I – L’essai Anrs-Ipergay ne risque-t-il pas de conduire à un relâchement des comportements de prévention, en particulier l’usage du préservatif ?
Cet essai ne consiste pas à mesurer l’efficacité, seule, d’un médicament anti-VIH chez des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) particulièrement exposés au risque d’infection par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. L’essai Anrs-Ipergay teste cette hypothèse dans un cadre de prévention renforcée, qui propose à tous les participants des conseils personnalisés de prévention, des préservatifs et gels gratuits, des dépistages et traitements des autres infections sexuellement transmissibles (IST), des vaccinations contre les hépatites A et B. On peut ainsi affirmer que les volontaires de cet essai bénéficient de prestations de prévention en qualité et en nombre bien supérieures à ce qui est proposé dans «la vraie vie».
Il ne s’agit donc pas d’opposer le traitement à visée préventive (en l’occurrence le Truvada®, une association de deux molécules antirétrovirales) aux modes de prévention plus classiques et de remplacer l’usage du préservatif, dont chacun connait l’efficacité pour se protéger. Il s’agit au contraire pour les médecins-chercheurs d’essayer d’élargir la palette des moyens de prévention et d’associer l’ensemble de ces moyens pour des populations qui ont des difficultés à se protéger en permanence. L’objectif est ainsi de diminuer le risque d’être infecté par le VIH.
La recherche en prévention, qu’elle concerne le vaccin, les microbicides, la circoncision masculine, l’usage des antirétroviraux à visée préventive, est à l’agenda des organismes de recherche internationaux qui y consacrent une part importante de leurs efforts. L’Anrs y contribue également de manière importante.
II – Pourquoi cet essai est-il mené auprès des HSH ?
La population des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. en France, et dans les pays développés, est aujourd’hui la plus touchée par l’infection par le VIH. En 2010, parmi les 6 300 nouveaux cas de VIH diagnostiqués dans l’année, 40% étaient des HSH. On peut dire aujourd’hui que si aucune autre stratégie complémentaire de prévention n’est proposée, cette population pourrait être, dans les années à venir, majoritairement infectée par le VIH.
III – La communauté des HSH a-t-elle été associée à cet essai ?
Plus que pour tout autre essai. Les modalités de l’essai ont été largement discutées au sein d’un comité associatif « spécifique » à l’étude, ce qui est une première dans l’histoire de l’Anrs. Ce comité1Action santé alternative, Act Up-Paris, ALS- Lyon, Association des médecins gais, Dialogai, Fédération des associations LGBT/Cigales, Forum Gay et Lesbien de Lyon, Inter LGBT, Homos musulmans de France, Keep smiling, Les Flamands Roses/J’en Suis, J’Y Reste – Centre LGBTQIF de Lille-Nord Pas de Calais, Association Rimbaud, LGP Marseille/Boucle rouge, Sneg, TRT-5, Warning, LGP Lyon., qui représente les intérêts des participants à l’essai, associe 16 associations, communautaires « LGBT », Lesbienne Gay Bi & Trans, et aussi des associations de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. dont le TRT-5, qui réunit huit d’entre elles. Le TRT-5 a préalablement organisé une consultation communautaire sur ce sujet (disponible sur http://www.trt-5.org/). Ipergay a été de nombreuses fois discuté sur le terrain. Par exemple, avec les associations, le 5 Mars 2011 (à la Mairie de Paris), ou encore dans des Centres LGBT Parisiens et Lyonnais. Le site de l’essai www.ipergay.fr est également une plate-forme où chacun peut poser ses questions et obtenir de l’information.
IV – Le socle de connaissances sur lequel s’appuie Ipergay est-il suffisant ?
L’essai Iprex, mené par les National Institutes of Health américains, est la seule étude d’efficacité du traitement pré-exposition (Prep), dans un cadre global et renforcé de prévention, ayant été menée chez des HSH séronégatifs. Ses résultats, rendus publics fin 2010, ont montré que le risque de contamination par le VIH était réduit en moyenne de 42% chez ceux qui prenaient tous les jours un traitement par Truvada®, par rapport à ceux qui prenaient un placeboPlacebo Substance inerte, sans activité pharmacologique, ayant la même apparence que le produit auquel on souhaite le comparer. (NDR rien à voir avec le groupe de rock alternatif formé en 1994 à Londres par Brian Molko et Stefan Olsdal.) L’efficacité de la molécule était corrélée à la prise régulière du traitement, tous les jours, donc à l’observance. L’objectif de l’essai Anrs Ipergay est de faciliter l’observance en proposant la prise du médicament uniquement au moment de l’exposition au risque. Cette stratégie devait permettre, tout en améliorant l’efficacité de la stratégie, de limiter les effets secondaires d’un traitement continu et ses coûts.
V – Le bras «placebo» de l’étude est-il éthique ?
En dehors de son succès remarquable dans la prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant, la stratégie qui consiste à utiliser des antirétroviraux pour prévenir l’infection n’a pas encore fait la preuve définitive de son efficacité et a donné des résultats contradictoires selon les populations étudiées (HSH, femmes, hommes hétérosexuels, couples sérodifférents…). La « Prophylaxie pré-exposition » (Prep) par usage de médicaments antirétroviraux n’est donc pas recommandée en pratique courante. C’est en raison de ces incertitudes que des groupes d’experts, britanniques et français, recommandent que soient menées de nouvelles recherches sur la Prep : la démonstration, ou non, de l’efficacité des antirétroviraux en prévention viendra en effet des essais cliniques.
C’est en raison de ces incertitudes scientifiques quant à l’efficacité des antirétroviraux en prévention que l’essai Anrs-Ipergay est randomisé et ainsi mené avec un «bras» Placebo : un groupe recevra le médicament, l’autre le placebo. C’est ce schéma d’étude qui permettra d’apporter la preuve scientifique de l’efficacité éventuelle de la Prep chez les HSH lorsqu’elle est utilisée en association aux autres mesures de prévention.
Enfin, l’utilisation d’un placebo est aussi garant de protection pour les volontaires : les participants à l’essai ne sachant pas à quel bras ils appartiennent (la comparaison entre les groupes se fera en «double aveugle»), tous devront observer les mêmes mesures de prévention, incluant l’usage du préservatif. Le placebo évite que les participants à l’essai, se croyant protégés par le médicament, n’augmentent leur prise de risque. Tout ceci est longuement expliqué dans la note d’information et de consentement éclairé signée par les volontaires de l’essai Anrs-Ipergay.
La question du placebo a été largement débattue à la fois au sein du conseil scientifique de l’essai Anrs-Ipergay (qui regroupe 30 cliniciens, chercheurs en sciences sociales et en recherche fondamentale, représentants associatifs…) ainsi qu’au sein du comité associatif.L’essai Anrs-Ipergay a reçu un avis favorable du Comité de protection des personnes (CPP d’Ile-de-France IV), le 29 septembre 2011, et une autorisation de l’autorité sanitaire française, l’AFSSAPS, le 26 août 2011. Ajoutons enfin qu’un comité indépendant veille aux intérêts et à la sécurité des participants ainsi qu’à l’intégrité scientifique et éthique de la recherche. Un représentant associatif y siège.
VI – Où en est le recrutement de l’essai Anrs-Ipergay ?
Après un an d’actions d’information menées dans la communauté LGBT, l’Anrs a lancé en Janvier 2012 une campagne de recrutement qui assure à l’essai une très bonne visibilité. L’association Aides sensibilise et mobilise en parallèle les HSH sur le terrain.
L’essai se déroule dans sa phase pilote dans trois centres cliniques, à Paris et à Lyon. Les premiers volontaires ont commencé à y être reçus début février. Après entretiens et examens cliniques, les personnes correspondant aux critères et se déclarant intéressées par l’essai ont signé le formulaire de consentement pour participer à l’étude. C’est un processus naturellement long, qui prend plus de temps que dans un essai thérapeutique puisqu’on s’adresse à des personnes saines. 35 volontaires sont aujourd’hui dans l’essai, huit devraient y entrer sous peu. On peut donc dire que le recrutement s’opère de manière satisfaisante. La phase pilote se déroulera sur un an et s’achèvera en février 2013.
La campagne de recrutement de l’Anrs rentre dans sa deuxième phase par l’édition de nouveaux types de documents, l’organisation de nouvelles réunions de terrain, l’animation des réseaux sociaux, etc…
VII – Le financement d’Ipergay empêche-t-il que d’autres essais, en particulier thérapeutiques, soient menés à l’Anrs ?
L’essai Anrs-Ipergay a été évalué par un comité scientifique spécialisé en recherches en santé publique2Comité scientifique sectoriel 5 de l’Anrs «Recherches en santé publique, sciences de l’homme et de la société»., comprenant des experts étrangers, qui a évalué de façon indépendante la qualité scientifique du projet et approuvé sa mise en place. L’Anrs a dégagé 1,3 million d’euros pour mener la phase pilote d’acceptabilité et de faisabilité de l’essai. Cette somme n’est pas puisée sur la ligne des «essais thérapeutiques du VIH» de l’agence mais sur la ligne « Recherches en santé publique ». A ce propos, 14 essais thérapeutiques (s’adressant donc à des personnes infectées par le VIH) sont en cours à l’agence : ils représentent un budget de plus de 16 millions d’Euros. Ajoutons à cette somme quatre millions pour les essais concernant les patients co-infectés par le VIH et un virus des hépatites.
Le projet Anrs-Ipergay n’exclut pas que les autres domaines de recherches en prévention de l’Agence soient soutenus activement : par exemple, le budget annuel de l’agence pour son programme de recherches sur le vaccin s’élève à près de quatre millions. L’Anrs a consacré aux récentes grandes enquêtes sur les comportements en France un budget d’environ quatre millions d’euros.