Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.
L’annonce en appartient au premier intervenant1Garnett G, MOPL0101 de cette conférence, Geoff Garnett, professeur d’épidémiologie au collège impérial de Londres qui, dans son intervention, a posé les questions clés de ce débat : comprendre si l’infléchissement de la prévalence observé récemment reflète une réelle réduction des risques, apprendre à utiliser les modèles pour étudier la combinaison des stratégies d’intervention, étudier ce que les analyses épidémiologiques nous révèlent de la représentation des risques dans les populations.
Chiffres globaux et réalité du terrain
En effet, le chercheur a souligné combien les courbes bien lisses des chiffres globaux de l’épidémie sont loin de refléter l’hétérogénéité des situations observées sur le terrain et que, même à plus petite échelle, les données de prévalence ne montrent que ce qui s’est passé quelques années plus tôt en matière de transmission. Or, ce que nous voulons savoir, c’est si nos interventions fonctionnent ici et maintenant. C’est là où la modélisation apporte son aide. Comme Geoff Garnett l’explique, il reste encore beaucoup à comprendre dans la relation entre les données sociales, économiques et structurelles et les variables comportementales qui influencent l’incidence de l’infection à VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Pourtant, les données existent. Les modélisations théoriques, validées grâce à ces données statistiques du terrain, permettent d’explorer de nouvelles pistes.
Plusieurs études présentées, tant lors de la conférence que dans le 3e atelier sur la transmission du VIH qui précédait, ont brillamment illustré ces propos. De plus, l’atelier a offert aux chercheurs présents à la conférence mondiale la possibilité de développer plus longuement leurs travaux.
Etude des réseaux de partenaires
Ainsi, Martina Morris, sociologue à l’université de Washington, a présenté les conclusions de ses études des réseaux de partenaires dans la transmission du VIH. Lors de sa présentation à la conférence2Morris M et al., « New methods for modeling partnership network impacts on HIV/STI transmission dynamics », TUAC0203, elle a expliqué que l’analyse des comportements individuels n’est pas suffisante pour comprendre le risque de transmission du VIH. En effet, une personne n’est pas contaminée par son comportement mais par son partenaire. Ce sont donc les relations entre individus se cumulant dans des réseaux qu’il convient d’étudier. Le risque individuel est ainsi déterminé par la position d’une personne dans le réseau, et le potentiel épidémiologique au niveau d’une population se révèle par l’analyse de la connectivité de ce réseau. Les modélisations habituellement employées, basées sur le hasard, ne rendent pas compte de tous les aspects de la complexité d’un réseau de relations sexuelles : elles considèrent souvent les rencontres comme fortuites et n’assimilent pas les relations répétées comme un partenariat possiblement stable.
De plus, la généralisation de modèles spécifiques n’est souvent pas pertinente. C’est pourquoi le Network Modeling Project, que dirige Martina Morris, a mis au point une sorte de laboratoire virtuel capable de tester par simulation l’effet d’interventions biomédicales ou comportementales de prévention. Ses travaux actuels sur ce modèle suggèrent que de très faibles modifications de comportement peuvent induire de très fortes réductions de la transmission, ce qui permet notamment de comprendre les récents reculs de la prévalence dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne.
Type de réseau et dynamique de l’épidémie
Au cours du 3e atelier sur la transmission du VIH3Session 3, Modelling of HIV transmission, la chercheuse américaine a démontré tout l’intérêt de son modèle pour analyser comment l’impact du mode de relations qui lie les individus influence la vitesse de propagation du VIH ou des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. Mais l’utilisation de ces modélisations ne devient intéressante qu’à l’épreuve de la comparaison avec les données récoltées sur le terrain. C’est ce qu’elle a fait grâce à deux études des réseaux de relations sexuelles, l’une faite en Thaïlande, l’autre en Ouganda, ces deux pays représentant deux phases de l’épidémie très différentes au moment des observations (milieu des années 1990) dont les données quantitatives et qualitatives sont pourtant très comparables. Ainsi apparaît l’énorme influence du type de réseau sur la dynamique de l’épidémie, très différente dans les deux cas.
En effet, tandis que les données comportementales individuelles ne distinguent pas vraiment les effets d’un multi-partenariat où les partenaires se succèdent de celui où ils sont concurrents, cette nouvelle approche montre très clairement que les interventions se révélant efficaces ne sont pas les mêmes selon le type de réseau que les individus construisent. La simulation permet surtout, grâce aux données de terrain, de déterminer les meilleurs modes d’intervention en tenant compte des paramètres peu évolutifs, comme les spécificités culturelles – organisation de la prostitution ou modèle de partenariat concurrent –, et de ceux plus universels comme la concordance d’âge.
Transmission sexuelle chez les usagers de drogue
Quelques autres études proposées dans ces sessions ont apporté un éclairage intéressant sur les approches de prévention. Ainsi, en étudiant la prévalence des co-infections VHC et VHS-2 avec celle du VIH chez des usagers de drogue ou anciens usagers de drogue new-yorkais, Don C. Des Jarlais et ses collègues4Des Jarlais DC et al., « Using hepatitis C virus and herpes simplex virus-2 to track HIV among injecting drug users in New York City », TUAC0205 montrent que la dynamique de l’infection à VIH dans cette population n’est pas seulement liée à l’échange de seringues. La très forte association entre infection par VIH et VHS-2 chez des usagers de drogue dont l’usage remonte à 1995 montre l’importance de la transmission sexuelle dans ce groupe et révèle surtout l’importance qu’il y a à intégrer cette dimension dans les messages de prévention qui lui sont destinés.
L’équipe de Ulrich Marcus, du Robert-Koch Institut à Berlin53e atelier transmission, abstr. 13, alertée comme dans d’autres pays occidentaux par la recrudescence depuis 2001 du nombre de contaminations dans la population homosexuelle6Marcus U et al., « Estimating the distribution of men who have sex with men (MSM) in the population based on Internet samples », MOPE0452, a entrepris une analyse géographique des épidémies concomitantes d’IST dans cette population afin de pouvoir rechercher d’éventuelles corrélations avec l’augmentation de l’incidence du VIH. Les résultats montrent une très forte corrélation entre les incidences de syphilis et du VIH dans la plupart des régions.
Cela corrobore les données du réseau de surveillance allemand qui observe une forte recrudescence des IST chez les gays VIH-positifs pratiquant la sélection de leurs partenaires selon leur statut sérologique. Mais c’est également le cas pour les séronégatifs dont le comportement est à haut risque de transmission, favorisant ainsi leur contamination par le VIH. Les chercheurs en concluent que l’intensification ciblée du dépistage ne sera certainement pas suffisante à réduire la transmission du VIH dans cette population.
La circoncision, un outil d’intervention puissant
Utiliser la modélisation mathématique pour étudier la mise en oeuvre d’interventions de prévention, c’est ce qu’ont présenté Ramzi Alsallaq et Laith Abu-Raddad, du Fred Hutchinson Cancer Research Center à Seattle73e atelier sur la transmission du VIH, abstr. 24, et « Male circumcision is a leading factor behind the differential HIV prevalence in Sub-Saharan Africa », MOPE0254, dans une étude sur l’impact de la circoncision sur la transmission du VIH en Afrique subsaharienne. Ce travail de modélisation a été basé sur leurs précédentes études de terrain (the Four-City Study) en Afrique, permettant une confrontation du modèle à des données observationnelles à long terme sur des populations circoncises ou non. Leurs résultats attestent du rôle prépondérant de la circoncision comme facteur expliquant les différences de prévalence du VIH existantes entre les populations de l’ouest africain, circoncises, et celles de l’est et du sud du continent, non circoncises. Ils concluent d’un travail approfondi sur leur modèle que la circoncision est un outil d’intervention puissant contre le VIH dont l’impact est d’autant plus sensible qu’il est utilisé tôt dans le développement de l’épidémie.