination et de précarité spécifiques, entrainant des problèmes d’observance à la prise orale —peut-être autant d’arrêts précoces ou d’abandons— qui compromettent l’efficacité de la PrEP orale sur le long terme.

Le lénacapavir, commercialisé sous le nom de Sunlenca®, est un nouvel inhibiteur de capside ayant une longue demi-vie et une forte puissance antivirale.  Il a pour lui l’avantage d’ouvrir une nouvelle classe d’antirétroviraux. Avant son intérêt en PrEP injectable, il représentait déjà une avancée thérapeutique, car il n’a pas de résistance croisée connue avec les autres classes d’antirétroviraux. Le lénacapavir est utilisé en traitement de dernier recours chez des patients séropositifs, en association à d’autres antirétroviraux, Il est également évalué actuellement en combinaison de traitement avec des anticorps neutralisants à large spectre (bNAbs).

PURPOSE 1 et 2  

PURPOSE 1 concernait 5338 femmes cisgenres âgées de 16 à 25 ans, réparties sur 25 sites en Afrique du Sud et 3 en Ouganda. Les participantes avaient été réparties de manière aléatoire en 3 groupes, le premier recevant du lénacapavir en injection tous les six mois, et les deux autres une version de PrEP orale une fois par jour, Descovy® (emtricitabine 200 mg et ténofovir alafénamide 25 mg ; F/TAF) ou Truvada® (emtricitabine 200 mg et fumarate de ténofovir disoproxil 300 mg ; F/TDF). 

Les résultats, présentés lors de la conférence AIDS 2024 en juillet dernier, et publiés depuis dans le New England Journal of Medicine, ont rapporté une réduction du risque VIH de 100% par rapport à l’incidence attendue, avec zéro cas d’infection par le VIH parmi les 2 134 femmes du groupe lénacapavir (un taux d’incidence de 0,00/100 personnes-années). En revanche, 16 cas d’infection VIH ont été observés  parmi les 1068 femmes du groupe Truvada® (taux d’incidence de 1,69/100 personnes-années) et 39 cas de VIH parmi les 2136 femmes du groupe TAF/FTC, soit un taux d’incidence de 2,02/100 personnes-années. Taux en rapport avec une mauvaise observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) de la PreP orale, comme déjà rapportée dans cette population. 

Design de l'essai PURPOSE 2, HIVR4P 2024.
Design de PURPOSE 2, HIVR4P 2024.

L’efficacité du lénacapavir a ensuite été confirmée chez les hommes ayant des rapports avec des hommes et les femmes trans par les résultats de PURPOSE 2, présentés par Colleen Kelley de l’Université Emory à la 5e Conférence sur la Recherche pour la Prévention du VIH (HIVR4P 2024), à Lima au Pérou.

Composition de la cohorte dans PURPOSE 2, HIVR4P 2024.
Composition de la cohorte dans PURPOSE 2, HIVR4P 2024

PURPOSE 2 a été mené auprès d’ hommes cisgenres gay, bisexuels ou des femmes trans, des hommes trans et des personnes non binaires séronégatifs dans 7 pays en Argentine, au Brésil, au Mexique, au Pérou, en Afrique du Sud, en Thaïlande et aux États-Unis.

Distribution des participants dans PURPOSE 2, HIVR4P 2024.
Distribution des participants dans PURPOSE 2, HIVR4P 2024

Parmi les 2184 participants de l’étude ayant reçu du lénacapavir sous-cutané tous les six mois, seules deux infections par le VIH ont été constatées, soit une incidence de 0,10 pour 100 personnes-années; 99,9% des participants n’ont pas contracté le VIH dans le bras lénacapavir. Le lénacapavir a ainsi réduit l’incidence du VIH de 96% par rapport à l’incidence attendue dans une population semblable sans PrEP et de 89% par rapport au bras qui prenait la PrEP orale quotidienne, dans lequel 9 infections sur 1087 personnes ont été constatés.

Nombre d'infections dans chaque bras de PURPOSE 2, HIVR4P 2024
Nombre d’infections dans chaque bras de PURPOSE 2, HIVR4P 2024

Notons bien qu’à chaque fois, l’efficacité évaluée compare PrEP orale et PrEP injectable à une incidence attendue: Un bras placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) aurait été impossible à mettre en place dans des conditions éthiques, puisque l’efficacité de la PrEP orale est désormais bien établie. Toutefois au screening d’inclusion dans l’essai, le taux d’hommes infectés était très élevé, 378/4634 (11,9%, soit 378 dont 45 avec une infection récente) et 6 de plus ont été trouvés infectés par le VIH au jour du début du traitement. Il s’agit donc de l’impact de la PrEP dans des populations très exposées. 

Analyse de l'incidence dans PURPOSE 2, HIVR4P 2024
Analyse de l’incidence dans PURPOSE 2, HIVR4P 2024

Quel accès et quel coût pour le lénacapavir 

Comme l’a rappelé Beatriz Grinsztejn, présidente de l’International Aids Society (IAS), à HIV4RP 2024 lors de la présentation des résultats de PURPOSE 2, ces résultats «confirment que le lénacapavir en PrEP a le potentiel de transformer le paysage mondial de la prévention du VIH pour tout le monde, quel que soit leur genre». 

Pour que les populations-clés puissent bénéficier de cette efficacité, elles doivent pouvoir espérer avoir un accès équitable au lénacapavir, pour l’instant commercialisé en thérapeutique pour 40000 dollars par an. Pour Beatriz Grinsztejn, «toutes les parties prenantes doivent travailler ensemble dès maintenant, avant les approbations réglementaires, pour planifier un déploiement mondial rapide et équitable de cet important nouvel outil de prévention.» A ce sujet, l’IAS a récemment salué dans un communiqué les mesures prises par Gilead pour élargir l’accès au lénacapavir, en particulier dans les pays à faible revenu.