«La recherche sur les arbovirosesArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. est assez particulière dans son organisation parce qu’elle ne peut être qu’interdisciplinaire», juge Xavier de Lamballerie, virologue et codirecteur du réseau Arbo-France. Ce réseau français d’étude des arboviroses a pour objectif de faciliter la préparation et la réponse aux épidémies d’arbovirus humains et animaux en métropole et dans les territoires ultra-marins.
Les arboviroses, et notamment la dengue, les fièvres Zika et chikungunya, ont récemment fait l’objet d’un avis du Covars. Ces virus, transmis par les moustiques Aedes aegypti et Aedes albopictus, illustrent les enjeux One Health, à la croisée de l’environnement (qui influe sur les vecteurs, via la température, l’humidité…), de la santé humaine et animale, les réservoirs des virus pouvant être des oiseaux, des rongeurs, etc. Cette recherche très interdisciplinaire, la France en a l’expérience, particulièrement en raison de ses territoires ultramarins. «En Europe, aucun autre pays n’a une circulation quasi continue d’arbovirus tropicaux dans des territoires ultramarins, relève Xavier de Lamballerie. C’est très important, car il y a une expertise, une habitude de prise en charge des patients, d’organisation de la lutte antivectorielle assez spécifique.» Sous-financée au cours des dernières décennies, elle est cependant bien structurée, en particulier au sein de l’agence de l’ANRS-MIE. Mais, l’enjeu du réseau de recherche Arbo-France, qui réunit la communauté scientifique française travaillant sur les arbovirusArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. est d’assurer «une continuité avec la recherche faite dans les territoires ultramarins». Cette recherche intègre également une dimension sciences humaines et sociales, en raison de l’acceptabilité des mesures de prévention ou de traitement, à l’heure où le risque d’exposition aux arboviroses augmente inéluctablement.
«L’exposition des populations dans les territoires ultramarins, mais aussi en métropole, vis-à-vis du risque arboviral, augmente sans cesse. Un certain nombre d’arboviroses sont autochtones en métropole: l’encéphalite à tiques, le virus West Nile. D’autres sont importées à partir des zones tropicales 1[1] Cochet Amandine, Calba Clémentine, Jourdain Frédéric, Grard Gilda, Durand Guillaume André, Guinard Anne, Investigation team, Noël Harold, Paty Marie-Claire, Franke Florian. Autochthonous dengue in mainland France, 2022: geographical extension and incidence increase. Euro Surveill. 2022;27(44):pii=2200818. https:// doi.org/10.2807/1560-7917.ES.2022.27.44.2200818. Dans nos territoires ultramarins tropicaux, ces arboviroses circulent: la dengue, le chikungunya et le virus Zika. Il y a aussi des menaces nouvelles et importantes, comme la fièvre de Crimée Congo». Cette maladie est transmise par les tiques et si pour l’heure, aucun cas n’a été rapporté en France, des cas sont enregistrés chaque année en Espagne.
Prévention
Pour diminuer l’impact en santé publique, deux volets restent à notre portée : la prévention et le traitement. «La première chose que l’on peut faire, c’est diminuer l’exposition aux vecteurs infectés. Si on n’est pas piqué par des vecteurs infectés, on n’attrape pas une arboviroseArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. c’est aussi simple que ça», selon Xavier de Lamballerie.
Pour réduire l’exposition aux vecteurs, les sciences humaines et sociales entrent en jeu, dans la dimension qui consiste à impulser des comportements de prévention (port de vêtements couvrants, utilisation de répulsifs anti-moustiques, contenant du DEET, vêtements et moustiquaire imprégnés d’insecticide…) Des aspects entomologiques et de lutte antivectorielle sont en cours de développement, pour piéger les moustiques, les rendre stériles, ou inoculer des bactéries visant à les rendre non contaminants…
Traitements
Pour prévenir l’infection, il est possible de s’inspirer de la chimioprophylaxie, à l’instar de celle utilisée contre le paludisme. Mais «avec quatre milliards de personnes qui vivent dans des zones dans lesquelles il y a de la dengue, vous imaginez facilement les limitations de ce système, décrit le virologue. On ne peut pas donner de manière continue des médicaments à quatre milliards de personnes. Ce type de stratégie peut être utilisé pour des voyageurs ou des populations particulières, immunodéprimée, très à risque.»
En dehors de la lutte vectorielle (moustiques, tiques…) une solution générale reste la vaccination. À l’heure actuelle, explique Xavier de Lamballerie, trois vaccins sont disponibles contre les arbovirus : le vaccin contre la fièvre jaune, «un très vieux vaccin, très efficace» ; contre l’encéphalite japonaise, et contre l’encéphalite à tiques. D’autres sont en cours de développement pour la dengue, le Zika, ou le chikungunya. Ainsi, pour la dengue, deux vaccins sont autorisés dans l’Union européenne, l’un du français Sanofi, l’autre du japonais Takeda, des «vaccins absolument imparfaits», selon le virologue, l’un s’avérant peu utilisable chez les populations jeunes et naïves de toute infection de la dengue, et les deux ayant des efficacités diminuées selon les sérotypes. «Il faudra faire beaucoup de recherches dans les années qui viennent pour, d’une part, préciser exactement quel est leur meilleur usage, savoir chez qui les utiliser, dans quelles conditions, à quel âge, avec quelle fréquence.» Un troisième vaccin est en cours de développement très rapide au Brésil.
Contre le chikungunya, deux vaccins ont été retenus par le Cepi, l’organisme qui favorise la mise en place de vaccins contre les maladies émergentes. L’un est produit par une firme française, l’autre par une firme indienne et ils arrivent dans les dernières phases de leur développement. Aucune solution n’est disponible aujourd’hui pour le Zika, en raison d’un certain nombre de difficultés techniques. « C’est un vaccin pour lequel il y a des précautions particulières. Le virus donne des troubles de développement chez le fœtus, son utilisation chez la femme enceinte est un peu compliquée ».
Des antiviraux sur le marché ?
«La situation est très simple. Il n’y a aujourd’hui, dans le monde, aucun traitement antiviral contre les arbovirus qui soit commercialisé. Zéro !». Une situation qui devrait changer, espère Xavier de Lamballerie. En effet, «la société Janssen développe le premier antiviral proposé contre le virus de la dengue, avec une efficacité réellement remarquable chez les modèles de primates non humains 2https://www.jnj.com/janssen-announces-novel-dengue-antiviral-demonstrates-efficacy-in-pre-clinical-data-published-in-nature 3https://www.nature.com/articles/s41586-023-05790-6]. Cette molécule va probablement arriver sur le marché et l’on peut espérer qu’elle ouvre la voie au développement d’autres molécules antivirales». L’espoir est donc permis, avec une situation «extrêmement dynamique» notamment en matière de recherche qui pourrait changer la donne d’ici à quelques années.
L’Anses appelle à mettre en place une surveillance des tiques à l’échelle nationale
La tique particulière – Hyalomma – présente dans le sud de la France depuis plusieurs années, pourrait étendre son implantation dans l’Hexagone à la faveur du dérèglement climatique. Originaire d’Afrique et d’Asie et introduite principalement par les oiseaux migrateurs en provenance d’Afrique, la tique Hyalomma est présente depuis plusieurs décennies en Corse et depuis 2015 sur le littoral méditerranéen. Trois espèces de tiques du genre Hyalomma sont présentes en France. Cette tique peut notamment transmettre la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC). Aucun cas autochtone n’a été détecté chez l’humain en France, mais des cas sont enregistrés chaque année en Espagne. Dans son expertise scientifique, l’Anses confirme le risque d’émergence et appelle à mettre en place une surveillance de ces tiques à l’échelle nationale. Chez l’humain, la fièvre de Crimée-Congo se limite généralement à un syndrome grippal avec troubles digestifs. Dans certains cas, elle peut néanmoins s’aggraver et se traduire par un syndrome hémorragique, dont le taux de létalité atteint 30 % dans certains pays. Par ailleurs, en France, des anticorps spécifiques au virus de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo (FHCC) ont été retrouvés chez des animaux domestiques et sauvages, laissant penser que ces animaux ont été exposés sur notre territoire.