La PrEP orale, ça marche !

Au moment où de nouvelles propositions de PrEP injectable arrivent dans l’éventail des moyens préventifs, auréolées de la perspective de pallier l’inobservance et de gagner de nouvelles populations, l’étude de l’arrêt de la PrEP orale parmi les PrEPeurs de 3 grands centres français, des hôpitaux Tenon et Bichat à Paris et du Centre hospitalier de Tourcoing,  apporte un regard inédit en France sur la PrEP dans la vraie vie.

Dans cette étude, un large groupe de 2785 personnes ayant reçu une prescription de PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. et venues deux fois sur une période de 6 mois a été suivi entre janvier 2016 et décembre 2022, donc sur une longue période. 

Ces usagers de la PrEP sont répartis en tiers à peu près égaux entre les 3 centres. Ce sont pour 93,6% des hommes cisgenres, pour 4,5% des personnes trans et pour 1,8% des femmes cisgenres. Ils et elles sont jeunes, 35 ans en médiane à l’initiation. Ils diffèrent, selon les groupes, par le pays de naissance, l’exercice ou non d’un travail sexuel et le fait d’avoir un partenaire stable: 21,6% chez les femmes, 13,8% chez les hommes cis, 5,8% chez les personnes trans sont en partenariat stable. Une proportion beaucoup plus faible que celle observée dans ERAS en 2023, qui rapportait 40% pour les PrEPeurs HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  Notons toutefois que les participants à ERAS  sont un peu plus âgés, à 40 ans (IIQ: [32-48], de plus cet âge est mesuré en cours de PrEP et non à l’initiation)1Velter, BEH, 2023.

L’étude porte sur 6070 personnes années correspondant à 21401 visites et une durée médiane de suivi de 19,1 mois (IQR 7,6-39,7). Les personnes qui ne sont plus suivies ont été enquêtées par téléphone. L’arrêt est défini comme la non-prise de PrEP pendant une période de 3 mois. 

Des arrêts peu fréquents et précoces, quand ils arrivent

Résultats: parmi les sujets de l’étude, en décembre 2022, 653 ont arrêté la PrEP (23,5%), 1187 (42,6%) étaient toujours suivis dans le même centre, 555 (19,9%) étaient suivis ailleurs et 390 (10,2%) non venus depuis au moins 6 mois étaient classés comme perdus de vue après une recherche systématique. Parmi ceux qui ont arrêté, un sur 4 a repris dans le même centre.

L’incidence de l’arrêt de PrEP s’établit à 10,76 (9,93-11,59) pour 100 personnes années, plus élevée pour les PrEPeurs en continu que pour les PrEPeurs à la demande et plus élevée encore que chez les personnes qui passent d’un mode à l’autre. L’année 2020 connaît une discontinuité plus marquée par rapport aux autres années. L’arrêt survient au bout d’une durée médiane de 9,4 mois (4,1-19,7) et la courbe de Kaplan-Meier montre que le taux d’arrêt diminue lentement ensuite: l’arrêt quand il survient est plutôt précoce, observation concordante avec ce qui est observé à partir de la délivrance du médicament selon les données du SNDS2Billioti de Gage S, Jourdain H, Desplas D, Dray-Spira R. Roll-out and effectiveness of HIV pre-exposure prophylaxis in France: An overview. Therapie. 2023 Sep-Oct;78(5):585-591. doi: 10.1016/j.therap.2023.02.010. Epub 2023 Feb 23. PMID: 36894453..

Les raisons de l’arrêt manquent pour 155 des 653 usagers. Parmi les autres vient en premier le fait d’avoir un partenaire stable (209), de ne plus juger la PrEP utile (81), devant la mauvaise tolérance (42), des problèmes médicaux (42) et la pandémie CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. (34). Le taux d’arrêt est un peu plus élevé à l’hôpital Bichat mais principalement en raison des caractéristiques des PrEPeurs, puisque cette différence perd en signification statistique en analyse multivariée. Selon celles-ci, sont associés à plus d’arrêt, être jeune, être une femme cisgenre, les effets secondaires et à l’inverse, les caractéristiques associées à moins d’arrêt sont avoir eu plus de 2 ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  dans la dernière année et avoir un partenaire stable au moment de l’initiation. 

Raisons invoquées par les participants pour arrêter la PrEP (N = 653). DR.

Deux séroconversions VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ont été identifiées au cours du suivi, l’une chez un PrEPeur qui indique une certaine inobservance et l’autre après un arrêt, mais d’autres ont pu ne pas être identifiées. Cependant, il est à noter que les caractéristiques des perdus de vue ressemblent aux individus qui ont interrompu.

Apporter une attention particulière aux premiers mois

Ce sont donc des observations très importantes pour les perspectives d’extension de la protection par la PrEP. Ici, après un arrêt assez précoce, le maintien dans la PrEP est élevé dans la durée.  C’est donc l’ajustement des premiers mois de PrEP qui doit être conforté par une attention particulière aux effets et aux ressentis des premiers mois.

L’autre résultat frappant concerne la part attribuée à la relation stable comme raison de l’arrêt, alors même que dans la population ici majoritaire des homosexuels masculins, les couples sont, pour une très large proportion, ouverts à d’autres relations. À noter que la mise en couple est associée à un âge jeune, les plus jeunes étant moins en relation stable à l’initiation. Ici, c’est la communication sur la PrEP qui devrait inclure les différents modes de partenariat plutôt que la représenter dans l’unique contexte des partenaires multiples et sous le prisme du risque. La discussion sur cette problématique et la possibilité explicite de reprendre à tout moment le cours de la PrEP peuvent permettre d’assurer la protection dans la durée des épisodes de la vie affective et sexuelle. 

Le nombre de femmes est encore trop faible pour tirer des enseignements utiles à l’extension du bénéfice de la PrEP aux femmes cis exposées au VIH. On en apprend un peu plus pour les personnes trans, plus nombreuses dans ces patientèles, dont les raisons d’arrêt ont davantage trait à des effets ressentis du traitement et à des difficultés d’accès. Des raisons qui, là aussi, suggèrent des améliorations possibles pour prévenir une interruption: travailler sur les co-médications liées à d’autres sujets de santé, et notamment la transition, et/ou assurer une continuité d’accès dans un groupe connaissant une forte composante de travail sexuel et à ce titre, précaire, mobile et exposé à de nombreux stress. 

Mais en tout cas, la PrEP, telle qu’elle existe aujourd’hui, marche. 

Bibliographie

Garofoli N, Siguier M, Robineau O, Valette M, Phung B, Bachelard A, Rioux C, Le Gac S, Digumber M, Pialoux G, Ghosn J, Champenois K. Incidence and factors associated with PrEP discontinuation in France. J Antimicrob Chemother. 2024 Jul 1;79(7):1555-1563. doi: 10.1093/jac/dkae133. PMID: 38758214.

Velter A, Champenois K, Girard G, Roux P, Mercier A. Prophylaxie pré-exposition (PrEP) de l’infection au VIH parmi les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes répondant à l’enquête Rapport au Sexe 2023 : qui sont les éligibles ? Qui sont les usagers ? Bull Épidémiol Hebd. 2023;(24-25):542-52.