«J’ai commencé très tôt à prendre des drogues. La première fois que mon frère m’a fait un rail de coke, je devais avoir 13 ou 14 ans.
J’ai commencé très tôt à prendre des drogues. La première fois que mon frère m’a fait un rail de coke, je devais avoir 13 ou 14 ans. Et pourtant, je suis un bon citoyen. La drogue a été présente tôt dans ma vie, pas forcément de manière intense. Ma femme m’a dit que je m’étais toujours un peu drogué. Oui, je suis marié, mais je couche avec des mecs.
J’ai toujours aimé les nouvelles expériences. J’adorais les hallucinogènes, les trucs empathogènes, comme la MDMA. Une fois, aux États-Unis, suite à un plan sur internet, j’ai fumé de la meth, j’avais trouvé l’expérience incroyable. J’étais resté trois jours sans dormir, après, évidemment, j’étais à ramasser à la petite cuillère…
J’ai commencé à avoir envie de tenter des trucs de plus en plus forts, des expériences maximales, comme l’injection. En 2017, j’avais 56 ans, pile-poil le moment où le corps n’est plus le même, où on se réfugie dans une image de soi qui n’est plus d’actualité. Les sensations, ou en tout cas l’illusion de sensations, qu’apportent ces consommations, font que je suis tombé dans le panneau très, très vite. J’avais entendu parler de cette nouvelle drogue, la 3-MMC. La première fois, c’était avec un mec trouvé sur Grindr, j’ai trouvé ça incroyable : une sensation tactile absolument inimitable, un contact, celui de l’autre ou le sien avec sa peau, tout simplement magique. Les cathinones procurent d’abord un flash, comme une sorte d’orgasme dans tout le corps et l’esprit. Enfin, la première fois. Après, c’est surtout la quête de la première fois.
Je n’osais pas trop commander sur internet. Je voulais acheter 10 g. C’est assez conséquent comme quantité, mais ça ne coûtait pas cher à l’époque. Mes deux premières commandes ne sont pas arrivées, j’ai râlé, et en attendant, j’ai commandé sur un troisième site. Finalement, j’ai reçu les deux premières commandes, avec un autre paquet pour me dédommager. Je me suis retrouvé avec une quantité industrielle de 3-MMC, et donc, l’addiction.
C’est assez particulier comme expérience, mais en termes de qualité, c’est bourré de défauts, la 3. Il faut en reprendre beaucoup, la tolérance se construit vraiment très vite par rapport à d’autres drogues. J’ai vu des fins de nuit où les gens ne faisaient plus rien depuis longtemps, mais ils continuaient d’essayer de se piquer, sans y arriver. Les dernières consommations étaient inutiles.
Le chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. ce sont des drogues psycho-addictives, mais pas physiquement addictives. Quand tu arrêtes, tu n’es pas physiquement malade, tu gères. C’est dans la tête, c’est beaucoup moins palpable. En gros, c’est une énorme décharge de dopamine ou de sérotonine sur le produit. Ensuite, tu as un gros creux, et pendant ce gros creux, tu as envie de recommencer.
Je faisais des plans à plusieurs. Tu vas sur les applis de rencontre, les mecs cherchent un plan “perché”, comme ils disent, ou “planant”. Il y a ceux qui prennent de la 3 et ceux qui prennent de la coke, ce ne sont pas les mêmes. Là où j’habite, il y a pas mal de mecs mariés qui vont traîner au bois, ou qui font des plans comme ils peuvent… Et il y en a pas mal qui consomment des trucs et qui repartent chez eux dans un état… Le nombre de fois où je suis reparti totalement défoncé, en conduisant n’importe comment, sur les petites routes de campagne. J’ai perdu plein de points sur mon permis à cette époque mais je n’ai jamais eu d’accident et je n’ai jamais été contrôlé, j’ai eu une chance incroyable. Ou pas de chance d’ailleurs, ça m’aurait peut-être aidé d’être contrôlé.
Quand on commence, il y a une sorte de romantisme, on est dans une illusion de communauté. C’est une sensation d’hédonisme, presque. Ça devient sordide, beaucoup plus vite qu’on imagine, mais on rencontre des gens de tout milieu, comme sur les applis de rencontre. Des gens mariés, des petits jeunes, des sportifs, etc. Il n’y a pas de barrière sociale, on a le sentiment de partager cette espèce de rituel et puis le sexe.
Peut-être qu’inconsciemment, je cherchais à rencontrer des gens, à créer du contact, mais j’adorais aussi le sexe expéditif et très anonyme. On n’est pas à une contradiction près. En tout cas, l’illusion ne dure pas longtemps, parce qu’on te chipe ton sachet ou tes affaires. La communauté, c’est bidon.
C’était vraiment que des plans cul. Par nécessité, j’avais quelques contacts dans le coin, je sais qu’il y a un mec à 12 bornes connecté sur Grindr de temps en temps, je peux compter sur lui pour faire des plans. Il a mon âge. Il a fait une crise cardiaque en pleine session. Il était avec un mec qui se pliait en quatre pour lui, mais il continuait de le tromper, de dépenser plein d’argent dans la drogue. Il a été mis au pied du mur, comme moi. Souvent, le truc salvateur, c’est qu’il y a des gens qui nous aiment.
Après avoir commencé à slamer, je n’ai plus utilisé d’autre mode de consommation. J’ai été opéré du bras parce que j’avais attrapé des infections pas possibles. On ne m’a pas coupé le bras, mais on aurait pu… C’est plus l’idée de l’injection que le produit qui me plaît, je crois. Le produit compte aussi évidemment, mais, par exemple, les opiacés, c’est pas mon truc.
Le premier déclic, c’était la fin de l’année 2017. J’étais dans le centre de Paris, dans un hôtel glauque, avec un mec qui ne me ragoutait pas beaucoup et qui était lui-même assez concerné par la question des drogues, si j’en crois son état. On a un peu discuté, famille et tout, et au bout d’un moment, au milieu du sexe, il m’a dit : “Est-ce que ta fille sait que tu es toxicomane ?” C’est la première fois qu’on me disait que j’étais toxico.
J’ai continué d’évacuer cette notion pendant quelques mois, jusqu’au moment où l’impact sur nos finances a été visible : j’étais passé à la meth, 220 euros le gramme. La 3, c’est 12 euros le gramme. Ma femme s’occupe des comptes, elle ne comprenait pas ce qu’il se passait. J’ai avoué: “Je suis dans la merde, je suis toxicomane.” Je lui ai promis que j’arrêterai. J’ai continué jusqu’au printemps 2020.
Début 2019, je n’avais plus de Carte bleue professionnelle, que j’avais trop utilisée pour faire des retraits que je ne pouvais plus rembourser. Cela a aussi contribué à me calmer. Il y a des périodes où je me défonçais au bureau, juste avant des réunions, dans les toilettes.
En août 2019, après plusieurs mois où j’avais tenu bon, où j’étais abstinent, j’ai organisé un épisode de chemsex dans ma propre maison. Je me suis retrouvé tout seul un week-end. Le dealer a envoyé un message promo et j’ai craqué. J’ai réactivé les applis de rencontre, le soir même, il y avait quatre personnes à la maison. Du grand n’importe quoi, qui a failli tourner au drame. Et il y a eu des suites avec la police, parce qu’un mec a été retrouvé tout nu dans la rue avec mon téléphone. J’ai eu un simple rappel à la loi, mais ça m’a foutu une trouille bleue, j’ai tout raconté à ma femme.
Qui m’a dit, tu recommences encore une fois, tu t’en vas. J’ai recraqué. Au début du confinement, j’ai pris une valise et je suis retourné chez mes parents. C’est une grande famille, bien traditionnelle. Quand on est toxico, on ne pense qu’à soi. J’étais moins présent et attentif aux autres, moins serviable, j’ai dû leur expliquer. J’ai eu la paix, et ils m’ont beaucoup soutenu. Au bout d’un mois, j’ai pu rentrer à la maison en plein confinement. Ma femme et mon fils ne me parlaient pas…
Face à l’addiction, le terrain social et personnel joue énormément. Lors d’une formation, une coach m’avait dit qu’il fallait que je m’occupe de moi, et avait recommandé la technique EMDR (Eye Movement Desensitization & Reprocessing), pour résoudre les traumas anciens. La thérapeute près de chez moi n’était pas compétente, et j’ai sombré dans la dépression. Trois mois après, j’étais addict. C’était un moment où je me sentais coupable pour ce que j’avais fait et que je continuais de faire endurer à ma femme et coupable de pas avoir le courage d’être complètement gay.
Je travaille toujours, mais je suis en arrêt maladie, j’avais un métier très stressant. C’est une vraie descente aux enfers. Je me suis vu basculer SDF. Je ne fais plus de plans. Je me suis engagé à ne pas tromper ma femme. C’est un miracle que je sois encore là, et qu’on soit encore ensemble. C’est dur, il y a beaucoup de blessures durables à réparer. Mais tout est sur la table. Je me suis engagé à me faire suivre, je vois un addictologue et je fais une psychanalyse, qui m’aide beaucoup plus que le reste. Les addictologues, ils prescrivent des trucs pour remplacer les produits psychoactifs par d’autres produits psychoactifs, comme les antidépresseurs.
Le problème en France, c’est que la médecine n’est pas holistique. On voit des médecins par symptômes ou par type de maladie, jamais quelqu’un ne vous regarde dans votre entièreté. Il faudrait qu’on nous dise : lisez, jardinez, courez. Je me suis dit, si je dois survivre, il faut que ce soit dans un meilleur confort de vie. Je me suis mis à faire de la marche.»