Dans leur rapport «Cannabis: sortir du statu quo, vers une légalisation encadrée», les rapporteurs du CESE jugent durement la politique de prohibition menée depuis cinquante ans. C’est un «échec cuisant», alors que la France est le pays de l’Union européenne qui compte en proportion le plus de consommateurs: 45% des 15-64 ans ont déjà consommé du cannabis au moins une fois au cours de leur vie, contre 27% dans l’ensemble de l’Union…
Après dix mois de recherches et d’auditions pour dresser le bilan des politiques publiques en vigueur et explorer les conséquences des évolutions législatives —l’amende forfaitaire—, discriminatoire «qui touche très majoritairement les usagers et usagères des quartiers populaires, les hommes et les personnes racisées»— le CESE formule onze préconisations, organisées autour de trois axes:
- organiser le débat public et participatif pour une nouvelle régulation du cannabis;
- déployer des mesures d’urgence dans l’optique d’une meilleure régulation du cannabis en France;
- construire un modèle de légalisation encadrée du cannabis.
Le CESE constate à la fois les incuries du point de vue de la santé publique: «les actions de prévention menées sont globalement inefficaces, notamment auprès des jeunes consommateurs qui sont de plus en plus exposés à des produits non contrôlés», comme du point de vue sécuritaire: «la prohibition annihile tout message de prévention, et mobilise fortement les services de police et de la justice, sans réel effet sur l’ampleur du trafic et du niveau de consommation qui demeure le plus élevé d’Europe».
En s’inspirant de la légalisation du cannabis au Canada, à Malte ou encore d’ici 2024 en Allemagne, le CESE propose donc une «légalisation encadrée» de la production, de la distribution et de la consommation de cannabis. Avec en ligne de mire la coexistence de différents modèles de production en séparant les filières médicales et «récréatives»; en privilégiant l’agriculture biologique pour la production de cannabis «récréatif», le CESE envisage la distribution dans des points de vente dédiés soumis à licence, et de former les distributeurs à la prévention et la réduction des risques. L’autoculture et les Cannabis social clubs seraient autorisés et encadrés. La promotion serait soumise aux même dispositions que la loi Évin, avec un affichage de messages de santé publique aux côtés des taux des principaux cannabinoïdes…
Des objectifs de santé publique
Cette légalisation vise avant tout, expliquent les deux rapporteurs, Florent Compain, porte-parole des Amis de la Terre France et Helno Eyriey, ex-président de l’Unef, «des objectifs de santé publique», mais pourrait aussi permettre «d’affaiblir et assécher le plus possible» le trafic illégal. «Loin de toute posture idéologisée», le CESE appelle à un large débat public et à faire intervenir «les personnes qui font, car ce sont elles qui savent».
Le CESE se prononce également pour un passage à 1% de THC dans le chanvre et à l’élargissement des recherches autour du cannabis pour mieux comprendre l’interaction de cette plante avec l’humain, mais aussi pour dévelop- per ces usages industriels, technologiques ou textiles. Selon le Parisien, Amine Benyamina, chef du service d’addictologie à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (Val-de- Marne), approuve à 100 % cette recommandation visant à légaliser le cannabis. «C’est une stratégie pragmatique qui limite les risques en matière de santé publique, sans que cela n’envoie un message à consommer davantage. Jusqu’à présent, les trafiquants avaient toujours gagné la bataille».
Pour Nicolas Authier, psychiatre spécialisé en pharmacologie et addictologie au CHU de Clermont-Ferrand, «légaliser ne se ferait pas en trois ou six mois. Et si on ne sait pas faire de la prévention, ça ne sert à rien de légaliser. Il faut avant tout passer d’un modèle de lutter contre à prévenir», toujours selon le quotidien.
Cet avis a été adopté à 88 voix pour, 25 contre et 16 abstentions sur 129 votants. A-t-il des chances d’influencer la politique française?