Journées scientifiques de l’ANRS-MIE: De l’infodémie à l’infodémiologie, une nouvelle science

L’infodémie, définie comme des vagues d’informations fausses ou trompeuses sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche à propos d’une pandémie, a été démultipliée par la crise sanitaire liée au Covid-19. Le Pr. Gilles Pialoux, rédacteur en chef de Vih.org, a proposé une présentation du concept lors des Journées scientifiques de l’ANRS – Maladies infectieuses émergentes le 22 mars 2024, et en a tiré le texte suivant.

Lorsque Yazdan Yazdanpanah m’a demandé d’intervenir aux journées scientifiques de l’ANRS-MIE sur le thème de l’infodémie, passé l’effet de surprise, deux informations —non fake— se sont présentées à moi lors de la préparation de cette intervention, et de l’Aparté qui en découle:

  • il existe une vraie source de publications sur Pubmed liée à cette science de l’information avec peu de représentants français, en une recherche massivement méconnue des infectiologues;
  • les champs des maladies émergentes et de la vaccination arrivent largement en tête dans les thématiques ayant trait à la circulation des fausses informations. Cet afflux de données et de publications est peu ou prou enseigné dans le cursus des études médicales en France. Afflux qui ne saurait se réduire à la seule question du vaccino-scepticisme ou de l’hésitation vaccinale qui pour sa part est largement couverte dans des publications françaises avec l’aide de chercheurs en sciences sociales1Lahouati M, De Coucy A, Sarlangue J, Cazanave C. Spread of vaccine hesitancy in France: What about YouTube? Vaccine. 2020 Aug 10;38(36):5779-5782. doi: 10.1016/j.vaccine.2020.07.002. Epub 2020 Jul 15.
    Alleaume C, Verger P, Dib F, Ward JK, Launay O, Peretti-Watel P. Intention to get vaccinated against COVID-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. among the general population in France: Associated factors and gender disparities. Hum Vaccin Immunother. 2021 Oct 3;17(10):3421-3432. doi: 10.1080/21645515.2021.1893069. Epub 2021 Jul 22.
    Verger P, Dualé C, Lenzi N, Scronias D, Pulcini C, Launay O. Vaccine hesitancy among hospital staff physicians: A cross-sectional survey in France in 2019. Vaccine. 2021 Jul 22;39(32):4481-4488. doi: 10.1016/j.vaccine.2021.06.053. Epub 2021 Jun 29
    . Il m’a semblé donc que ceci pouvait retenir l’attention des lecteurs.

Deux concepts relativement nouveaux

L’infodémie est un concept plus ancien que le Covid-19, mais qui a été remis au goût du jour par la crise sanitaire, avec l’aide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2020. Le dictionnaire de la langue française propose comme définition du mot: «néologisme calqué de l’anglais infodemic, mot valise formé de information et de epidemic. Vague d’information fausse ou trompeuse sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche à propos d’une pandémie.»

La science et l’analyse épidémiologique des fausses informations s’appelle elle l’infodémiologie, et remonte au début des années 2000. On doit son invention à Gunther Eysenbach2Eysenbach G. Infodemiology: The epidemiology of (mis)information. Am J Med. 2002 Dec 15;113(9):763-5. doi: 10.1016/s0002-9343(02)01473-0. PMID: 12517369 DOI: 10.1016/s0002-9343(02)01473-0, un spécialiste de santé publique et de management de l’université de Toronto, qui a depuis monté un véritable groupe de presse scientifique avec les différents dérivés du Journal of Medical Internet Research (JMIR ; IF = 7). On y trouve des publications assez innovantes, à commencer par la définition de cette spécialité dès 20023Eysenbach G. Infodemiology: The epidemiology of (mis)information. Am J Med. 2002 Dec 15;113(9):763-5. doi: 10.1016/s0002-9343(02)01473-0. PMID: 12517369 DOI: 10.1016/s0002-9343(02)01473-0, et d’autres exemples de publications, plus loin de nos bases. Comme par exemple, l’infovigilance par screenshot des émoticônes sur différents réseaux sociaux comme X / ex-Twitter lors de la crise du H1N1 pour suivre l’impact sur ce réseau social des différentes annonces, informations scientifiques ou politiques de santé dans la crise H1N14Chew C, Eysenbach G. Pandemics in the age of Twitter: content analysis of Tweets during the 2009 H1N1 outbreak. PLoS One. 2010 Nov 29;5(11):e14118. doi: 10.1371/journal.pone.0014118.

Sur Pubmed, une recherche sur le terme fake news permet de constater un bruit de fond minime avec 1724 occurrences jusqu’en mai, mais on remarque une augmentation croissante à partir des années 2010, qui atteint son acmé en 2022, après la crise du covid-19, avec 468 publications. Le terme «infodémique» revient quant à lui dans 828 publications, toutes quasiment concentrées autour de la crise du SARS-Cov-2. 

À partir du début de l’année 2020, l’OMS, notamment par la voix de son directeur général Tedros Adhanom Ghebreyesus, va populariser le concept auprès des médias avec cette déclaration: «nous ne combattons pas seulement une épidémie, nous luttons aussi contre une infodémie. Les fausses nouvelles se propagent plus vite et plus facilement que ce virus et elles sont toutes aussi dangereuses.» Dès lors, l’OMS va mettre en ligne un site spécifique pour diffuser des modalités d’alerte sur les fausses informations, et s’attacher à développer l’infodémiologie: Comment aborder la surabondance de l’information? Comment gérer le comportement en ligne et quelle influence ces discours ont sur l’acceptation des traitements et des vaccinations? Comment l’infodémie influence-t-elle le fonctionnement cognitif et le recours aux services de santé? Comment certaines politiques permettent de combattre et de réduire les fausses informations en matière de santé? Comment l’infodémie exploite-t-elle les réseaux fermés et les populations vulnérables? Vaste programme, qu’on retrouve en ligne sous la bannière de l’EPI-WIN, un réseau multilingue de publications, tutos, et iconographies.  

Cet investissement dans la spécialité a conduit à l’organisation le 29 juin 2020 de la première conférence internationale sur l’infodémiologie, dont les comptes rendus ont été publiés dans le JMIR Infodemiology5Calleja N. et al. A Public Health Research Agenda for Managing Infodemics: Methods and Results of the First WHO Infodemiology Conference  JMIR Infodemiology. 2021 Sep 15;1(1):e30979. doi: 10.2196/30979. eCollection 2021 Jan-Dec. PMID: 34604708, sans qu’on y retrouve un seul signataire français.

L’infodémie en infectiologie

Couvrir le thème de l’infodémie appliquée à l’infectiologie soulève de nombreuses questions, impossible à traiter exhaustivement dans cet espace : Est-ce aux scientifiques de répondre aux fake-news? Les sites de checking ont-ils une utilité? Comment réguler les réseaux sociaux? À qui bénéficient les fake news? Comment détecter la fauxdemie? Quel est le rôle possible de l’IA? Le retracting est-il un progrès en infodémiologie? Quelle durée de vie pour une fake news? Etc.

Les circuits de l’information ont profondément changé au cours des dernières années. Et les modalités d’amplification d’information ont été l’objet de nombreuses publications scientifiques depuis l’apparition du Covid-19. Citons, pour commencer, cette publication du Jama Network Open de 20236Sule S et al. JAMA Netw Open. 2023 Aug 1;6(8):e2328928. doi: 10.1001/jamanetworkopen.2023.28928 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37581886/ qui analysait la propagation des fausses informations sur le Covid-19 attribuée à 52 cliniciens américains dans 28 différentes spécialités à travers le pays. Résultat: 80% de ces fake news concernaient les vaccins, et l’étude permet de se rendre compte que le nombre de cliniciens impliqués dans la diffusion de ces fake news reste relativement faible, leur toxicité est démultipliée par la caisse de résonance que sont les réseaux sociaux, que ça soit X / Twitter, Facebook, Instagram ou YouTube, avec un nombre de followers qui varie entre 1925 et 204000 personnes. 

On retrouve des résultats comparables dans une autre étude du CCDH, le Center for Countering Digital Hate, un think tank spécialisé dans la lutte contre la désinformation. Ce dernier a analysé les fake news sur les vaccins sur Facebook et Twitter, entre le 1er février et le 16 mars 2021. Au total, les auteurs ont relevé 812000 messages « antivax », dont 65% sont attribuables à seulement 12 (!) internautes. Ce que résume parfaitement Étienne Klein7Étienne KLEIN. « Le goût du vrai ».Tracts GALLIMARD Juillet 2020: «L’affaire est rendue délicate par le fait que circulent dans les mêmes canaux de communication des éléments appartenant à des registres très différents: connaissances, croyances, informations, opinions, commentaires, fake news… Immanquablement, leurs statuts se contaminent.»

Un autre élément saisissant est la durabilité et la récurrence des thèmes de fake news sur les réseaux sociaux et sur un certain nombre de médias, en particulier les chaînes d’infos en continu. Citons ainsi le lien inventé entre vaccin ARN messager et les «turbo cancers», cadre nosologique inventé pour l’occasion. Ou encore, les liens inventés sur un certain nombre de postes entre ces mêmes vaccins et l’encéphalite de Creutzfeldt-Jakob, une fake news qui a bénéficié du relai d’un certain Booba —6 millions de followers sur Twitter—  soutenu par un certain Didier Raoult.

La réponse des médecins

Face à cette caisse de résonance si incroyablement efficace, face à l’animosité et la mauvaise foi déployée sur les réseaux sociaux, est-ce aux médecins, pour rétablir la vérité, de s’exposer en montant au front? Rappelons ici le tombereau d’insultes, de tentatives de hack et de menaces reçus par Karine Lacombe et d’autres, dont l’auteur de ses lignes, suite à leurs interventions médiatiques pendant la crise du Covid-19. 

Dans tous les cas, il est extrêmement difficile de lutter et de répondre sur les réseaux sociaux. L’Express a fait circuler en janvier 2024 sur certains réseaux sociaux une pétition intitulée «Mettons fin à la propagation impunie de fausses informations médicales!», qui n’a recueilli, à notre connaissance, que 418 signatures. 

Heureusement, des outils d’infodémiologie accessibles gagnent en popularité, comme les recommandations sur un meilleur usage des likes et de commentaires sur les réseaux sociaux ou l’amélioration des connaissances sur les algorithmes et les bulles de filtres sur les réseaux sociaux. Depuis le Covid-19, les rubriques de décodage des fake news se sont multipliées dans les rédactions généralistes, comme Le Monde, Libération, l’AFP, 20 minutes ou Franceinfo. Le site de l’OMS continue de recueillir leur espace dédié aux informations erronées circulant en ligne, principalement à propos du Covid-19. Enfin, les plus grandes revues scientifiques se sont ouvertes à cette science balbutiante de l’information et à la lutte contre la désinformation. C’est une excellente nouvelle, et il faut que notre spécialité s’en saisisse8Van der Linden S, Roozenbeek J. “Inoculation” to Resist Misinformation. JAMA. Published online May 16, 2024. doi:10.1001/jama.2024.5026.

Une version de cet article a été précédemment publiée dans La lettre de l’infectiologue.