BISS, une nouvelle initiative pour la «consommation sexualisée de substances»

En Allemagne, une toute récente initiative fédérale, BISS, réunit des acteurs de terrain ou universitaires, médecins, mais aussi associatifs et pairs pour élaborer la prochaine étape de la réponse au chemsex. Revue avec le Dr Martin Viehweger, qui l’a cofondée et qui siège au conseil d’administration.

Dr. Martin Viehweger,
© Anne Gabriel-Jürgens

Martin Viehweger est le cofondateur de l’initiative BISS (Bundesinitiative für sexualisierten Substanzkonsum e.V.,1). Médecin spécialiste des maladies infectieuses, il est à la tête de Viropraxis, une structure proposant des services à bas seuil à Berlin et Zurich. Ce spécialiste conçoit, développe et dirige des projets communautaires au sujet de la santé et de l’éducation sexuelle, du chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. et de l’accès aux soins pour les personnes trans, entre autres. Il a également animé certaines sessions de Let’s talk about Sex and Drugs, des réunions à micro ouvert, qui permettent aux chemsexeurs d’échanger sur leurs pratiques, dans des bars ou des clubs communautaires. Ces sessions existent depuis dix ans à Berlin et depuis moins longtemps à Zurich.

Un réseau d’action face au chemsex existait déjà à Berlin, et mettait en relation différents acteurs, des addictologues aux sexothérapeutes, en passant par les universitaires, les pairs, les membres d’associations ou les travailleurs sociaux. Il se réunissait une fois ou deux par an, et permettait des échanges plus ou moins informels. Pour autant, « nous avions besoin d’une structure officielle, explique Martin Viehweger. Voilà pourquoi nous avons créé BISS. La structure rassemble des représentants des universités de Munich et d’Augsbourg, des psychiatres, des neurologues et des toxicologues de Tübingen, des membres de la clinique de réadaptation de Cologne, des représentants d’ONG et des usagers. Il s’agit d’une approche vraiment intersectorielle. »

Trois piliers

Trois piliers structurent la réflexion de BISS : le premier concerne la sensibilisation des usagers, qui se réunissent dans des soirées privées et qui échappent ainsi aux programmes d’accompagnement habituels. Comment alors les atteindre et leur permettre d’accéder à des conseils de réduction des risques ? Le second pilier concerne les diagnostics et les traitements, pour identifier les besoins des usagers et adapter les soins. À ce sujet, un guide est en cours d’élaboration à destination des médecins et des travailleurs sociaux qui sont en contact avec les chemsexeurs: « nous avons besoin d’adapter les pratiques des professionnels de santé. Par exemple, les psychothérapeutes souhaitent que leurs patients soient abstinents. Mais si vous ne consommez de la meth qu’une fois par mois, la question centrale n’est probablement pas l’abstinence. Les psys doivent pouvoir évoquer la sexualité avec leurs patients. D’ailleurs, il faudrait que les thérapies sexuelles soient prises en charge par le système d’assurance maladie. »

C’est en partie ce à quoi s’attèle le troisième pilier, politique de BISS : l’initiative plaide pour la mise en place de programmes de prévention, y compris à propos de l’usage de produits illicites et pour une réforme des systèmes de prises en charge. La structure a déjà commencé à former les professionnels de santé au sujet de la prise en charge des usagers : « nous devons aussi nous former nous-mêmes, précise Martin. Nous devons nous tenir au courant de l’évolution des consommations et identifier les nouveautés. Par exemple, il y a beaucoup de nouvelles cathinones, il est de notre devoir de connaître leur dangerosité respective et la manière dont les gens les utilisent. » Pour Martin Viehweger, « BISS est le vaisseau qui nous permet de faire tout ça », tout en maintenant un lien avec les usagers, fondamental.

Drug testing à Berlin

Depuis un an, trois ONG – Fixpunkt, Schwulenberatung et Vista – ont mis en place un programme de drug-testing à la disposition des usagers. « Ces programmes de testing permettent d’ouvrir le dialogue avec les usagers, explique Martin. Dans la scène locale de Zurich, les usagers ne pensent pas d’abord au fait que je suis médecin, et ils me parlent donc plus facilement de leurs consommations. » À Berlin, faire tester ses drogues n’est pas encore entré dans les mœurs : « c’est nouveau, tempère Martin. J’espère que mes collègues de Berlin vont se saisir de cette pratique. Nous allons former les conseillers qui font le drug-testing à propos du chemsex. » À la clinique Viropraxis, Martin reçoit les LGBTQIA + dans un esprit holistique : « Les entretiens individuels que je réalise tournent d’abord autour des questions de santé sexuelle, dépistage des ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  initiation à la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. etc. Mais dans cette consultation privée et individualisée, on aborde très souvent la sexualité et les problèmes liés à l’intimité ».

Si besoin, le médecin peut orienter les patients vers « We are Village », une association fondée par d’anciens chemsexeurs qui propose un travail thérapeutique autour du corps. « L’association propose des ateliers, des rassemblements et des week-ends dans lesquels on peut rencontrer du monde tout en s’engageant dans un travail sur la stimulation de son corps dans un contexte de sobriété. » Une approche « essentielle », pour le médecin.

  1. BISS organise son premier forum sur le chemsex à Berlin en mars 2025, le Chemkon ↩︎

Former les pairs à l’autosupport avec Quapsss
L’association de lutte contre le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. Deutsche Aids Hilfe a développé un outil de formation au sujet du chemsex, par et pour les pairs, issu d’un projet de recherche. Il peut aussi être utilisé par les travailleurs sociaux et les thérapeutes. Le but : renforcer les compétences des chemsexeurs autour de la sexualité, de la consommation/addiction, de la perception du corps, de l’autodétermination et des compétences sociales.
Quapsss signifie « développement de la qualité dans l’entraide pour les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  qui consomment des substances psychoactives dans un cadre sexuel ». Ce concept innovant a donc d’abord été un projet de recherche de 2019 à 2023, soutenu par le ministère de la Santé et plusieurs associations partenaires. Selon Urs Gamsavar, thérapeute sexuel & travailleur social auprès des chemsexeurs pour la Deutsche Aids Hilfe, « Quapsss se définit comme un groupe semi-guidé, innovateur et dynamique pour les HSH qui pratiquent le chemsex et souhaitent améliorer leurs conditions de vie.

Le concept est basé sur une approche d’entraide et propose des modules spécifiques de renforcement des compétences, modules qui sont sélectionnés par l’animateur de groupe en fonction des besoins des participants. » Tout commence par la formation des futurs « leaders » des groupes aux compétences nécessaires à l’animation : cadrage, gestion des crises, etc. Une fois formés, ces pairs, anciens chemsexeurs ou professionnels de santé (sexothérapeutes…) apportent leur soutien à différents groupes pendant au moins un an. Il en existe plusieurs à Berlin, par exemple, avec l’association Mann-o-Meter, d’autres à Cologne, Hambourg ou Munich. À l’intérieur de chaque groupe, les participants définissent leurs objectifs de manière individuelle : quels sont les buts qu’on se fixe, les changements qu’on souhaite mettre en place, en matière de drogues ou de sexualité ? Par exemple, certaines personnes peuvent viser l’abstinence, d’autres pouvoir vivre à nouveau leur sexualité sans drogue ; certains souhaitent simplement consommer moins ou différemment. Si cette approche peut rappeler celle des groupes 12 étapes dont elle s’inspire, elle n’impose pas l’abstinence à tous les participants et veut s’affranchir de la culpabilité ou de la spiritualité qu’on y retrouve souvent.
Dr. Dirk Sander et Urs Gamsavar ont porté le projet de recherche initial et suivent depuis de près le développement de ces groupes. Urs siège à la direction bicéphale de BISS, la nouvelle initiative fédérale sur le chemsex. Pour lui, une traduction de la théorie dans la pratique est essentielle, et c’est pour permettre le développement de cette méthode qu’un manuel open source de 112 p. sur la formation Quapsss a été élaboré. Disponible pour l’instant uniquement en allemand, Urs Gamsavar souhaiterait qu’il soit traduit en anglais : « Berlin est une ville très internationale et il nous manque des pairs qui parlent anglais et espagnol pour créer plus de groupes d’autosupport. »

Epidémio
Selon une enquête statistique menée en 2017-18, plus de 50 % des HSH déclaraient avoir consommé du GHB/GBL, 47,8 % des amphétamines au cours des 12 derniers mois, 2 % de la méphédrone. Si tous ces usages ne relèvent pas du chemsex, 15 % des personnes interrogées indiquent avoir déjà pratiqué le chemsex, 9,5 % une ou plusieurs fois au cours des 12 derniers mois. Une pratique qu’on retrouve dans toutes les plus grandes villes du pays : Berlin, Cologne, Nuremberg, Düsseldorf, Munich, Francfort ou Hambourg.