L’une des options envisagées par les spécialistes des hépatites pour parvenir à l’éradication est la mise en place d’un dépistage universel combiné des virus des hépatites C (VHC), B (VHB) et du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. au moins une fois au cours de la vie pour l’ensemble des adultes. Des données nationales récentes sont nécessaires pour soutenir cette proposition, à l’instar de celles apportées par BaroTest, de Santé Public France, présentées au ministère des Solidarités et de la Santé à l’occasion de la journée nationale de de lutte contre les hépatites virales, par Cécile Brouard (Santé publique France).
BaroTest est une enquête virologique adossée au Baromètre de Santé publique France 2016. Le Baromètre de Santé publique France 2016 est une enquête menée par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de la population des 15-75 ans résidant en France métropolitaine et parlant français. À la fin de l’interview, les participants éligibles à BaroTest, c’est-à-dire âgés de 18 à 75 ans, ayant une couverture sociale et n’étant pas sous tutelle ou curatelle, étaient invitées à bénéficier d’un dépistage gratuit pour le VHC, le VHB et le VIH. Les personnes acceptant recevaient par la poste un kit d’auto-prélèvement par piqûre au bout du doigt et dépôt de quelques gouttes de sang sur buvard. Le Centre national de référence des hépatites virales B, C et delta (CNR) étaient en charge des analyses biologiques.
Ces données serviront à éclairer la réévaluation de la stratégie de dépistage de l’hépatite C actuellement en cours par la Haute Autorité de santé (HAS). Dans la communication présentée par Christian Saout, membre du collège de la HAS, au cours du colloque du ministère des Solidarités et de la santé, la HAS, en l’état actuel des connaissances et de la situation, ne souhaite pas recommander le dépistage universel du VHC comme un moyen “efficient” de parvenir à l’éradication. Toutefois, il ne s’agit pas encore de la décision publique, mais d’un simple avis d’efficience.
Les chiffres du VHC en France
Quelle est la situation en France ? Dans BaroTest, la prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. de l’hépatite chronique C (HCC) chez les 18-75 ans a été estimée à 0,30%, soit 133 466 individus. Ce chiffre de prévalence tend à diminuer dans la population générale métropolitaine au cours des dernières années. (La France est considéré comme un pays de faible endémicité pour ces deux maladies.)
Cette prévalence n’était pas significativement différente entre les hommes (0,34%) et les femmes (0,26%) mais elle était plus élevée parmi les 46-75 ans (0,51%) que parmi les 18-45 ans (0,08%). Si on regarde les résultats selon les facteurs de risques d’expositions à risque vis-à-vis de l’hépatite C, la prévalence atteignait 12,1% parmi les usagers de drogue injectable (au moins une fois au cours de leur vie), contre 0,24% pour ceux n’ayant pas déclaré d’usage de drogue. La prévalence de l’HCC était également plus élevée chez les individus avec un tatouage ou un piercing réalisé sans matériel à usage unique (2,55% contre 0,25% chez les autres).
La prévalence de l’hépatite chronique B (HCB) dans la population générale âgée de 18 à 75 ans vivant en France métropolitaine a également été estimée à 0,30%, soit 135 706 individus. Cette prévalence était associée au lieu de naissance et elle atteignant 5,81% pour les personnes nées en Afrique subsaharienne (0,14% pour les personnes nées en France métropolitaine). De même, cette prévalence était plus importante pour les hommes ayant déclaré au moins un partenaire sexuel masculin au cours de leur vie, avec 3,39% (vs 0,16% pour les autres hommes).
Santé publique France estime par ailleurs que la France connaît 5500 nouvelles infections chroniques par le VHC par an, dont 4400 concerneraient des personnes usagères de drogue injectable au cours du dernier mois. Notons également que le taux d’incidence est le même dans les populations des hommes séropositifs ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, que ceux sous PrepPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. avec 1,2% par année. (La prévalence du VHC est bien plus élevée chez les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. que dans la population générale, et on ne dispose pas de chiffres chez les adeptes du chemsex voire chez les slameurs. Dans ces populations ont été rapportées des prévalence très élevées, avec des cas de recontaminations multiples.)
L’estimation de personnes infectées connaissant leur statut est de 80,6% pour l’HCC et 17,5% pour l’HCB. Un dépistage universel et combiné du VHC/VHB/VIH impliquerait de tester entre 32,6% de cette population, si l’on considère les individus n’ayant eu aucun des trois tests, et 85,3% en prenant également en compte ceux déjà testés pour un ou deux des virus. Soit une part très importante de la population générale.
Les résultats des enquêtes Coquelicot 2020 et Enquête santé Mayotte 2019 sont attendus en 2012 pour mieux connaîtres les chiffres du VHC en France.
Les chiffres du VHB en France
En France, 135 706 personnes vivent avec le VHB. Les contaminations par le VHB sont associées aux mêmes facteurs de risque que l’hépatite C, mais le premier mode de contamination du VHB est sexuel (pour le VHC, c’est l’injection pour le chez les usagers de drogues et les HSH slameurs). En revanche, un critère géographique a été ajouté puisque les personnes nées en Afrique subsaharienne vivant en France sont les plus touchées. En France, seuls 17,5% des patients infectés par l’hépatite B connaissent leur statut, ce qui représente 111957 personnes non-diagnostiquées.
Rappelons que nous ne disposons pas d’antiviraux à action directe pour éliminer le VHB, le but de la recherche est donc la guérison fonctionnelle, avec disparition de l’antigène HBs, plus que l’éradication. Lawrence Serfaty (Inserm, Hôpital Hautepierre, Strasbourg) a rappelé que le meilleur traitement de l’hépatite chronique B, c’était la vaccination. Ainsi, à Taïwan, elle a permis de diviser par 3 le nombre de HCB. La couverture vaccinale anti-VHB poursuit sa progression chez les jeunes enfants (91% à 24 mois), elle a fortement augmenté chez les nourrissons du fait de l’obligation vaccinale. Malheureusement, elle reste très insuffisante chez les adolescents (45%).
AAD : L’effet des nouveaux traitements
La promesse de l’éradication ne relève plus de l’utopie. Les ressources médicales existent, notamment depuis la diffusion des antiviraux à action directe (AAD), très efficaces contre l’hépatite C et disponibles depuis 2014.
L’analyse des données de la cohorte ANRS CO 22 HEPATHER concernant la survie, la survenue du carcinome hépatocellulaire et des décompensations de cirrhose chez plus de 21000 patients traités par des AAD, montrent, après ajustement, une diminution de la mortalité globale et une diminution de la survenue du carninome hépatocellulaire.
Ils sont désormais recommandés pour l’ensemble des personnes infectées, laissant espérer un contrôle de l’épidémie à moyen terme grâce à un taux de guérison supérieur à 95%. Depuis mai 2019, la prescription de deux AAD pangénotypiques (Epclusa® et Maviret®) est ouverte aux médecins généralistes.
Les données sur les initiations de traitement par AAD en France métropolitaine entre 2014 et 2017 ont été extraites du Système national des données de santé (SNDS) pour l’ensemble des régimes et présentées par Caroline Dessauce (CNAM). Plus de 73000 patients ont initiés un traitement par AAD entre 2014 et 2018. Sur le plan financier, plus de 3,5 milliards d’euros ont été remboursés par l’Assurance maladie pour les AAD entre 2014 et 2017.
Jusqu’en juin 2017, on constatait une corrélation entre l’ouverture du périmètre de prise en charge et la progression du nombre de patients traités. En revanche, aucun impact de l’accès universel du traitement (août 2017) ou de la délivrance en officine (mars 2018) sur la progression du nombre de patients traités n’a été constaté. Cette dernière information intéressera les autorités sanitaires, au moment où certains militent pour l’accès à la primo-prescription des ARV en ville (hors PrEP), en prenant comme exemple la «réussite» de cette mesure dans le cas des AAD.
Les personnes ayant eu un remboursement de traitement de substitution aux opiacés (TSO) représentaient 15% des personnes ayant initié un AAD au cours de la période 2014-2017. (Attention, ce chiffre ne correspond pas aux personnes ayant été usagères de drogues au cours de leur vie, seulement aux des personnes ayant eu un remboursement de TSO délivré en officine de ville entre 2008 et 2017.)
L’accès universel aux AAD a conduit à une augmentation importante du nombre de patients ayant initié un traitement entre 2016 et 2017 (+35%) et à traiter des patients plus jeunes et plus souvent des femmes. Ces données montrent également que l’objectif de 120 000 patients traités d’ici à 2022 est à moitié atteint, avec 58 943 personnes traitées en France entre 2014-2017. Plus de 53000 patients ont été guéris, contribuant ainsi à la tendance vers la diminution de la prévalence de l’infection chronique entre 2011 (192 700) et 2016 (133 466).
L’effet des AAD sur la cascade de prise en charge de l’hépatite C est notable.
Des freins importants pour atteindre l’éradication
Ces chiffres, pas mauvais au demeurant, ne suffisent pas à rassurer les professionnels. Pour beaucoup de participants au colloque, il est évidemment que nous ne parviendrons pas à atteindre l’objectif 2025 d’élimination, en l’état actuel du dépistage. Trop peu de personnes ont y recours et demeurent porteuses d’infections virales non diagnostiquées.
Selon le Baromètre santé 2016, seuls 19,2% des participants s’est fait dépister une fois dans sa vie pour l’hépatite C et 35,6% pour l’hépatite B. Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fixé pour objectif que 90% des personnes infectées soient diagnostiquées d’ici 2030 pour les hépatites B et C, la proportion de personnes connaissant leur statut en France a été estimée à seulement 57% pour l’hépatite C (en 2004) et 45% pour l’hépatite B (en 2004).
Trop souvent encore, le dépistage n’est proposé que quand la personne fait état d’antécédents ou de facteurs de risque, tel que l’usage de drogues injectables. C’est aujourd’hui insuffisant. Une professionnelle de santé présente dans la salle témoignait ainsi que, dans son service, seuls 30% des malades avaient déclarés des facteurs de risques. Les antécédents d’injection, par exemple, peuvent être suffisamment anciens pour que l’usager ne songe pas à les déclarer.
Les objectifs de l’OMS ne seront réalisables que par le maintien de la mobilisation des acteurs de première ligne, avec la mise en place de dispositifs innovants de parcours de dépistage et de traitement précoce «Test and treat», en particulier chez les usagers de drogues. Le renforcement de l’incitation au dépistage, à partir des recommandations tant attendues de la HAS, et la mise en œuvre de campagnes régionales sont également nécessaires.