Parole de chemsexeur : Michael, 28 ans

Témoignage anonymisé recueilli pour le numéro double de Swaps été 2024, consacré au chemsex dans huit villes d’Europe.

«Quel plaisir je trouve au chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. ? Je trouve que ça permet de mieux se souvenir. On se rappelle vraiment des scènes, des gens, des sensations. J’aime bien l’état dans lequel ça me met. Et puis, c’est bon, les sensations sont vraiment chouettes.

J’ai commencé à en prendre au moment du premier confinement. Il y avait pas mal de soirées et moi, j’étais tout seul dans mon appart à Paris. J’avais envie, je me sentais frustré. Au départ, j’en prenais plutôt en after. Je sortais en soirée ou en boîte et après, j’allais en partouze. J’ai l’impression que beaucoup de mecs de ma génération ont commencé comme ça.

Après, j’ai commencé à en acheter, et c’est dangereux d’en garder chez soi, dès que je rentre, je peux en prendre tout seul très vite. Et quand je commence à en prendre seul chez moi, je sais que je suis parti pour un moment. Je vais aller en partouze assez vite. Ça me lance, quoi. J’essaie de ne pas en acheter pour ne pas en garder chez moi.

Il y a un an et demi, je voyais un mec, enfin, on sortait plus ou moins ensemble et lui, il consomme énormément. Avec lui, ça a empiré. Et puis je suis tombé malade, j’ai plusieurs pathologies qui me fatiguent beaucoup. Je suis hyper frustré, et consommer, ça me permet de me sentir vivant.

Ce mec m’a largué. À ce moment-là, j’en prenais vraiment beaucoup, même en semaine. Ça m’est arrivé d’en prendre pour aller au travail. Pas pour le côté plaisir, c’est quand même dur de se concentrer. Avec la 3-MMC, quand je commence, je n’arrive pas à m’arrêter.

C’est hyper dur de se poser des limites, c’est hyper accessible, on a l’impression que c’est partout. Sur internet, sur Grindr, assez souvent, en tout cas le week-end, il y a beaucoup de plans avec une fusée en émoji ou des gens qui vendent sur Grindr. Sur Telegram aussi, j’en ai acheté à plusieurs personnes. Je me dis que je vais bloquer les numéros, mais je rachète ! Parfois, je reçois des propositions par SMS. C’est hyper facile. Et puis, même si c’est un peu plus cher qu’avant, ce n’est pas si cher que ça.

J’ai l’impression que consommer, ça permet de réaliser tous mes fantasmes. J’ai l’impression que je fais des choses que je n’aurais pas faites si j’étais sobre, un peu comme avec l’alcool. Quand j’ai commencé ma vie sexuelle, la sexualité me faisait un peu peur, je pensais que c’était un truc pour les autres mecs et pas pour moi. Aujourd’hui, après une période avec beaucoup de sexe en prenant de la drogue, je prends conscience du fait que j’ai un rapport bizarre à la sexualité. Ça m’est arrivé d’assister à des situations un peu glauques. Des mecs qui sont vraiment dans le mal, des mecs qui saignent. J’ai vu un mec qui se faisait fister, saigner, et l’autre qui continuait. Mais est-ce qu’on lui a vraiment dit d’arrêter ? Je pense en tout cas que j’ai couché avec des mecs avec qui je n’aurais pas couché, mais eux non plus.

Je n’ai pas une relation apaisée avec le chemsex, parce que je sens que c’est rentré dans mes fantasmes sexuels. Depuis quelque temps, ça m’arrive de me masturber en pensant à l’état dans lequel ça me met d’avoir consommé. Plusieurs fois, je me suis fait peur. Je me suis retrouvé complètement épuisé après un week-end à baiser, avec de la Tina en plus, à devoir prendre 3 jours d’arrêt parce que je n’étais vraiment pas bien. Alors, j’essaie d’en prendre moins. Aussi, parce que j’ai envie de vivre longtemps : autour de moi, je vois des gens qui tapent depuis longtemps, ça se lit sur leur visage, ils sont hyper marqués, même s’ils sont jeunes. Ça me fait peur de mourir à 45 ans.

Il y a des gens que je connais, sur Grindr, je les vois tous les week-ends, connectés du vendredi soir au lundi. Notamment, un couple de mecs à côté de chez moi. Leur appart est sale, mais ils continuent, ça me dégoûte un peu. Je pense que ma situation est un peu particulière : mes amis ne consomment pas, seulement mes amis de cul, mais ils sont complètement déconnectés de mon cercle amical normal. Quand on sort avec les potes, ça me prend le cerveau et je me mets en mode pilote automatique, surtout si j’ai un peu bu. Je n’ai qu’une envie, c’est de baiser et du coup, je pars de la soirée avant tout le monde, sans les tenir au courant.

Je crois que j’ai envie d’un changement global dans ma vie. Les remarques de mes amis m’ont fait un peu peur, j’ai envie de valoriser d’autres moments. Après le Nouvel An, j’ai essayé d’aller voir un addictologue à Marmottan qu’on m’avait conseillé. La personne était chouette : quand je lui ai dit que je voulais moins consommer, ou peut-être arrêter, elle m’a dit qu’il fallait que ça aille mieux dans ma vie. Qu’on n’arrête pas un truc comme ça, mais il faut qu’il y ait un autre truc dans ta vie normale qui soit mieux que les produits. Mais ensuite, on m’a posé deux lapins, alors je n’ai pas continué. Déjà, je pense qu’il y a un truc de classe sociale et de milieux très différents dans ce centre : les personnes qui sont dans la salle d’attente, viennent pour d’autres problèmes, c’est vraiment la misère sociale. Je pense que ça peut en rebuter certains. Et puis, j’ai eu l’impression qu’ils prenaient un peu mes problèmes à la légère.

Sinon, on m’a parlé d’un truc dans le XIVe, Cassini. J’ai rendez-vous dans 3 mois, avec une infirmière. C’est quand même dur de trouver des infos, quand on n’est pas très inséré dans la santé. J’ai entendu parler d’un groupe sur Instagram pas institutionnel, qui s’appelle Chemspause, ils mettent des messages le vendredi, pour se soutenir. C’est pas mal, je trouve. On m’a aussi envoyé un mail pour des week-ends de sexe, queer, auto-organisés, bienveillants, avec un cadre. Mais je n’ai pas encore essayé.»

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