Quelle est la situation aujourd’hui, à Londres et au Royaume Uni, vis-à-vis du chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. ?
C’est un problème qui s’étend rapidement, et dépasse les frontières géographiques. On peut trouver des produits sur les applis de rencontre, sur le dark web… Ils sont accessibles partout, y compris dans des zones rurales. Des personnes qui n’étaient pas exposées avant le deviennent. Les chemsexeurs ne sont pas des usagers de drogues traditionnels, et le peu de soutien disponible se trouve le plus souvent dans des centres de soin pour addiction subventionnés par les collectivités locales. Une personne sera orientée vers un centre d’accompagnement en addictologie en fonction de son lieu de résidence – le quartier dans lequel elle vit à Londres, ou la commune si elle habite en dehors de Londres. Il y a par conséquent des divergences entre différentes parties du pays et dans l’accès aux services. Les gens viennent de loin pour avoir accès à un centre culturellement compétent qui a gagné leur confiance. Il leur faudrait une aide adaptée, au plus près de chez eux, avec des services d’accompagnement coordonnés pour l’addicto, pour la santé sexuelle et pour la santé mentale.
Qui vient au centre de santé sexuelle de Dean Street ?
Environ 70 % de nos patients font partie de la communauté LGBTQ. Les 30 % restants sont des hommes et des femmes hétéros. Nous avons des services spécifiques pour le chemsex, parce que nombre de nos patients peuvent être concernés. D’autre part, des médecins et infirmier.es orientent vers le centre des personnes en danger (sans domicile ou ayant été agressées) et qui peuvent, par conséquent, avoir du mal à prendre soin de leur santé sexuelle. Des personnes ayant perdu connaissance sous l’effet du GBH/GHL, ce qui pose de vrais risques. Des personnes en difficulté avec le crystal ou qui disent avoir eu des rapports sexuels non consentis. Et des demandeurs d’asile. Les personnes séropositives au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ou au VHC peuvent avoir besoin de plus de soutien en réduction des risques, et pour s’adapter au diagnostic s’il est récent. Nous essayons de prévenir des risques supplémentaires, et proposons de la notification aux partenaires, soit de visu, soit par téléphone, en suivant les principes énoncés par l’association britannique de santé sexuelle et de lutte contre le VIH1.
Nous avons des services spécifiques d’aller-vers pour la communauté trans et non-binaire, mais dans la mesure où nous sommes ouverts à tous, tout le monde peut venir.
Combien de vos patients pratiquent le chemsex ?
Les données dont nous disposons à la Clinique ne nous permettent pas de l’évaluer. Nous sommes payés pour le dépistage et le traitement des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. Nos statistiques portent donc sur les actes tarifés, c’est-à-dire le nombre d’infections aux chlamydiae ou de gonorrhée que nous traitons. De la même façon, vous ne trouverez probablement pas d’informations dans un centre d’addicto sur le nombre de patients qui vivent avec le VIH ou prennent la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. Mais ne pas avoir ces informations est problématique.
À la Clinique, le chemsex est pratiqué majoritairement au sein de la communauté LGBT. Selon un audit que nous avons réalisé récemment, 86 % des chemsexeurs sont des hommes gays, certain.es sont trans et non-binaires, quelques un.es sont hétéros. Mon estimation est qu’un patient sur six à la Clinique pratiquerait le chemsex, et qu’environ 20 % des hommes gay ont essayé une drogue utilisée pour le chemsex dans l’année. La plupart des consommateurs ont plus de 30 ans, mais un petit groupe de personnes a moins de 25 ans. Beaucoup de gays et de trans de moins de 30 ans commencent le chemsex dans le cadre du travail sexuel. Le crystal et d’autres produits peuvent calmer les angoisses liées à la dysphorie de genre. Pour les personnes trans qui font du travail sexuel dans le but de financer un processus de transition très cher, il peut être difficile de sortir du cycle.
Quels services sont proposés à Dean Street pour les chemsexeurs ?
En tant que centre de santé sexuelle, nous avons un certain degré de souplesse pour travailler sur les différents aspects du chemsex. Autrefois, les personnes pouvaient se présenter sans rendez-vous ; aujourd’hui nous proposons des rendez-vous à celles qui confient pratiquer le chemsex, ce qu’elles font facilement ici. David Stuart, dont j’étais un proche collaborateur, a posé les bases de la réduction des risques et d’un accompagnement bienveillant et empathique. Nous avons développé un grand nombre d’outils de développement personnel, basés sur l’entretien motivationnel, le bien-être sexuel et des pratiques plus « safe ». Nous répondons aux besoins en termes de santé sexuelle : prévention, PrEP, TPETPE Traitement (ou prophylaxie) post-exposition. Consiste à prescrire à une personne exposée à l'infection par le VIH, lors d’un accident d’exposition professionnel ou sexuel, une multithérapie d'antirétroviraux, de préférence dans les 4h qui suivent l'accident. traitement pour le VIH et observanceObservance L’observance thérapeutique correspond au strict respect des prescriptions et des recommandations formulées par le médecin prescripteur tout au long d’un traitement, essentiel dans le cas du traitement anti-vih. (On parle aussi d'adhésion ou d'adhérence.) mpox, vaccination. Le chemsex peut poser un problème pour le VIH, parce que les personnes oublient de prendre leur traitement. J’ai mis en place une formation interne sur la réduction des risques, pour que tout le monde dans cette Clinique soit en mesure d’aborder les questions de RdR, de dosages de GHB/GBL, les façons de réduire les risques d’overdose, etc.
Qui à la Clinique accompagne les chemsexeurs ?
L’équipe de thérapie psychosexuelle aborde les questions sexuelles, qui peuvent inclure les comportements sexuels compulsifs et le chemsex. En raison du grand nombre de personnes orientées chez nous, il y a maintenant neuf conseillers santé et un conseiller santé senior. Nous nous consacrons à la prévention. Tous les médecins et infirmier.es demandent lors de chaque entretien si la personne consomme des produits liés au chemsex. Puisqu’ils s’occupent surtout de dépistage et de traitement, ils orientent vers nous les cas plus complexes. Trois des conseillers santé sont formés sur la question du chemsex et nous avons déjà travaillé en addicto, ce qui est utile. J’ai beaucoup travaillé avec des demandeurs d’asile, d’autres ont travaillé en prison, sur les violences intrafamiliales. Entre nous, nous pouvons orienter des personnes en fonction de nos spécialités respectives, mais nous apprenons aussi les uns des autres, pour fournir un accompagnement de la même qualité à tous.
Comment procédez-vous avec les patients ?
Nous avons une première discussion d’orientation. Nous établissons un lien, rassurons la personne, évaluons la situation et identifions ce qui peut être problématique : ce que la personne consomme, à quelle fréquence, en quelle quantité, si sa consommation a augmenté récemment. Nous définissons avec elle des objectifs et le type de soutien dont elle a besoin. Nous parlons de pourquoi elle veut changer ses pratiques précisément à ce moment-là, et travaillons à partir de ça. On ne peut pas offrir énormément en termes de soutien holistique. Si les rendez-vous ne suffisent pas, à l’issue de leur accompagnement, elles partiront avec un plan que nous élaborons avec elles. Il peut impliquer leur médecin généraliste, auquel nous écrivons avec l’accord de la personne, pour obtenir de l’aide en matière de santé mentale par exemple. Nous pouvons également orienter les patients vers la Drug Club Clinic2, d’autres structures ou groupes.
Y a-t-il une spécificité de l’accompagnement des demandeurs d’asile ?
Nous leur proposons souvent plusieurs rendez-vous, parce qu’il y a beaucoup de sujets à aborder : le bien-être sexuel, la vaccination, l’initiation à la PrEP, ou la mise sous traitement s’ils sont séropositifs. Mais aussi pour les aider à apprivoiser les pratiques dans ce pays, les aider à éviter des choses comme les drogues. Je pense qu’ils sont particulièrement vulnérables, parfois dans le cadre du travail sexuel, ou parce qu’ils sont placés dans un centre avec des personnes qui les maltraitaient dans leur pays d’origine où l’homosexualité ou la transidentité est stigmatisée, voire interdite. Beaucoup de demandeurs d’asile se sentent seuls et utilisent les applis pour se faire des amis. Ils essayent sincèrement de se constituer un réseau, mais cherchent au mauvais endroit, ou ont simplement la malchance de rencontrer quelqu’un qui consomme. Nous nous assurons qu’ils bénéficient de soutien juridique et des groupes d’aide pour les demandeurs d’asile, ce qui peut les tenir à distance de la tentation des applis. L’intégration sociale est importante, et pas seulement pour les demandeurs d’asile. Les personnes qui cachent leur homosexualité ou ne connaissent pas bien la culture gay peuvent avoir besoin de conseils sur des façons de rencontrer des personnes et pour poser leurs limites dans la sexualité qu’ils pratiquent.
Comment abordez-vous les questions autour du consentement ?
Depuis que les chems sont apparus, il y a des problèmes de consentement, parce que les personnes peuvent être trop défoncées. Sous GBH/GHL, on peut s’évanouir et être dans l’incapacité de donner son consentement. Le G est liquide, il est souvent mis dans les verres à l’insu des gens, ou il peut être mélangé au lubrifiant. Nous demandons toujours: « Est-ce que vous êtes en sécurité ? Y a-t-il quelqu’un dans votre vie, qui vous a forcé ou vous force à avoir des relations sexuelles dont vous ne voulez pas ? » David nous a encouragés à poser une troisième question, de l’ordre de : « vous est-il arrivé, sous influence, de faire quelque chose qui aurait pu, selon vous, aller trop loin pour votre partenaire ? » Il y a des personnes qui ne feraient probablement rien de non-consenti dans un autre contexte, mais qui l’ont fait sous chems. Cela peut être traumatisant. David insistait sur le besoin d’être très empathique à ce sujet-là, bien qu’il puisse être troublant de recueillir ces aveux d’agression.
Comment parlez-vous de chemsex avec les personnes ?
Nous posons des questions très claires – quelles drogues sont utilisées, et comment, y compris l’injection – et fournissons des informations extrêmement claires. Nous sommes honnêtes à propos des problèmes qui peuvent survenir, pour aider les personnes à décider s’il est important pour elles de mettre en place des changements et, si elles le souhaitent, comment elles vont s’y prendre. Par peur du jugement, de la stigmatisation ou d’incompréhension, ce n’est facile pour personne de parler de problèmes de drogue ou de problèmes sexuels, encore moins pour une personne qui cumulerait les deux, avec parfois des problèmes de santé mentale. Les gens savent qu’à la Clinique, ils rencontreront quelqu’un de suffisamment compétent pour leur poser les bonnes questions.
56 Dean Street,
Soho
W1D 6AQ
https://www.dean.st/chemsex