L’histoire du VIH/sida (43 ans de clinique, 41 de virus) est peuplée de paradoxes1. Un exemple en atteste auquel est associé l’un des scoops de cette CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2024, une conférence vécue au passage comme une attente, vers du meilleur, vers de nouvelles stratégies antirétrovirales avec moins de médicaments, moins de prises et d’autres galéniques, un vaccin pourquoi pas, une prévention biomédicale des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. une réduction des inégalités de santé (tuberculose, cancers HPV induits, risques cardiovasculaires, accès aux ARV…) et une meilleure prise en compte des violences en tout genre (lois discriminatoires, violences sexuelles, déplacements et guerres) qui brident le passage au 95-95-95. Et ce paradoxe tient précisément à l’histoire. Ici celle du pondéral et de l’image de soi associée au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. qui est passé de la maladie des gens maigres («slim disease») des années 1980 aux perspectives thérapeutiques actuelles du surpoids et de la NAFLD (Nonalcoholic fatty liver disease ou stéatose hépatique non alcoolique en français) qui lui est souvent associée (cf. Slim Liver study/ACTG 5371 # 159).
La maladie hépatique stéatosique d’origine métabolique (MASLD) est courante chez les personnes vivant avec le VIH, elle est probablement synergique avec le virus pour accélérer les lésions hépatiques et le dysfonctionnement hépatique. La stéatose peut progresser vers une stéato-hépatite non alcoolique (NASH), un stade inflammatoire qui peut à son tour évoluer vers une cirrhose. Les comorbidités telles que le diabète, l’insulinorésistance ou le surpoids sont fréquentes chez les PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH qui sont donc à haut risque de développer une stéatose hépatique. Le dépistage de la stéatose chez les PVVIH présentant des troubles métaboliques ou une élévation inexpliquée des transaminases, fait désormais partie des recommandations.
Le sémaglutide
Le «scoop» a été porté par Jordan E. Lake (McGovern Medical School, Houston, Texas) dans une session co-modérée par Karine Lacombe et cette fois entièrement féminine, évènement assez rare à la CROI pour être signalé. Une injection hebdomadaire de sémaglutide, cet agoniste des récepteurs du GLP-1 qui a fait ses preuves dans le traitement du diabète et de l’obésité (AMM de la FDA de 2021 dans cette indication), a été bien tolérée et a réduit la quantité de graisses dans le foie de 31% chez les personnes atteintes de NAFLD. Il s’agit du premier essai clinique (ACTG 5371) du sémaglutide pour le traitement de la NAFLD chez les personnes infectées par le VIH.
À 24 semaines, l’équipe de l’étude a évalué les modifications de la teneur en graisses du foie des participants en utilisant un type d’IRM (magnetic resonance imaging-proton density fat fraction) spécifiquement conçu pour mesurer la quantité de triglycérides dans le foie. Les participants ont présenté une réduction relative de 31,3% (-39.0, -23.6) de ces triglycérides intrahépatiques, 29% des participants ayant une résolution complète de la NAFLD (voir la brève de Valérie Pourcher). Les médias ne s’y sont pas trompés pour un produit dont les prescriptions explosent aux États-Unis, plébiscités pour ses vertus amaigrissantes par des influenceur·ses sur les réseaux sociaux et par quelques people. Dès le matin, CBS parlait même d’un «effet secondaire», mais bienvenu, de la molécule sur la consommation d’alcool qui serait au passage réduite (?).
Rappelons que Novo Nordisk, la firme danoise qui commercialise le sémaglutide, n’a pas besoin de tout cela. Début mars, sa capitalisation en bourse était supérieure à celle du PIB danois (405,5 milliards VS. 418,1 milliards d’euros)! Les médicaments contre l’obésité de Novo Nordisk sont ainsi devenus le moteur de la croissance danoise !
Ouverture
Loin du Danemark et des questions métaboliques, un autre pan de l’histoire du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. se déroule dans cette CROI de Denver: celui de l’impact négatif des guerres, des déplacements de population et des violences sexuelles sur la dynamique de la pandémie VIH.
Ainsi, en Pologne qui a accueilli plus de 1,6 million de réfugiés ukrainiens depuis le début de la guerre en février 2022, une étude a mis en évidence une percée de la lignée VIH-1 A6, dominante en Europe de l’Est, qui est devenue la variante la plus répandue en Pologne ces dernières années, auparavant dominée par des infections de sous-type B (# 1069).
Les réfugiés en Ouganda permettent de donner une image de l’épidémie à un instant T. La prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. VIH chez les réfugiés en Ouganda (# 1206) a été établie à l’aide d’un plan d’échantillonnage probabiliste à plusieurs degrés (11 localités, 40 zones et 1 296 foyers ont été sélectionnés). 84,2% des 2999 adultes éligibles (87,3% de femmes, 79,5% d’hommes) ont participé à l’enquête. La plupart des participants (44,7%) étaient âgés de 15 à 24 ans; 61,6% ont déclaré vivre dans les colonies depuis 3 à 5 ans au moment de l’enquête. Les pays d’origine les plus courants étaient le Sud-Soudan (61,4%) et la République démocratique du Congo (31,9%). La prévalence du VIH chez les adultes âgés de plus de 15 ans était de 1,5% (IC à 95% : 0,8-2,1) : 1,8% (IC 95% : 1,0-2,7) chez les femmes et 1,1% (IC 95% : 0,3-1,8) chez les hommes et bien plus élevée chez les femmes âgées de 45 à 49 ans (6,2%) et chez les hommes âgés de 50 à 54 ans (5,8%).
Ainsi, chez ces réfugiés, la cascade de soins se situe à 81,8% de PVVIH diagnostiquées, 89,5% en traitement et 92,5% avec une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. inférieure à 1 000 copies, soit 72% de l’ensemble des PVVIH avec une charge virale contrôlée. La fourniture du dépistage, d’un accès au traitement et d’un soutien est donc indispensable dans cette population de réfugiés jeunes, vivant pour une longue période dans des camps.
En Afrique du Sud (# 1221), où les adolescentes et jeunes femmes (AGYW) représentent 25% des nouvelles infections par le VIH, une étude s’est concentrée sur la compréhension des facteurs qui peuvent contribuer à l’adoption de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. au sein d’un large échantillon communautaire de jeunes femmes fréquentant les cliniques de soins de santé publique. Au niveau interpersonnel, les violences physiques et sexuelles basées sur le genre étaient liées à une probabilité plus faible de prendre la PrEP (p < 0,05).
La CROI, conférence nord-américaine par essence et jusque-là très «essais cliniques» et basic science, s’ouvre peu à peu aux recherches sur les déterminants sociaux qui font que la fin du sida n’est toujours pas envisageable.
- Pour celles et ceux qui n’ont pas pu participer les 15 et 16 décembre dernier aux « 40 ans du VIH » organisés avec Christine Katlama, François Raffi, Pascale Leclercq, Bruno Spire, Claudine Duvivier et tant d’autres, le livre numérique (une mine de documents mémoriels) c’est par ici ↩︎