CROI 2012 — Tout le monde vieillit, même les Charter

Le Pr Gilles Pialoux est à la CROI 2012, qui se tient cette année à Seattle, du 5 au 8 mars, et coordonne le E-journal en direct de la CROI 2011 pour La Lettre de l’infectiologue.

> Consulter Le E-journal en direct de la CROI 2012.

Washington State Convention Center, Seattle, 19e Conférence sur les Rétrovirus et les Infections Opportunistes (CROI). Aucun folklore apparent pour le deuxième jour de cette conférence, rendez-vous mondial de la lutte contre le sida côté sciences dures. Ni folklore local, ni pharmaceutique (les laboratoires sont interdits de stand et d’inscription comme tel, mais tous présents) ni communautaire, si l’on excepte une groupe de trans nord-américains qui déambule dans les allés aseptisées du centre de congrès. Le climat est studieux.

Rien ne peut néanmoins nous faire oublier que l’on est aux Etats-Unis. Pas plus les trois allumés isolés qui manifestent devant le centre dans l’indifférence totale au cris de «Stop the IIId world war!» avec la photo d’Obama affublé d’une moustache hitlérienne, que la volontaire, handicapée et obèse, en chaise électronique, qui surveille le port du badge devant l’escalator qui conduit aux salles de sessions ou de plénière. Comme si sa (sur)vie en dépendait.

Pas non plus cet humour à trois dollars dont s’équipent parfois certaines communications orales. S’agissant de la CROI 2012, le maitre jeu de mot tournait autour du mot «ART», ces traitements antirétroviraux que l’on appelle plus HAART mais ART, sous entendu qu’ils sont tous Highly Active.

On a donc eu droit à l’appellation «popART» pour l’essai HPTN 071, essai de Tasp mené en Zambie et en Afrique du Sud, mais aussi à «ART for prevention: the science and the art», et bien-sûr au «State of the ART»… Stop!

Troubles neurocognitifs

Et puis pour ceux qui sont friands d’épistémologie française, dans le sillage de Gaston Bachelard, la session sur les troubles neurocognitifs (Session 23) atteste combien le développement scientifique n’est que récurrence de la pensée…

Pour rappel, lors de la CROI 2009, l’équipe nord-américaine CHARTER —pour CNS HIV Antiretroviral Therapy Effects Research— avait lancé à la face du monde du sida un score dit de Charter, précisément, sensé révolutionner l’approche neurocognitif du VIH

Le groupe CHARTER avait modélisé une classification des molécules antirétrovirales, basée sur une évaluation hiérarchisée prenant en compte leur efficacité clinique sur les atteintes du SNC et/ou virologique dans le LCR, leurs propriétés pharmacologiques (quotient inhibiteur dans le LCR) et en dernier lieu leurs propriétés physico-chimiques en trois, puis, une CROI plus loin, en quatre, niveaux de pénétration des antirétroviraux dans le compartiment cérébral. Mais la réalité multifactorielle des troubles neurocognitifs et l’absence de corrélations satisfaisantes entre ce score et la clinique ont fait, depuis, invalider en grande partie cette classification. A tel point que même Scott Letendre, le père et «VRP» du score de Charter n’en parle plus guère.

En cette CROI 2012, Scott Letendre a fait état d’un nouveau panel de protéines de l’inflammation (SCD14, rTNF, TNF1, CXCL10, CCL2, CXCL2, IL-6, CX3 CL1), dont les taux, adjoint à 4 critères VIH (CD4, Nadir de CD4, CV < 50 et ARV) permettraient de bien… classer les troubles neurocognitifs du VIH.

Parallèlement, la liste des facteurs de déclin neuronal ne cesse de s’allonger: sexe, VHC, nadir de CD4, niveau de CD4, charge virale LCR/plama, troubles métaboliques et cardiovasculaires, usages de drogues, alimentation, insulino-résistance, tabac, alcool, antirétroviraux utilisés, etc. Sans oublier l’âge, de l’infection comme de la personne atteinte.

Le dialogue entre un activiste très américain et lipoatrophique, présent à toutes les CROI pour autant qu’il m’en souvienne, avec Igor Grant du groupe Charter, sur la banalité de trouver des troubles cognitifs dans une population vieillissante et lourdement co-morbide, illustre bien le débat actuel.

Igor Grant qui a commencé la session avec des chiffres alarmants, et contredits par les études récentes, de 30 à 50 % de troubles neurocognitifs dans la population VIH! Bon avec ça, Bachelard était français.