L’objectif 90-90-90 de l’Onusida vise à ce que d’ici 2020 : (i) 90% des personnes vivant avec le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. soient diagnostiquées ; (ii) 90% des personnes diagnostiquées soient sous traitement antirétroviral (ARV) ; (iii) 90% des personnes sous traitement aient une virémie contrôlée. Cet objectif s’inscrit dans la réflexion actuelle autour du « traitement universel ». Alors que les recommandations internationales et nationales tendent vers une mise sous traitement immédiate, quel que soit l’état clinique ou biologique des personnes infectées, elles ne pourront s’appliquer qu’aux personnes entrées dans le système de soins et de prise en charge et donc préalablement dépistées et connaissant leur statut sérologique.
L’objectif 90-90-90 s’inspire indirectement du modèle mathématique publié par Reuben Granich et ses collègues en 2009 dans le Lancet. Selon ce modèle, une stratégie combinant dépistage universel et traitement antirétroviral (ARV) immédiat permettrait, dans un pays tel que l’Afrique du Sud, d’atteindre d’ici 30 ans l’élimination de l’épidémie. Il convient cependant de revenir sur les conditions nécessaires, dans ce modèle, pour atteindre une telle élimination : (i) au moins 90% des personnes non infectées par le VIH ou de statut inconnu dépistées ; (ii) un dépistage du VIH répété au moins une fois par an (afin d’identifier au plus vite les personnes récemment infectées) ; (iii) au moins 90% des personnes diagnostiquées sous traitement ARV.
Au-delà des considérations méthodologiques sur les aspects techniques du modèle, il apparaît surtout que l’élimination de l’épidémie ne serait atteignable qu’à condition d’atteindre des niveaux de prise en charge encore jamais observés à ce jour. Selon le Gap Report publié par Onusida en 2014, on estime qu’en Afrique subsaharienne seuls 45% des adultes vivant le VIH connaissent leur statut sérologique (figure). Autrement dit, avant même de pouvoir traiter les africains infectés par le VIH le plus tôt possible après leur infection, il y a encore un long chemin à parcourir pour traiter le plus de monde possible, le principal défi résidant dans l’identification et l’accompagnement vers le soin des personnes infectées.
Des changements majeurs sur le continent africain
Pour autant, les défis du dépistage ne sont pas uniformes sur le continent africain. Le contexte ouest-africain a été marqué par des changements majeurs au cours des dix dernières années. L’introduction d’enquête de prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. en population générale à partir de 2001, l’évolution et l’amélioration des techniques d’estimations et enfin le développement d’enquêtes auprès d’hommes ayant des rapports entre hommes (et plus tardivement auprès des usagers de drogues) ont changé notre vision des épidémies ouest-africaines : nous sommes faces à des épidémies moins généralisées et beaucoup plus concentrées. Dans un contexte où les financements internationaux pour le dépistage tendent à baisser, il y a une pression de plus en plus forte des bailleurs internationaux à « rationaliser » le dépistage et à augmenter sa « productivité ». En termes d’indicateurs de suivi, le nombre de découvertes de séropositivité s’est substitué au simple nombre de tests réalisés. La priorité devient dès lors d’identifier les stratégies de dépistage les plus efficaces pour atteindre les populations les plus infectées ou les plus à risque de s’infecter. Mais le développement de stratégies dites avancées de dépistage de plus en plus ciblé ne doit pas se faire au détriment d’un accès universel au dépistage volontaire. De plus, un dépistage trop ciblé risque de laisser de côté une partie des personnes infectées. En termes épidémiologiques, une approche trop « spécifique » risque de ne pas être assez «sensible».
Tout comme l’on parle de « prévention combinée », il nous faut aujourd’hui réfléchir à des stratégies de « dépistage combinée ». Au-delà du « one size doesn’t fit all », il s’agit de s’adapter aux différents contextes épidémiologiques avec une contrainte de rationalisation des coûts. Pour les populations à faible prévalence ou incidence (i.e. en population générale), des stratégies de masse «au tout venant» ne sont peut-être pas les plus adaptées. Auquel cas, il faudrait peut-être relancer le dépistage à l’initiative des prestataires dans les structures de santé, ce qui nécessiterait de repenser à un algorithme simple pour identifier les personnes prioritaires pour un test, en fonction de critères symptomatiques et/ou sociodémographiques, tout en prenant également en compte le souhait du patient (et donc une démarche dite volontaire). Dans une perspective de mutualisation et d’intégration, une stratégie de « dépistage combiné » amène à réfléchir au dépistage d’autres pathologies. Alors que des tests rapides combinés seront bientôt disponible, il nous faut déterminer à quelles occasions / dans quels contextes / à quels moments de la vie il est pertinent de proposer un dépistage simultané.
Pour les populations à haute incidence (tels que les professionnels du sexe et les hommes ayant des rapports entre hommes), les enjeux du dépistage sont également l’identification au plus tôt des personnes récemment infectées et donc très contagieuses, afin de bloquer la propagation du virus. Mais cela nécessite que les personnes précédemment testées négatives se fassent régulièrement dépister. Alors qu’en France est évoquée une recommandation de dépistage tous les dix partenaires et/ou tous les trois mois, doit-on adopter la même recommandation en contexte ouest-africain ? Une telle fréquence est-elle acceptable pour les individus et économiquement tenable ? Doit-on envisager le recours à de nouveaux outils (tels que les auto-tests) dans ce cadre précis ? Enfin, si une offre de santé communautaire est nécessaire pour une partie de ces populations, ce n’est peut-être pas la demande de toutes/tous. Auquel, il faut, en parallèle, permettre un accueil non discriminant de ces populations dans le système de soins classique.
Penser une approche de « dépistage combiné » revient à rechercher l’équilibre assurant accès universel, pertinence épidémiologique publique et coûts maitrisés.
L’Afrique australe avec ses épidémies hyper-endémiques présente un tout autre visage. Avec des prévalences pouvant dépasser 30% de la population adulte et des incidences de plus de 3% parmi les jeunes filles dans certaines régions, l’ensemble des moins de 35 ans peut être considéré comme une « population à haut risque ». Certains états se sont massivement engagés. L’Afrique du Sud en est un exemple particulier, avec aujourd’hui plus de deux millions de personnes sous traitement alors que les antirétroviraux n’ont été introduits qu’en 2004. Des campagnes de dépistage de masse ont été mises en place (porte à porte, dépistage mobile…). Dès lors, une large majorité des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut. Par exemple, dans le district de Hlabisa, province du KwaZulu Natal où l’essai TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). ANRS 12249 est réalisé, on estime qu’environ 75% des personnes infectées connaissaient leur statut avant l’essai, proportion atteignant près de 90% suite à l’essai. Mais ce résultat est à relativiser quand on considère que moins d’une personne infectée sur deux est actuellement dans le système de soins et que seul un tiers des personnes infectées a aujourd’hui une virémie contrôlée.
Le dépistage du VIH dans ce contexte sud-africain ne peut se limiter au simple diagnostic et comprend également l’ensemble du processus d’accompagnement jusqu’à une prise en charge effective, i.e. entrée en soins et mise sous ARV. Par exemple, le dépistage proposé à domicile dans le cadre de l’essai TasP a également permis de re-référer vers les soins des personnes qui se savaient déjà porteuses du VIH mais qui n’étaient pas encore entrées dans le système de soins ou qui n’étaient plus suivies, ce groupe étant même plus nombreux que celui des nouveaux diagnostics. Il est connu depuis longtemps que le dépistage est également un outil de prévention en permettant (au travers du conseil) de modifier les comportements. Mais il faudrait penser plus globale au package de services qui pourrait être proposés au personne dépistées négatives, tels que la planification familiale ou la prophylaxie préexposition (PrEP)…
Le traitement précoce et universel ne pourra être atteint sans dépistage précoce et universel. Il est temps de redonner au dépistage l’importance qu’il mérite dans la réponse à l’épidémie.
L’ANRS, La lettre de l’Infectiologue et Vih.org s’associent pour couvrir le séminaire 2015 de l’Agence de recherche «VIH: Traitement universel précoce, de la théorie à la pratique».