Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.
«Goulot d’étranglement génétique»
Eric Hunter (Emory Vaccine Center, Atlanta) a présenté une étude détaillée des virus récemment transmis, à partir d’une analyse des cas de primo-infection dans une cohorte de couples séro-discordants en Zambie1Hunter E, « Determinants of HIV transmission », MOSY0602. Un résultat important est que si la personne infectée est porteuse d’ulcères génitaux, la diversité virale en primo-infection peut être plus grande, et donc le phénomène de «genetic bottleneck» moins marqué. Ceci suggère que si l’intégrité de la muqueuse est rompue, plusieurs variants viraux peuvent être transmis et amplifiés en même temps. Le «genetic bottleneck» correspondrait donc à une limitation du nombre de virus transmis quand la muqueuse est intacte, plutôt qu’à une amplification préférentielle d’un des variants transmis.
Stabilisation du réservoir sous thérapie antirétrovirale efficace
Robert Siliciano (Johns Hopkins Medicine, Baltimore) a présenté un excellent résumé de l’état des connaissances sur les mécanismes d’établissement et de persistance du réservoir viral chez les patients sous thérapie efficace2Siliciano R, « HIV Persistence on Patients on HAART : Re-Evaluating Prospects for Eradication », WEPL0101. Il a également rappelé les résultats d’un article récent permettant de mieux comprendre pourquoi certaines classes de molécules antirétrovirales sont plus efficaces que d’autres3Shen L et al., « Dose-response curve slope sets class-specific limits on inhibitory potential of anti-HIV drugs », Nat Med, 2008, 7, 762-6. L’efficacité d’une molécule antivirale est généralement mesurée in vitro par sa capacité à inhiber la réplication virale à différentes doses : le paramètre classiquement analysé est la concentration de drogue donnant 50% ou 90% d’inhibition de la réplication virale (IC50 ou IC90).
R. Siliciano et coll. ont montré que la pente de la courbe ayant pour abscisse la concentration de drogue et pour ordonnée le pourcentage d’inhibition de la réplication est également très informatif. En effet, de petites variations de cette pente peuvent avoir de grandes conséquences sur la capacité d’une drogue à bloquer efficacement la réplication du virus in vivo. Ainsi, un changement de pente d’un facteur trois peut se traduire en théorie par 4 logs d’écart dans la charge virale observée après une monothérapie. Le paramètre de pente représente en fait la capacité des molécules antivirales à coopérer entre elles, et donc à atteindre une efficacité accrue dès que leur concentration dépasse un seuil critique. Les classes de molécules ayant le meilleur facteur de pente sont les inhibiteurs de protéase et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI). En revanche, ce facteur est faible (proche de 1) pour les inhibiteurs nucléosidiques (INTI) et les inhibiteurs d’intégrase. R. Siliciano conclut que tout régime antiviral efficace devra inclure au moins une molécule à facteur de pente élevé, c’est-à-dire à l’heure actuelle un inhibiteur de protéase ou un INNTI
Origines de la virémie résiduelle
D’autre part, R. Siliciano a présenté de nouvelles données sur la dynamique du réservoir viral. Il a rappelé que même chez les patients ayant une charge virale dite « indétectable », c’est-à-dire sous le seuil de 50 copies d’ARN VIH par ml de plasma, le virus persiste en fait à bas bruit, souvent entre une et 50 copies. La source de cette virémie résiduelle a plusieurs origines possibles : 1/ une réplication du VIH persistante, du fait que la thérapie antirétrovirale n’a pas une efficacité parfaite, et ne bloque pas la propagation virale à 100% ; 2/ la réactivation de cellules T CD4 infectées de façon latente, qui peuvent être réactivées lorsqu’elles rencontrent leur antigène spécifique, et recommencent alors à produire du virus.
Des analyses phylogénétiques du virus résiduel permettent de trancher entre ces deux explications. En effet, un virus issu d’une réplication à bas bruit accumule des mutations au fil des cycles de réplication virale, ce qui fait évoluer sa séquence. En revanche, les virus issus de la réactivation de cellulles infectées de façon latente sont produits de façon sporadique et n’évoluent pas au cours du temps.
La thérapie suffisamment efficace
pour bloquer la réinfection des cellules
Les résultats récents du groupe de R. Siliciano montrent que chez près de 50% des patients traités efficacement, la seule source de virus résiduelle semble être les cellules infectées de façon latente. Ce résultat est important, car il montre que dans la moitié des cas, la thérapie est suffisamment efficace pour bloquer la réinfection des cellules par le VIH. Une conséquence majeure est qu’il n’y a pas à craindre d’évolution de résistance aux antirétroviraux chez ces patients. Une seconde conséquence est que chez ces mêmes patients, le nombre de cellules infectées peut décroître au cours du temps, même si c’est à un rythme très lent. Une troisième conséquence est que l’intensification du régime thérapeutique, en ajoutant une quatrième molécule, n’aura pas d’effet sur la taille du réservoir viral chez ces patients, puisque ce réservoir est déjà stabilisé par l’absence de nouvelles réinfections.
Cette notion est compatible avec les résultats des essais d’intensification, qui ne semblent pas avoir eu jusqu’ici un effet majeur sur la taille du réservoir. R. Siliciano reste pour l’instant réservé sur la possibilité d’élimination du réservoir viral par réactivation des cellules latentes, car il considère qu’une molécule permettant de réactiver toutes les cellules infectées de façon latente n’a pas encore été identifiée.