Le Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) a récemment publié une évaluation des risques de situations sanitaires exceptionnelles (SSE) majeures pour la santé humaine en France au cours des années 2025-2030. Le Covars a pris en 2022 la suite du Conseil scientifique Covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Il est placé auprès des ministres chargés de l’Enseignement supérieur et de la Santé.
Une cartographie de plus?
Dans son avis, le Covars reconnait que plusieurs cartographies des risques infectieux ont déjà été produites par des organismes ou agences nationaux et internationaux. Son intention affichée est de développer une nouvelle approche basée sur les concepts d’«Une seule santé» et de l’exposome1Concept englobant la totalité des expositions à des facteurs environnementaux, c’est-à-dire non génétiques, que subit un organisme humain durant sa vie.. Il propose une définition des SSE comme étant susceptibles d’avoir un impact majeur sur l’offre et la demande de soins. Cela le conduit à dépasser les seules menaces infectieuses pour intégrer un ensemble d’expositions environnementales, notamment d’origine chimique, en prenant en compte leurs conséquences possibles sur la santé physique et psychologique. Il a aussi souhaité prendre en compte les niveaux de preuves disponibles.
Que faut-il entendre par «majeur»? Le Covars propose plusieurs critères:
- Impact majeur sur le système de soins national ou territorial;
- Impact majeur clinique dans la population générale (en termes de mortalité, morbidité DALY et rapidité de contamination de la population…);
- Impact majeur dans une population spécifique (ex : populations d’une aire géographique donnée ou ayant un facteur de risque spécifique…);
- Auxquels s’ajoutent des impacts psychologiques majeurs dans la population générale.
Le résultat est un classement de l’importance des risques infectieux, incluant ceux qui sont liés au changement climatique, des risques liés à la pollution atmosphérique et à la pollution par les agents chimiques en prenant en compte l’urbanisation, le contexte démographique et les spécificités ultra-marines. Il comporte 35 maladies infectieuses (dont 6 à haut risque), incluant une maladie X due à un pathogène inconnu.
Légende du tableau «Synthèse des intensités de risque pour l’ensemble de la France en lien avec 34 maladies infectieuses établie par le COVARS en fonction des 4 séries de 16 critères»
§ : Présence ou potentiel d’introduction ou d’émergence ou de circulation autochtone
° : Potentiel d’augmentation du risque d’émergence ou d’introduction/extension lié au changement climatique, à la pollution, à la perte de biodiversité
* : Potentiel d’extension géographique et épidémique intégrant le mode de transmission et le potentiel évolutif de l’agent
= : Syndrome Post-Infectieux (SPI) ou séquelles
°° : Indisponibilité ou impossibilité de mise en oeuvre des contre-mesures pharmaceutiques ou non pharmaceutiques pour le contrôle
++ : Indisponibilité ou impossibilité de mise en oeuvre des contre-mesures pharmaceutiques ou non pharmaceutiques pour la prévention
** : Absence de plan ou de réglementation régionale, nationale ou internationale
! : Impact social incluant (santé mentale, risque de stigmatisation, etc.)
°°° : Impacts économiques (Arrêtés de travail, tourisme, secteur animalier)
+++ : Impact des contre-mesures (économiques, sociétales, environnementales)
Intensité des risques : majeur (rouge, note de 5), élevé (orange, 4), moyen (jaune, 3), faible (vert, 2), négligeable (bleu, 1).
On peut saluer l’importance de ce travail réalisé dans des délais courts et son ambition. Il soulève néanmoins quelques questions. Avant de les discuter, il convient tout d’abord de se poser la question de l’utilité d’une cartographie des risques.
À quoi sert une cartographie des risques?
De façon générale, tout effort de prospective des risques sanitaires est le bienvenu. Il ne s’agit ni de prédire ni de prévoir, mais de renforcer les capacités à faire face à des événements hors norme qui peuvent déstabiliser le système de santé et la société dans son ensemble. L’impréparation se paye au prix fort, nous l’avons vu avec la pandémie de CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Pour gérer les risques, il ne suffit pas d’être réactif. Il faut un effort de proactivité.
Il est notable et déplorable que l’édifice de sécurité sanitaire se soit toujours construit en réaction à des crises dont les coûts sanitaires et économiques ont été importants. SidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. vache folle, amiante, marée noire de l’Erika, canicules ont été les dangers qui ont conduit le législateur à créer des agences de sécurité sanitaire et l’administration à s’organiser pour gérer les urgences de santé publique. Mais il n’y a jamais eu de réflexion globale sur la détection des risques, leur priorisation, la doctrine de gestion à leur appliquer. Le travail du Covars va en partie dans ce sens.
Il ne faut pas prendre une cartographie des risques comme on prend un bulletin météo. Certains risques considérés comme majeurs peuvent ne jamais se réaliser. D’autres, jugés mineurs, peuvent prendre une ampleur imprévue. Il y a toujours une part d’incertitude et de subjectivité inévitable quand on imagine des événements non encore survenus, mais qui pourraient survenir, pour reprendre la profonde définition du risque que donnait le sociologue Ulrich Beck.
L’évaluation des risques ne dit pas la vérité. Sa principale vertu est de conduire à une organisation du système de réponse qui fasse que les responsabilités soient clairement réparties, que chaque famille de risques ait son « propriétaire » et qu’aucun risque ne soit « orphelin ». Et de se poser la question de savoir si les compétences et les moyens disponibles sont suffisants pour protéger efficacement la population face aux différents risques.
Ainsi, l’évaluation des risques a toujours un côté futile parce que les facteurs qui peuvent créer des risques majeurs sont souvent imprévisibles, variables et très nombreux. Elle n’est utile qu’à la condition qu’elle alimente un système de décision et de gestion, qu’elle contribue à le préparer à réagir efficacement.
On peut toujours discuter tel ou tel point de méthode. Par exemple, faut-il définir les priorités en termes de risque individuel ou collectif? Le Covars ne répond pas clairement à cette question. De même peut-on s’étonner que les risques professionnels soient absents de sa cartographie. Autre question de méthode : la cartographie doit-elle partir des dangers ou des facteurs de risques ? La notion d’exposome est posée comme principe cartographique, mais elle est loin d’être opérationnelle et relève pour l’heure de la recherche. Mais l’essentiel n’est pas là. Il est que dans l’état actuel de l’organisation des pouvoirs publics face aux risques, cette cartographie ne peut pas se traduire de façon décisionnelle et opérationnelle.
Où est la politique de sécurité sanitaire?
La raison principale en est que nous n’avons pas de politique de sécurité sanitaire. Une politique, c’est l’affichage d’une volonté explicite de faire face aux risques et d’intégrer cette préoccupation dans toutes les activités de la société. Elle découle de valeurs partagées, d’une vision des enjeux, d’objectifs définis qui appellent des moyens et une organisation dédiés. Une telle politique se construit à partir d’une cartographie des risques, mais cela ne suffit pas. Il faut aussi des critères de priorité débattus, une répartition claire des responsabilités et une conduite à tenir en situation d’incertitudes, c’est-à-dire un contenu opérationnel à donner au principe de précaution. En un mot, il faut une doctrine de sécurité sanitaire et nous ne l’avons pas.
Les règles actuelles de gestion diffèrent d’un secteur à l’autre : sécurité alimentaire, hydrique, atmosphérique, industrielle, nucléaire, professionnelle, routière, médicamenteuse, transfusionnelle, climatique, sols et déchets, protection des consommateurs, etc. Ces domaines relèvent de tutelles ministérielles et de règles différentes, parfois incohérentes, voire incompatibles entre elles. Cette fragmentation de la gestion des risques est problématique. Elle crée des incohérences que la réglementation européenne a tendance à aggraver. Elle n’aide pas une appréhension correcte par les acteurs des risques et de leurs responsabilités. Le Covars aurait pu insister sur cet aspect afin que son travail ait une réelle valeur décisionnelle.
Ses recommandations portent sur la recherche, bien sûr, et sur le système de soins. En réalité, c’est toute la sphère des politiques publiques qui devrait être revisitée.
Conclusion: une expertise éclatée
Nous avons un Haut comité de la santé publique, une Haute Autorité de santé, des comités d’experts spécialisés sur les risques infectieux, la pollution atmosphérique, etc. Les agences de sécurité sanitaire ont des conseils scientifiques. Nous avons aussi les Académies. Fallait-il une instance supplémentaire? Une vision cynique de la situation peut conduire à penser que cette dispersion de l’expertise est voulue. Plus il y a d’avis d’experts, plus il faut s’attendre à ce qu’ils soient divergents et plus le décideur politique peut s’en affranchir. Le Covars a tenu à prendre en compte les travaux existants et c’est de bonne méthode. Il offre une vision et une grille de lecture pluridisciplinaires des menaces locales ou globales qui pèsent sur la santé.
Son travail pourrait servir de base à un débat démocratique sur les enjeux de la sécurité sanitaire. Le problème est qu’une telle instance de débat n’existe pas.