Plus de 300 cas autochtones de chikungunya dans l’hexagone, un record
Depuis début 2025, près d’un millier de cas importés de La Réunion et plus de 300 cas autochtones ont été enregistrés en France métropolitaine, une situation qualifiée d’inédite depuis l’épidémie survenue en Italie en 1990, a souligné Anna Bella-Failloux, directrice du laboratoire ArbovirusArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur. En cause, la très grosse épidémie qui sévit à La Réunion, avec plus de 200 000 contaminations, et l’adaptation du moustique-tigre, vecteur du virus, à notre climat. « Le moustique-tigre est désormais présent dans 81 des 96 départements de l’Hexagone, a rappelé la spécialiste. Et des cas de chikungunya ont été rapportés dans des régions jusqu’alors épargnées comme la Nouvelle Aquitaine, Grand-Est et la Bourgogne-Franche-Comté ».
Pour la chercheuse, la particularité du virus est la rapidité avec laquelle il atteint les glandes salivaires d’un moustique infecté : 4 à 7 jours contre 15 à 21 jours pour les virus de la dengue et du zika. Une rapidité qui limite la fenêtre de tirs dont on dispose pour lutter contre la transmission.
À ce jour, la lutte contre le moustique-tigre repose sur deux approches :
- L’approche directe consiste à tuer les insectes adultes à l’aide de la deltaméthrine. « Seule molécule insecticide autorisée », la deltaméthrine infecte le système nerveux des insectes mais pas celui de l’Homme, a expliqué Anna Bella-Failloux. « En théorie, il n’y a pas de risque pour l’Homme », assure l’experte, sans exclure que l’utilisation de doses très importantes pourrait exposer à des risques.
- Utilisée entre deux épidémies, l’approche indirecte s’appuie sur deux techniques qui ont chacune fait leurs preuves : la technique de lâchage de mâles stériles a fait chuter le nombre d’insectes à Brive-la-Gaillarde notamment, tandis que celle qui consiste à inoculer au moustique-tigre la bactérie WolbachiaWolbachia L’utilisation de la bactérie intracellulaire Wolbachia est l’une des formes de lutte biologique utilisée contre certains virus comme la dengue. Elle est naturellement présente chez certains insectes et empêche les arbovirus de se multiplier dans l’organisme des moustiques. Contrairement à Ae. albopictus, Ae. aegypti, principal vecteur des arboviroses, est naturellement dépourvu de la bactérie Wolbachia. La transfection de wMelPop issus de la mouche drosophile chez Ae. aegypti conduit à une diminution des densités de populations par une stérilité produite lors de l’accouplement d’une femelle et d’un mâle infectés par des souches de Wolbachia différentes, la diminution de la compétence vectorielle pour différents arbovirus et la réduction de la durée de vie du moustique. pour empêcher la multiplication du virus s’est traduite par l’absence de cas autochtones en Nouvelle-Calédonie depuis 2019, année où l’essai a été lancé. « Utilisées à grande échelle au Brésil, ces approches fonctionnent très bien, a insisté la directrice du laboratoire Arbovirus et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur. Malheureusement, leur coût est élevé et nous manquons d’experts, notamment pour élever les moustiques-tigres nécessaires à l’application de la première méthode ».
H5N1, une menace à ne pas sous-estimer
Depuis la découverte des premiers cas de grippe aviaire H5N1 à Hong Kong en 1997, « plus d’un millier de cas humains, dont un tiers mortel, ont été rapportés, principalement en Asie du Sud-Est et en Égypte », a rappelé Sébastien Soubies, chercheur à l’INRAE. Tous les virus H5N1 qui circulent actuellement sont des descendants de la souche hongkongaise. « En 2020-2021, l’un d’entre eux a diffusé avec une ampleur extême en Europe, en Asie et aux États-Unis ». Outre les animaux d’élevage, cette souche a contaminé de nombreux mammifères sauvages (renards, ours, éléphants de mer), mais aussi des animaux domestiques (chats, chiens, bovins). « Cette adaptation du virus aux différentes espèces animales est une première étape avant son adaptation à l’Homme », a mis en garde l’expert.
Plus récemment, en mars 2024, H5N1 a été détecté dans des troupeaux de bovins laitiers. « Le virus a contaminé le lait et a diffusé de troupeaux en troupeaux, en infectant 1078 dans 17 États américains ». Environ 70 hommes, tous travaillant sur les exploitations laitières contaminées, ont également été infectés. « Dans la majorité des cas, il s’agit d’infections peu sévères mais un décès a tout de même été déploré ». Des traces d’anticorps ont par ailleurs été relevées chez 3 des 150 vétérinaires testés. Si un taux élevé de virus a été détecté dans le lait des vaches infectées, aucun cas d’infection directe par la consommation de lait n’a été rapporté. « La pasteurisation suffit à inactiver le virus », a assuré Sébastien Soubies. Néanmoins, a nuancé le chercheur, « si aucune transmission interhumaine n’a jamais été relevée, les fortes capacités évolutives et la hausse du nombre de cas humains depuis 5 ans justifient la mise en œuvre de mesures de contrôle très importantes et une surveillance très rapprochée dans le cadre d’une stratégie One Health ».
Vaccination des canards d’élevage pour réduire l’exposition des professionnels au virus, surveillance des animaux de compagnie et des mammifères présents dans les exploitations, surveillance environnementale afin de détecter la présence du virus dans les étangs, les lacs et les eaux usées… Autant de méthodes appliquées en France qui visent à limiter au maximum le risque que le virus H5N1 rentre dans la chaîne de consommation humaine.
Fièvre hémorragique Crimée-Congo : mieux comprendre la situation
Moins connue du grand public, la fièvre hémorragique Crimée-Congo (FHCC) est une zoonose virale qui se transmet via certaines espèces de tiques infectées, Hyalomma marginatum. L’homme peut être infecté par la morsure d’une tique infectée ou via un contact étroit avec le sang ou les fluides corporels d’un animal ou d’un être humain infecté. « Il n’existe pas de cas humain en France », a rassuré d’emblée Raphaëlle Metras, chercheuse en épidémiologie des zoonoses (Sorbonne Université). En revanche, 66 cas humains ont été rapportés en Europe depuis 2013, plus précisément en Bulgarie, en Grèce, en Espagne et au Portugal. « En 2025, 5 cas ont été recensés : 2 en Grèce et 3 en Espagne », a indiqué la chercheuse. Et de préciser : « La FHCC est asymptomatique dans 70 à 90 % des cas, mais peut entraîner des formes hémorragiques dans 5 à 40 % des cas ». Selon des estimations de l’OMS, l’infection serait présente dans 30 pays et provoquerait entre 10 000 et 15 000 infections par an.
Et en France, quel est le risque ? « Il existe mais sa probabilité reste à estimer ». Des travaux sont en cours à l’unité des virus émergents de l’université de Corte en Corse, où la présence de tiques Hyalomma marginatum a été observée, comme dans tous les départements du pourtour méditerranéen (Pyrénées-Orientales, Aude, Hérault, Gard, Bouches-du-Rhône, Var, Alpes-Maritimes), ainsi qu’en Drôme et en Ardèche. « Les travaux portant sur les échantillons collectés en 2023 et 2024 sur des ovins, bovins, caprins et chevaux contaminés en Corse ont permis de mettre en évidence la présence d’anticorps anti-FHCC à des taux certes très faibles mais néanmoins existants ». Des signaux d’alerte qui incitent à la plus grande vigilance. « Il est nécessaire de comprendre et de documenter cette situation épidémiologique à la fois dans le temps et dans l’espace. Nous devons mener des études à plus grande échelle chez l’Homme et comprendre l’évolution de la contamination chez les animaux ».
C’est tout l’objet du projet ARCHE. Lancé le 1er Octobre 2024 pour une durée de 5 ans, ce projet, basé sur une approche « One Health », est coordonné par l’UR BIOSCOPE Génomique Métabolique du Génoscope (INSERM – Université de Corse Pascal Paoli), sous la direction d’Alessandra Falchi, et financé par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) dans le cadre du Programme de recherche ANR France 2030 PEPR PREZODE* (Preventing Zoonotic Diseases Emergence). Son but : modéliser les processus épidémiques, évaluer les scénarios possibles et proposer des stratégies de prévention adaptées, afin de fournir des informations utiles aux autorités sanitaires et d’améliorer la gestion des risques sanitaires liés au CCHFV. D’ici là, les seuls moyens de se prémunir reste de porter des vêtements longs pour éviter de se faire piquer par des tiques infectées.
* Le PEPR PREZODE a pour objectif de renforcer la production de connaissances et le développement d’outils pertinents pour définir des stratégies innovantes de réduction des risques et de détection précoce des émergences.