Détection précoce de la leptospirose : une avancée possible grâce aux protéines virulence-modifying (VMP) ?

La leptospirose demeure l’une des zoonoses les plus sous-diagnostiquées au monde, malgré une incidence annuelle estimée à plus d’un million de cas et 60 000 décès. Sa présentation clinique polymorphe, sa confusion fréquente avec d’autres fièvres tropicales et les limites des outils diagnostiques classiques contribuent à une sous-estimation massive de son fardeau. Une étude récente apporte cependant une possible avancée grâce à un diagnostic sérologique ultra-précoce basé sur la détection d’anticorps dirigés contre une famille récemment décrite de toxines secrétées par Leptospira, les virulence-modifying proteins (VMP).

La leptospirose, une maladie potentiellement grave

La leptospirose peut mettre la vie en danger si elle n’est pas diagnostiquée ou si elle est grave, entraînant la maladie de Weil caractérisée par une atteinte multiviscérale, notamment une insuffisance rénale, une hépatite ou une hémorragie pulmonaire potentiellement mortelle – ces deux dernières pouvant se compliquer de translocation digestive avec sepsis grave par bactériémie.

VMP : une nouvelle voie pour comprendre et diagnostiquer la leptospirose

Les VMP appartiennent au groupe génétique PF07598, identifié exclusivement chez les espèces pathogènes de Leptospira. Contrairement aux toxines classiques de type AB, les VMP se distinguent par une architecture “ABC” unique : un peptide signal de sécrétion, deux domaines lectine de type ricine (RBL1 et RBL2) en région N-terminale, et un domaine C-terminal toxique à activité DNase. Ces protéines, largement surexprimées in vivo, sont désormais reconnues comme les principaux effecteurs cytotoxiques du pathogène.

Parmi elles, deux acteurs majeurs se démarquent :

  • LA3490, la protéine VMP pleine longueur, déjà connue pour sa forte cytotoxicité in vitro ;
  • LA0591, une variante naturelle dépourvue des domaines lectine, ne conservant que la région C-terminale. Son rôle dans la pathogénie reste distinct, car elle pourrait être produite ou libérée dans des contextes intracellulaires, suggérant une fonction différente dans l’évolution de l’infection.

Découvrir que ces toxines sont immunogènes a conduit les chercheurs à émettre l’hypothèse suivante : et si les anticorps anti-VMP pouvaient servir de biomarqueurs très précoces de la maladie ? L’étude publiée dans la revue spécialisée American Journal of Tropical Medicine and Hygiene explore précisément cette question.

Une étude clinique menée au Sri Lanka

Les chercheurs ont analysé 233 sérums de patients fébriles recrutés dans plusieurs hôpitaux sri lankais, qu’ils ont comparés à ceux de 41 témoins sains. Le diagnostic de leptospirose a été porté au moyen de méthodes de référence : la réaction en chaîne par polymérase quantitative (qPCR) ciblant les gènes lipL32 et 16S, le test de microagglutination (MAT) sur un large panel de sérotypes, et une tentative d’isolement dans un milieu de culture EMJH (le milieu Ellinghausen–McCullough–Johnson–Harris est un milieu de culture sans sérum, contenant un complexe albumine-oléique) pour tous les échantillons des patients.

Les protéines VMP recombinantes – LA3490, LA0591 et un assemblage des domaines RBL – ont été produites, purifiées et utilisées comme antigènes dans des ELISA IgG.

L’objectif : déterminer leur capacité à détecter des anticorps spécifiques dès les premiers jours de la maladie.

Résultat majeur : LA0591 détecte la maladie dès le jour 2

Les résultats montrent un signal clair : dans toutes les analyses statistiques (ANOVA, comparaisons multiples, classification par sous-groupes), LA0591 surpasse les deux autres antigènes. Les anticorps anti-LA0591 sont détectés dès le deuxième jour des symptômes, ce qui dépasse de loin les performances des méthodes sérologiques actuelles.

Autres points clés des résultats :

  • Les cas confirmés par qPCR et MAT présentent des niveaux nettement plus élevés d’anticorps anti-VMP, surtout anti-LA0591, par rapport aux témoins. Cela signifie que les protéines VMP, en particulier LA0591, génèrent une réponse anticorps forte et très distincte dans les infections confirmées. Cette signature sérologique robuste suggère que les VMP sont exprimées tôt et reconnues immédiatement par le système immunitaire.
  • L’analyse montre également que LA0591 distingue nettement les cas confirmés des cas non infectés, alors que RBLs est plus sujet à des réactions croisées, probablement liées à des pathologies fébriles co-endémiques.
  • Les anticorps anti-LA0591 sont détectables dès le deuxième jour des symptômes, même lorsque le MAT est encore négatif, lorsque la qPCR n’a pas encore détecté la bactérie ou lorsque les tests conventionnels restent indéterminés. Selon les auteurs, LA0591 deviendrait un outil clé pour le diagnostic précoce, là où les tests traditionnels échouent en règles dans les cinq premiers jours après l’apparition des symptômes.
  • Chez les patients ayant ultérieurement séroconverti (positifs en convalescence mais négatifs en phase aiguë selon le test MAT), LA0591 atteint des valeurs de densité optique (OD) aussi élevées que celles observées dans les MAT fortement positifs. Cela signifie que LA0591 repère les cas “cachés” que le MAT manque régulièrement. C’est un point essentiel, car le MAT est notoirement peu sensible dans les premiers jours – et pourtant considéré comme la référence.
  • Les courbes ROC (Receiver Operating Characteristic ou caractéristique de performance), comparant les cas confirmés aux témoins sains, sont particulièrement convaincantes (AUC LA0591 = 0.948 ; AUC LA3490 = 0.931), reflétant la forte capacité discriminante entre des échantillons sains et malades de ces deux protéines.

Selon les auteurs de l’étude, ces performances approchent celles des meilleurs biomarqueurs infectieux en médecine tropicale. Ces valeurs positionnent LA0591 comme l’un des meilleurs biomarqueurs sérologiques jamais testés pour la leptospirose. L’antigène possède une capacité quasi parfaite à distinguer maladie et absence de maladie.

En revanche, les taux d’anticorps ne sont nullement influencés par la sévérité de la maladie, une forme compliquée, l’atteinte d’organes ou des complications pulmonaires. Pour les chercheurs, ces résultats signifient que les VMP sont d’excellents outils diagnostiques mais pas pronostiques. Leur utilité doit donc être centrée sur la détection précoce, pas sur la prédiction de l’évolution.

Pourquoi LA0591 fonctionne-t-elle mieux que les autres VMP ?

Plusieurs hypothèses émergent :

  • Une exposition précoce et une immunogénicitéImmunogénicité Capacité à produire une réponse immunitaire. élevée : le domaine C-terminal, qui constitue LA0591, serait rapidement accessible au système immunitaire, peut-être du fait de la mort bactérienne ou d’une libération intracellulaire précoce.
  • Une moindre complexité structurelle : l’absence des domaines lectine pourrait favoriser une présentation antigénique plus directe.
  • Une conservation élevée de la séquence : les paralogues du groupe PF07598 partagent plus de 95 % d’identité en acides aminés, ce qui pourrait favoriser la détection croisée entre sérogroupes et renforcer la sensibilité.
  • Une association avec la pathogénie précoce : si LA0591 intervient dans des étapes initiales de l’infection, sa production pourrait précéder largement l’apparition d’anticorps anti-Lig ou anti-LipL32, habituellement tardifs.

Une réponse IgG rapide : signe d’une mémoire immunitaire locale ?

L’apparition ultra-précoce d’IgG pourrait surprendre. En effet, ce résultat va à l’encontre du paradigme selon lequel les IgG sont tardives dans les fièvres tropicales. Les auteurs rappellent toutefois que dans les zones d’endémie, les patients peuvent présenter une immunité mémoire renforcée par des expositions antérieures. Ce mécanisme de “boost” pourrait expliquer une séropositivité précoce sans diminuer la valeur diagnostique de l’outil.

Cette étude propose donc un nouveau paradigme : remplacer les antigènes classiques par les VMP, véritables signatures moléculaires de la virulence leptospirale.

Un potentiel pour la mise au point de tests rapides

Les auteurs évoquent la possibilité d’intégrer LA0591 dans un test de diagnostic précoce. Un tel outil répondrait à des besoins majeurs :

  • Diagnostic immédiat en zone rurale,
  • Triage dans les services d’urgence,
  • Surveillance épidémiologique,
  • Distinction entre dengue et leptospirose en milieu tropical.

Limites de l’étude

L’étude souffre néanmoins de nombreuses limites méthodologiques. La cohorte limitée tant en nombre de cas que de contrôles, et ce dans une seule région hyperendémique du Sri Lanka avec des conditions d’infection, de cinétique d’échantillonnage et de sévérité qui peuvent ne pas refléter la diversité des patients en pratique réelle dans d’autres régions.

  • Absence de panel systématique de maladies fébriles concurrentes (dengue, rickettsioses, paludisme, hantavirus…) ;
  • Les protéines « virulence‑modifying » (VM, famille PF07598) sont des exotoxines sécrétées exclusivement par  les leptospires pathogènes de groupe 1,ce qui pose problème pour le autres sérotypes (ils existent plus de 300 sérovars (variants antigéniques)) ; 
  • Absence de validation multicentrique. D’ailleurs sur PubMed, les quatres articles portant sur Virulence-Modifying Protein Exotoxins viennent de la même équipe de recherche ;
  • ROC calculées sur le même échantillon que celui utilisé pour l’estimation initiale ;
  • Anticorps uniquement mesurés en phase aiguë d’où un manque de données longitudinales.

Perspectives : vers un changement de paradigme diagnostique ?

En conclusion, les données suggèrent que LA0591 pourrait devenir le biomarqueur sérologique précoce disponible pour la leptospirose, capable d’améliorer drastiquement la détection précoce, une étape déterminante pour réduire la mortalité.

Référence

  • Joseph M. Vinetz et al. Early Diagnosis of Human Leptospirosis by Detection of Antibodies to Leptospira-Secreted Virulence-Modifying Protein Exotoxins. Am. J. Trop. Med. Hyg., 00(00), 2025, pp. 1–10 doi:10.4269/ajtmh.25-0510