Sous la bannière de «Nous voulons profiter de la vie», la plénière d’ouverture saint-valentesque de cette CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. 2022 a donné la parole à Marc Thompson, un activiste anglais, noir, gay, pas encore tout à fait vieux, mais séropositifSéropositif Se dit d’un sujet dont le sérum contient des anticorps spécifiques dirigés contre un agent infectieux (toxo-plasme, rubéole, CMV, VIH, VHB, VHC). Terme employé, en langage courant, pour désigner une personne vivant avec le VIH. depuis 36 ans. Un vétéran donc, issu, qui plus est, de la classe ouvrière, et co-fondateur de Prepster, un groupe activiste qui milite au Royaume-Uni pour l’accès à la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. «Je n’aurais jamais imaginé être un jour ici, ce n’était pas ma réalité initiale» a expliqué le militant dans un décor d’intérieur floral et «gorgeous» inscrit en fond de cadre, en lettres lumineuses (voir ci-dessous). «En 1986, le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. était un diagnostic de décès plus ou moins proche. Il fallait prévoir ses obsèques et attendre la mort. Impossible de se projeter dans l’avenir. Les vétérans du VIH ont perdu beaucoup d’amis et ont assisté à plus d’obsèques que n’importe quelle personne de cette génération n’aurait dû.»
Aux États-Unis, la moitié des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) avaient plus de 50 ans en 2020 et elles seront 70 % d’ici à 2030. Pour améliorer la qualité de vie et la prise en charge des PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH seniors, Marc Thompson a pointé 8 axes de travail et de réflexion:
- Le manque persistant de connaissances sur l’impact du VIH sur l’âge et vice versa.
- L’importance de la continuité des soins, avec les besoins de soins “généralistes” plus importants que ce qu’ils étaient antérieurement.
- L’impact des comorbidités, notamment maladie cardiovasculaire et diabète, qui oblige à une prise en charge par de nombreux spécialistes.
- Les interactions entre les traitements antirétroviraux et les traitements des comorbidités.
- Le besoin croissant de services de support, qui va être de plus en plus important et qui n’a pas encore été bien pensé.
- La persistance et/ou l’aggravation de l’isolement et de la solitude.
- La persistance de la stigmatisation autour du VIH, notamment par des soignants intervenant auprès des personnes âgées et non encore habitués à cette pathologie.
- L’importance du maintien d’une qualité de vie globale et d’un “vieillissement en bonne santé”.
Dans la table ronde qui a suivi, il a été souligné l’importance de permettre aux PVVIH de tout simplement vieillir, ce qui n’est pas une évidence partout: les femmes transgenres, par exemple, dont l’espérance de vie est particulièrement réduite, les enfants qui naissent avec le VIH, souvent les grands oubliés dans les pays aux ressources limitées…, ou globalement les personnes n’ayant pas un accès aux soins suffisamment précoce pour envisager un vieillissement serein ; ou comment pour certains qui cumulent les facteurs de vulnérabilité vieillir avec le VIH est encore «un luxe»… Nombre de campagnes aux États-Unis sont centrées sur les personnes vieillissantes et vivant avec le VIH (PVVVIH ?), et même une journée, leur 18 septembre, leur est consacrée (figure 1).
En fait, cette communication introductive illustre ce penchant, ou ce travers, très américain de la caution morale. Et Marc Thompson est un peu l’alibi qui masque la domination, dans cette conférence, du biomédical et des neurosciences au détriment des autres disciplines, tout en laissant une place au milieu associatif. C’est en effet une litote: la CROI ne s’est jamais ouverte aux sciences sociales, et bien peu d’études s’y penchent, sur les facteurs de fragilité qui dépassent la question de la sénescence immuno-induite ou toxique, qu’ils soient sociaux, comportementaux, environnementaux, culturels. Facteurs qui influent sur le vieillissement et sa perception par les PVVIH. Exception faite sans doute d’une étude australienne (#425) présentée en poster ce mardi, par Htein Linn Aung. L’Australie, qui se targue d’avoir dépassé les objectifs de l’ONUSIDA de 90 % de la couverture antirétrovirale et de 90 % de charges virales contrôlées chez les personnes traitées, «offre un contexte unique pour étudier les trajectoires cognitives, le vieillissement cognitif et les facteurs liés au mode de vie qui peuvent influencer la cognition chez les PVVVIH». Avec une batterie de tests cognitifs pondérés sur différents facteurs (âge, sexe, éducation, etc.), ils ont bâti un score cognitif, le Z-score global (GZS), mis dans un modèle dynamique de régression (LMER). Où l’on constate, au fil du temps, que des éléments tels que «compter sur les subventions gouvernementales», avoir souffert d’une dépression sévère, avoir une confiance plus faible en la nécessité de se traiter et une moins bonne acceptabilité des ARV étaient associés à un score GZS plus faible ! Donc à une évolution cognitive plus péjorative. Comme quoi, il n’y a pas que le taux sérique de ferritine et de chaîne légère (L) de la ferritine (FTL), ou des taux bas d’immunoglobulines vis-à-vis du domaine de la mucine (TIM)-1 (récepteur FTH1) ou autres marqueurs de l’inflammation (IL-6, TNFR2) pour expliquer la fragilité des PVVIH.
Pendant que Marc Thompson s’exprimait, un Conseil national autoproclamé de la vieillesse (CNaV) vivait ses premières rencontres dans les locaux chargés d’histoire du Théâtre du Soleil, à Vincennes (France). À l’initiative, entre autres, d’acteurs de la lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. 1À voir aussi sur le site https://vif-fragiles.org/. Parmi les revendications: que les citoyens âgés puissent avoir accès à leurs droits, la création d’un conseil national consultatif des personnes vieilles, que la médecine s’intéresse à la qualité de vie, que les établissements pour personnes âgées soient revus dans l’intérêt des pensionnaires, etc. Des problématiques que rejoignent les PVVVIH. Comme le soulignait Marc Thompson : «Nous sommes tous engagés à combattre la stigmatisation liée au VIH. Mais cette stigmatisation s’exprime différemment selon les personnes. Nous avons besoin d’une réponse intersectionnelle. Une réponse qui prend en compte la stigmatisation liée au VIH et les autres stigmatisations : la race, le genre, la sexualité et bien sûr l’âge (…). Après des dizaines d’années à survivre, nous voulons bien sûr continuer à vivre. Mais nous voulons aussi nous épanouir.»
Références
Quelques chiffres : 1 508 abstracts ont été soumis à cette CROI 2022, 860 (57 %) ont été acceptés dont 24 % concernent le SARS-CoV-2. En tout, 3 333 personnes se sont inscrites, originaires de 86 pays dont 40 % en dehors des États-Unis.
Communications ayant trait au ”aging” : #227, #420, #425, #426, #526, #615, #616, #625 et #901.
Cet article a été publié initialement dans le e-journal de « La Lettre de l’infectiologue » couvrant la conférence, nous le reproduisons ici avec leur aimable autorisation.