C’est d’un des leitmotivs d’Anthony Fauci, absent de cette CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2024 qui n’en est pas à un retraité près: game changer, ou comment changer la donne dans la langue de Molière. L’expression a été largement mobilisée et argumentée par les faits avec l’arrivée des multithérapies à partir de 1996 (saison 1), puis avec l’engouement pour la recherche vaccinale – «While we are making encouraging progress in preventing new HIV infections, the development of a safe and effective HIV vaccine would be the ultimate game changer» (CROI 2016, saison 2). Sans oublier les game changers que sont le TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). et la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. (figure ci-dessous) toujours présents de CROI en CROI (saison 3).
Game franco-américain
À Denver se sont jouées à la fois la saison 2 (le renouveau de la recherche vaccinale anti-VIH), la 3 (la PrEP) et une 4e saison avec l’explosion de la PEP des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. bactériennes. Ainsi, dans une même session orale (#04) du lundi, baptisée Game changers in prevention of HIV and sexually tranmitted infections, les deux concepts se sont entremêlés avec quelques bonnes nouvelles en matière de PEP des IST et de PrEP VIH. Ce qui est bien avec la CROI, c’est qu’elle reste une conférence scientifique sans prises de positions idéologiques, comme on l’a vu avec quelques médecins prepophobes nous prédisant l’apocalypse bactérienne sexuellement induite. La science n’est, il est vrai, pas une opinion. Pour les faits, il a été intéressant de voir l’émulation entre l’essai ANRS-Prevenir-Doxyvac (#124) et l’essai américain DoxyPeP (#125) comme en leur temps, les essais de PrEP ANRS-Ipergay et Proud. Mais aussi la comparaison – sur laquelle nous reviendrons – d’écologie bactérienne et de résistance d’un pays à l’autre. La cause est entendue : la PEP des IST chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. prepeurs ou PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH cela marche à des niveaux de réduction globale de plus de 60% (syphilis, gonocoque, chlamydia) et à près de 80% pour syphilis et chlamydia, niveaux qui dépendent de l’observance, du schéma de prise, des résistances bactériennes, mais qui sont indépendants du statut VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. (DoxyPEP). Mais au Kenya, et ailleurs en Afrique, chez les femmes cis (# 1148), cela ne fonctionne pas. Avec cette piste pour expliquer l’échec : la doxycycline n’est détectée que dans 29% (58/178) des cheveux pris sur les participantes de l’étude. Une piste parmi d’autres.
Plus encore que les essais, les études de la «vraie vie» confirment cette efficacité dès lors que la PEP est encadrée par des recommandations malgré une augmentation drastique des pratiques à risques (x2) dans l’étude DoxyPEP1La rumeur voudrait que les recommandations françaises en la matière attendue depuis des années soient bientôt livrées par la HAS…. Comme à San Francisco (#126), où la PEP par la doxycycline est recommandée depuis octobre 2022 avec, au sein de 3 centres communautaires de la ville à la Maison bleue, plus de 3 700 initiations de PEP (20 % des HSH et des femmes trans) on observe 50% de décroissance des IST à chlamydia au pointage de novembre 2023 (IC 95 % 38%-59%) ; sans impact sur les gonocoques comme attendu et avec un impact sur le microbiote et les résistances très étroitement suivi. Mais le poster # 999 illustre combien l’usage «sauvage» de tels outils de prévention pose un problème. Dans une enquête en ligne sur le territoire américain, auprès de 903 gays ou bisexuels, 21% avaient pris moins de 200 mg de doxycycline et 9% au-delà des 72 heures suivant un rapport sexuel à risque. Confirmant le besoin ardent de recommandations claires…
Effet Gillette 3
Côté vaccin, c’est l’embellie des concepts malgré l’assemblage de phases IIb/III à résultats négatifs tels qu’égrenés, avec le talent qu’on lui connait, par Juliana McElrath (Seattle # 16) en ouverture plénière de cette première journée : Vax 03 et 04, HVTN 502 et 503, HVTN 505, HVTN 702-Ukambo, HVTN 702-Imbokodo HVTN 706 Mosaico… On se souvient de la session de deuil pour Mosaico lors de la CROI 2023 à Seattle. Il fut rappelé combien l’iniquité et l’insuffisance de déploiement des outils de prévention suscités – le gap dans le game changer – justifient le développement d’un vaccin préventif efficace. La piste est connue désormais. Le point crucial a donc été celui de la caractérisation d’antigènes, dit germline, susceptibles de mobiliser les lymphocytes B naïfs capables de donner naissance, après maturation, aux cellules productrices d’anticorps à large spectre, notamment VRO1. Et la nécessaire utilisation successive de plusieurs antigènes différents, mais proches, pour mimer ce qui se produit lors de l’infection.
Juliana McElrath a présenté la stratégie de prime-boost-boost – un peu l’effet Gillette G3 pour celles et ceux qui se rasent. Avec comme espoir tangible, les essais AMP pour Antibody-Mediated-Prevention.
Dans les anecdotes du jour, on retiendra l’abandon quasi-total du masque dans les salles de communications orales, malgré 193 abstracts retenus sur le SARS-CoV-2, la compétition assez schizophrénique entre les sessions parallèles, le panel de la session #03 consacré aux essais cliniques de nouveaux antirétroviraux 100% masculine (N=8) ce qui a, semble-t-il, agacé Karine Lacombe (Paris) et Alexandra Calmy (Genève). Quant à Juliana McElrath (1951) elle a dans sa to-do list de la recherche vaccinale anti VIH mentionné «le besoin de jeunes investigateurs motivés». C’est pas gagné.
Cet article a été publié dans le e-journal de la Lettre de l’infectiologue consacré à la CROI 2024. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation d’Edimark.