La Haute Autorité de santé a émis en mai 2024 de nouvelles recommandations « Grossesse et VIH : désir d’enfant, soins de la femme enceinte et prévention de la transmission mère-enfant ». Elles posent un cadre clair sur la prise en charge médicamenteuse et non médicamenteuse des femmes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. (vVIH). Elles font un grand pas en avant (largement attendu) dans l’accompagnement du choix à la lactation, puisqu’il peut désormais être envisagé lorsqu’il y a une bonne observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) et une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. maternelle <50 copies/mL depuis au moins six mois.
Il s’agit d’un tournant majeur et salutaire dans la prise en charge des femmes enceintes vVIH, le dernier depuis l’arrêt de l’usage systématique de l’AZT à l’accouchement. L’infection au VIH était la seule contre-indication formelle à l’allaitement qui c’est le choix de la mère en France, alors que depuis 2023 les recommandations américaines incitaient à ne plus le décourager de façon systématique. L’allaitement est désormais une option à discuter, conduisant, on le souhaite, à une « décision partagée ».
Cette ouverture concerne, en théorie, la majorité des femmes enceintes vivant avec le VIH. Selon les données de l’Enquête périnatale française de 2017, 70% des femmes vVIH débutent une grossesse sous ARV et 80% d’entre elles ont un traitement avant la fin du 1er trimestre.
Si allaitement il y a, le traitement prophylactique pour l’enfant, d’une durée habituelle de 15 jours, devra se prolonger deux semaines au-delà du sevrage avec des bilans plus fréquents, à M1, M3, M6, puis tous les trois 3 mois jusqu’à trois mois après le sevrage complet, contre M1 et M3 pour l’enfant non allaité. La mère devra bénéficier d’une surveillance mensuelle de la charge. Il est précisé que les bilans devront se faire en précisant le lieu de prélèvement, comprenons par-là, toujours au même endroit.
Enfin, pour donner l’aval à l’allaitement, il faudra un engagement de la patiente au suivi renforcé pendant toute la durée de l’allaitement, ainsi qu’une capacité de l’équipe à réaliser l’accompagnement de la mère et de l’enfant.
Des recommandations hors-réalité?
Alors si nous pouvons nous réjouir de l’arrivée de ces recommandations, il est difficile de ne pas songer à leur applicabilité dans les faits. La grande majorité des patientes vVIH qui sont suivies en maternité connaissent les contraintes des bilans et arrivent, malgré des conditions de vie qui peuvent être difficiles, à s’astreindre au suivi imposé pendant et après l’accouchement. Mais, les équipes voient de plus en plus de femmes enceintes récemment arrivées en France, souvent seules, qui découvrent leur séropositivité alors qu’elles sont en très grande précarité. C’est pour ces femmes-là que ces recommandations semblent incomplètes si l’on ne les assortit pas d’un ensemble de mesures indispensables à leur application. L’AP-HP, comme le Samusocial, alertent régulièrement sur le nombre croissant de femmes enceintes vivant à la rue qui accoucheront, puis qui retourneront à la rue.
Comme les chercheuses Karen Champenois et Anne Gosselin l’ont démontré lors du colloque de Sidaction en mars 2023, les données socio-économiques concernant les femmes vivant avec le VIH actuellement en France sont largement datées et insuffisantes.
L’enquête Vespa 2 (2011), qui s’adressait à toutes les PvVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH (dont 33% de femmes), avait mis en lumière les cumuls de vulnérabilités chez les femmes et en particulier celles nées à l’étranger, ainsi que l’impact des conditions de vies dégradées (logements précaires, discriminations, violences sexuelles, etc.) sur l’observance et donc l’efficacité des traitements VIH dans cette population. On notait que 23% des femmes d’origine étrangère vVIH vivaient chez des amis, dans un foyer ou étaient sans domicile fixe.
Vivre à la rue
Entre 2006 et 2016, le nombre de femmes ayant sollicité le 115 de Paris au moins une fois dans l’année a augmenté de 66%, dont une part importante de femmes nées hors de l’UE. D’après le 115, la réponse positive donnée à la première demande d’hébergement des femmes enceintes était de seulement 25% en 2018. En 2022, 10% des personnes sans abri rencontrées étaient des femmes (chiffre Nuit de la Solidarité 2022). Un chiffre en augmentation puisqu’en 2012, selon l’Insee, elles ne représentaient que 2% des personnes sans abri de l’agglomération parisienne.
Par ailleurs, plus de 93% des femmes vivant dans la rue (données issues du rapport «Un abri pour toutes» de la Fondation des Femmes, 2021) sont ou ont été victimes de divers types de violences : insultes, exploitations, agressions, viols… En conséquence, une grande majorité d’entre elles présente un état de santé physique et psychologique très dégradé.
D’après Santé publique France, la proportion de femmes sans-abri ayant accouché en Île-de-France est passée de 5,8 pour 1 000 en 2010 à 22,8 pour 1 000 en 2019. Les femmes les plus concernées sont les étrangères arrivées récemment sur le territoire. Depuis 2018, l’association qui gère le 115 en Seine-Saint-Denis –Inter logement 93– alerte également sur une hausse du nombre de «bébés sans abri», dans ce département parmi les plus pauvres de France.
Cette grande vulnérabilité tient à plusieurs éléments qui peuvent s’additionner: instabilité résidentielle, barrière de la langue, variations de normes socioculturelles, composition familiale, isolement familial, expositions aux violences, troubles psychiques. L’enquête PARCOURS a montré que pour la moitié des migrants d’Afrique subsaharienne, l’obtention d’un titre de séjour prenait trois ans, et l’accès à un logement personnel deux ans pour les femmes.
Chacun de ces facteurs et leur cumul vont mettre à l’épreuve la compliance attendue dans le suivi obstétrical et postnatal des femmes en situation de précarité dont une partie de femmes vVIH. Or, on sait qu’une méconnaissance par les professionnels de santé de ces déterminants de santé renforcent les obstacles au bon déploiement des soins et en favorisent le renoncement.
Dans ce sens, la HAS a élaboré en 2017 des référentiels pour la médiation en santé pour les personnes éloignées des soins, «la méconnaissance par les professionnels de santé des réalités vécues par les personnes constituant autant de barrières à l’accès à la prévention et aux soins». Comprendre par exemple, que se rendre en consultation demande du temps et de l’argent pour payer le transport, coût impayable lorsque les hébergements sont éloignés de l’hôpital où le suivi est établi.
Prise en charge des femmes vulnérables
En janvier 2024, la HAS a publié une fiche afin d’aider les professionnels dans la prise en charge des femmes enceintes en grande vulnérabilité (lien PDF). Il est préconisé de faire le bilan de la situation administrative, de l’ouverture des droits à la Sécurité sociale, mais aussi d’évaluer les conditions d’hygiène, d’accès à la nourriture et d’anticiper un hébergement pour la sortie de la maternité en alertant si besoin des partenaires en charge de l’hébergement.
Ce document pointe l’importance d’informer la femme sur les droits et sur les structures ressources du territoire (associations, Restaurants du cœur, adresses des bains-douches, etc.) ainsi que d’anticiper le mode de garde des enfants aînés pour le temps de l’accouchement et le séjour en maternité.
Il semble indispensable d’associer aux recommandations médicales la prise en compte juste et nécessaire des conditions de vie des patientes afin d’appréhender, de manière individuelle, les vulnérabilités exposant à une rupture de traitement. Tel que le souligne la HAS dans ce rapport, afin de pallier le risque de rupture de soin, il faudrait maintenir un contact par tous les moyens de communication : courriers, SMS, mails et éventuellement téléconsultations, en cas d’éloignement. Il faudrait également proposer le recours à l’interprétariat et évaluer régulièrement les conditions d’accès aux soins en s’assurant de demander la prise en charge des trajets par un service social (hôpital, PASS…).
Grâce à l’efficacité des stratégies de prévention, le nombre des transmissions périnatales est devenu très faible en France. La cohorte nationale prospective EPF CO1-CO11 a enregistré 88 contaminations entre 2000 et 2010, et 10 entre 2011 et 2020, sur un suivi d’environ 1 000 femmes vivant avec le VIH par an. L’ouverture de la possibilité d’allaiter leur enfant est un pas immense vers une normalisation de la parentalité des personnes VVIH mais cela suppose aussi de nouvelles contraintes dans le suivi médical, déjà chargé.
Les recommandations de bonnes pratiques sont aussi bien des outils d’aide à la décision pour les médecins que des outils d’appréciation de la responsabilité médicale pour les juridictions. Elles engagent donc une responsabilité médicale. Rappelons qu’en 2011 les femmes VVIH étaient encore très largement assignées au préservatif alors même que les recommandations préconisaient déjà un élargissement du choix contraceptif.
Contentons-nous des avancées médicales dans la prise en charge de PVVIH et mettons tout en œuvre pour diminuer les tensions entre les contraintes du suivi médical et les contraintes de vie (voire de survie), ce qui suppose de les connaître et de les combattre.