D’HPTN 052, et des autres études qui sont venues confirmer les controversées déclarations suisses de 2008, on peut tirer quatre conclusions :
1) la prise de traitement antirétroviral est une méthode préventive très efficace, par rapport aux seuls conseils classiques de prévention ;
2) son efficacité dans des conditions proches de celle la vie réelle (en termes d’IST, d’observance…) se rapproche de celle d’un usage systématique du préservatif ;
3) on n’a encore jamais documenté de cas de transmission lié à une personne dont la CV est indétectable ;
4) de nombreuses contaminations ont lieu en dehors du couple ce qui amène à relativiser le risque résiduel lié au partenaire traité, vis-à-vis d’un autre risque, plus substantiel, lié aux partenaires occasionnels.
4 % de risque de se contaminer ? Que non !
Surtout 96 % d’efficacité ne veut pas dire une probabilité de 4 % de se contaminer, explique Myron Cohen. « Ce chiffre est tiré des résultats qui montrent que la quasi-totalité des transmissions observées a eu lieu parmi les partenaires non traités. Soit 28 sur 29 transmissions. C’est le rapport entre les deux nombres qui donne 96 %. » Et de conclure: « L’essai montre que l’utilisation du traitement sur la durée fait mieux que le simple conseil d’utiliser des préservatifs sur la durée, ce que les gens ont du mal à faire ».
L’Onusida et l’Organisation mondiale de la santé, dans leur communiqué conjoint de mai ont salué une « percée » plaçant le traitement « au rang des nouvelles options de prévention prioritaires ». Elles soulignaient qu’il fallait s’« assurer que les couples ont la possibilité de choisir le traitement comme prévention et qu’ils y ont accès ». Les deux instances voient dans le Tasp une incitation au dépistage, à la discussion autour du statut sérologique et des options de préventions avec les partenaires, à être suivi médicament et un levier pour réduire les stigmatisations et les discriminations qui entourent le VIH »
Combiner si on le veut
Pour autant, comme l’indique Myron Cohen, « ce n’est pas parce que le traitement comme prévention est une méthode incroyablement efficace qu’il faut jeter les préservatifs. Une personne peut combiner préservatif et traitement si elle le veut, mais ce n’est pas obligatoire. C’est aux personnes de décider. Avoir ces données réduit la peur de transmettre et la peur de se contaminer pour leurs partenaires. »
De fait, HPTN 052 ne fait qu’entériner les pratiques de nombreux couples sérodifférents depuis des années. Une sorte de label « prouvé scientifiquement par les américains » par lequel il semble nécessaire de passer pour faire accepter et reconnaître ce que vivent déjà des personnes. L’Organisation mondiale de la santé devait produire des recommandations actualisées à l’usage des couples sérodifférents, prévues pour juillet, puis pour l’automne… et finalement promises aux oubliettes ?
Penser aux désirs et à la place des personnes
Une crainte agite le web: celle de l’injonction à la mise sous traitement (par le médecin ou par une intériorisation morale de la personne elle-même: « Je dois me traiter »…) de toutes les personnes qui connaissent leur statut, sans regard de leur charge virale ou de leur nombre de CD4. Elle semble à nuancer: risque de mauvaise observance – et donc de résistance – si la motivation à prendre n’est pas là et n’est pas soutenue, accompagnée, coûts des traitements (dont certains disent qu’ils ne seraient pas étranger à l’absence de réelle volonté politique d’accroître le dépistage, par crainte de devoir traiter rapidement 50 000 personnes supplémentaires en France)…
Sans compter que l’écart entre des intérêts collectifs ou de la société avec les intérêts de santé individuelle serait en partie résolu en reconnaissant l’intérêt du Tasp pour une personne donnée, comme l’a fait l’Onusida. Reconnaître l’efficacité individuelle du Tasp est nécessaire pour espérer un bénéfice collectif qui serait d’enrayer l’épidémie. Il s’agit de changer l’image des séropositifs et la vision qu’on peut se faire de la maladie. De montrer que la découverte de la séropositivité n’est pas associée à des renoncements de toute sorte. Et de lever un certain nombre d’interdits que les uns et les autres se posent: je ne pourrai pas avoir de relation stable ni créer une famille… Se traiter pour prévenir, ce n’est pas uniquement altruiste ! C’est aussi réduire la peur de la transmission, son impact sur la libido, avoir une meilleure qualité de vie sexuelle et donc une meilleure qualité de vie. Voire reprendre une activité sexuelle que beaucoup avaient abandonnée. C’est avec plein d’enjeux individuels qu’on arrive à faire de la santé publique: si je sais que si je me dépiste et que je suis séropo, je vais pouvoir me traiter pour prévenir la transmission, je suis un séropositif qui s’ignorait mais qui maintenant va pouvoir être suivi.
Réduire la peur de transmettre
Réduire sa peur de transmettre est donc un bénéfice individuel pour les personnes séropositives, tout comme l’est celui de réduire la peur de se contaminer avec des partenaires – d’un soir ou d’une vie – pour une personne séronégative. Enfin, ce « point de vigilance » sur l’injonction au traitement est une problématique qui concerne essentiellement les pays du Nord. Rappelons qu’au Sud, moins d’un tiers des personnes qui ont un besoin vital du traitement y ont accès.