La soixante-dix-septième assemblée mondiale de la santé s’est tenue à Genève il y a un mois, en mai 2024, sur fond de conflits, d’extrême polarisation géopolitique et de tension, dans l’attente d’un accord des 194 États membres de l’OMS sur un traité pandémique.
Négocier un traité international est l’une des prérogatives de l’assemblée mondiale de la santé, l’organe de gouvernance de l’OMS. Le premier de ces traités, la convention cadre sur le tabac, avait été adopté après de longues négociations en 2003.
À l’acmé de la pandémie de Covid-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. le président du Conseil européen, Charles Michel, avait proposé que le monde négocie un nouveau traité pandémique, proposition reprise dans les recommandations du panel indépendant d’évaluation de la réponse pandémique (https://www.theindependentpanel.org).
De nombreux pays ont vu dans cette proposition la possibilité de réformer en profondeur le système de réponse aux pandémies, notamment dans les domaines de la coordination, du financement, du partage d’informations et de l’accès aux vaccins et aux traitements.
En octobre 2021, l’assemblée mondiale de la santé se fixe pour objectif d’aboutir à l’adoption d’un traité d’ici mai 2024.
Deux ans et demi de négociations difficiles n’ont cependant pas permis d’aboutir.
L’assemblée mondiale a pris acte de cet échec et décidé de reprendre un nouveau cycle de négociations avec l’ambition d’aboutir à un traité avant la prochaine assemblée mondiale dans un an. L’issue de ce nouveau cycle de négociations reste cependant incertaine.
L’assemblée a pu en revanche s’accorder sur un ensemble d’amendements au Règlement sanitaire international au terme d’une autre négociation, menée en parallèle pendant deux ans.
Le traité pandémique
Dès le début des négociations sur le traité pandémique, les États membres ont tous reconnu que la question de l’équité devait être centrale à leurs travaux. Très rapidement cependant, des divergences sont apparues entre les pays riches du « Nord » producteurs de vaccins et de médicaments (États-Unis, Union européenne, Canada, Royaume-Uni, Suisse, Japon) et les pays « du Sud », pays en développement et pays émergents (Afrique du Sud, Brésil, Inde, Indonésie, Bangladesh, Éthiopie, Cameroun) et groupements régionaux (Union africaine) réunis dans le groupe « Equity » comprenant 88 pays.
De fait, la plupart des articles-clef du traité ont été à l’origine de désaccords qui n’ont pas trouvé de solution. Il s’agit ainsi des modalités du partage de la surveillance sanitaire entre les pays riches et les pays à ressources limitées ; de l’approche « une seule santé » ; de la résilience des systèmes de santé dans les pays pauvres ; de la production décentralisée de vaccins ; des conditions dans lesquelles s’opéreraient des transferts de technologies ; ou encore du financement international de la préparation et de la réponse aux pandémies.
Dans les dernières semaines de négociation, le groupe « Equity » proposait par exemple, qu’en cas d’urgence de santé publique de portée internationale, 20 % des vaccins produits soient reversés à l’OMS à destination des pays à ressources limitées, que les médicaments, vaccins et produits de santé soient vendus aux pays en développement à des prix préférentiels ; et que les brevets et redevances sur brevets soient levés. La coalition du « Nord », pour sa part, préconisait que les fabricants cèdent 10 % de leur production à l’OMS, en vendent 10 % à des ONG à prix comptant, et s’engagent, sur une base volontaire, à renforcer les capacités de production dans les pays en développement.
Transposer le principe d’équité dans le traité aura ainsi été mission quasi impossible. Des lignes rouges ont été érigées des deux côtés : pour le « Sud », pas de traité sans opérationnalisation du principe d’équité, pour le « Nord », l’OMS n’est pas le bon endroit pour négocier sur ce sujet et, par conséquent, le traité ne saurait contenir de telles considérations.
Ces désaccords ont été largement nourris par le ressentiment qui persiste dans les pays à ressources limitées à l’égard des pays riches sur les inégalités dans l’accès aux vaccins pendant la pandémie de CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Une véritable crise de confiance s’est installée qui continue de miner la santé mondiale et le multilatéralisme en santé. Cette crise pèse sur de nombreux sujets en débat tels que l’open science ; le caractère public des ressources génétiques, ou encore la privatisation de bénéfices issus de financements publics de la recherche.
La révision du règlement sanitaire international
Les négociations sur la révision du Règlement sanitaire international (RSI) ont été plus fructueuses, avec l’adoption, pratiquement au dernier moment, d’un ensemble d’amendements au texte du RSI de 2005.
Ces amendements incluent la reconnaissance de l’équité comme principe dans le RSI ; une nouvelle définition du seuil d’urgence pandémique ; des obligations sur l’accès aux produits de santé ; un nouveau mécanisme de financement coordonné, et un engagement à renforcer la transparence et l’actualité de l’information en cas de pandémie
L’urgence pandémique est dorénavant définie comme « une maladie transmissible qui présente, ou risque fort de connaître, une large propagation géographique vers et au sein de plusieurs États, qui dépasse ou risque de dépasser la capacité des systèmes de santé à répondre dans ces États ; provoque, ou risque fortement de provoquer, des dommages sociaux et économiques substantiels, y compris une perturbation des transports et du commerce internationaux ; et enfin, qui nécessite une action internationale coordonnée rapide, équitable requérant des approches pangouvernementales ».
Pour renforcer l’accès aux produits médicaux, le nouveau texte comprend la création d’un mécanisme financier de coordination destiné à faciliter l’accès aux financements nécessaires des pays en développement.
Le RSI amendé prévoit aussi la création d’un Comité des États parties (COP) dont l’objet sera de faciliter la mise en œuvre des nouvelles dispositions et la création d’autorités nationales du RSI.
Ces amendements sont loin de répondre aux nombreuses réformes que demande le système international de réponse aux pandémies. Leur adoption a été assortie de réserves de la part de plusieurs États et les 194 États-membres de l’OMS doivent encore les valider au niveau national. Leur adoption envoie cependant un message encourageant aux négociateurs du traité pandémique qui se remettent au travail en juillet.
D’autres décisions importantes
L’assemblée mondiale de la santé adopte habituellement ses résolutions par consensus et ne vote que très rarement (sauf pour l’élection du Directeur général). Cette année, l’assemblée a voté huit fois en une semaine, acceptant ou rejetant des projets de résolution, notamment sur l’Ukraine ou la Palestine, en reflet des tensions géopolitiques qui érodent le consensus.
L’un des votes parmi les plus significatifs a permis l’obtention par l’État de Palestine d’un statut d’observateur. La Palestine est ainsi reconnue pour la première fois par l’OMS comme un État. Elle n’aura toutefois pas de droit de vote. La décision a été soutenue par 101 états, avec 5 votes contre (dont les États-Unis) et 21 abstentions.
Les sujets touchant aux droits à la santé sexuelle et reproductive sont maintenant l’objet de vives oppositions au sein des assemblées onusiennes. La proposition par l’OMS d’inclure un centre américain sur les Droits de la santé reproductive dans la liste des organisations non gouvernementales partenaires a suscité un tollé des pays de la région EMRO (Est-méditerranéenne) et de plusieurs pays africains.
Deux autres points importants de l’agenda ont fait l’objet de résolutions : la résistance aux antibiotiques qui fera l’objet d’une session spéciale de l’assemblée générale des Nations unies en septembre prochain (comme cela a été le cas pour le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. il y a vingt ans, puis pour d’autres épidémies : tuberculose, Ébola et Covid-19). D’autre part, la reconnaissance par l’assemblée mondiale de l’impact négatif du changement climatique sur la santé. Cette dernière résolution, saluée par beaucoup fait suite à la tenue (pour la première fois) d’une journée sur la santé au cours de la dernière COP à Dubaï. Les activistes du climat dénoncent cependant le fait que la résolution de l’OMS ne fait pas mention de la sortie progressive de la dépendance aux énergies fossiles.
Décidément, les progrès sont bien lents dans le système multilatéral. L’assemblée mondiale cuvée 2024 aura échoué à s’accorder sur un traité pandémique trois ans et demi après l’émergence d’une catastrophe pandémique et alors que l’on estime à 40 à 50 % le risque de survenue d’une pandémie d’amplitude semblable dans les vingt-cinq prochaines années.
Il nous faut maintenant réapprendre les leçons tirées de la réponse internationale au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. redoubler les efforts et faire revivre un dialogue multilatéral dans lequel la recherche du bien commun saura dépasser les profonds clivages géopolitiques actuels.