Cet article a été publié dans Transcriptases n°149 Spécial Washington 2012 réalisé en partenariat avec l’ANRS.
D’abord, une heureuse surprise : malgré le poids qu’avaient représenté ces sujets à Vienne et les ambiguïtés des politiques publiques américaines, la conférence de Washington a consacré une part relativement importante de son programme. Que ce soit dans les débats même de la conférence, ou en «off», à l’évolution de l’épidémie dans les régions où elle reste fortement liée à l’usage de drogues, à la réduction des risques, aux politiques publiques de prévention et aux droits des personnes dans des contextes sociaux et nationaux répressifs à l’égard des usagers.
Plusieurs rapports importants ont été publiés dans les semaines précédant la conférence. Citons : le rapport annuel de l’IHRA sur l’état de la réduction des risques dans le monde, celui de la Commission mondiale sur les drogues, portant sur les liens unissant politiques publiques en matière de drogues et de sida et le rapport de Human Rights Watch sur les centres de détention en Asie du sud-est et en Chine.
Deux jours avant l’ouverture officielle de la conférence, l’Amfar et l’IAS avaient coorganisé une journée multidisciplinaire et assez politique sur «HIV and drug use, the twin epidemics» dans laquelle j’étais intervenu. L’ambiguïté des positions américaines progressistes dans l’esprit mais immobilistes voire régressives dans la pratique, y était clairement apparue dans les propos du «drug czar» [Aux Etats-Unis, nom informel de la personne chargée de la coordination de la lutte contre les drogues] américain Gil Kerlikowske et de l’ambassadeur Eric Goosby. Ce dernier a clairement exprimé qu’en tant que scientifique, il désapprouvait la décision du Congrès de ne plus financer de programmes d’échange de seringues mais qu’il se devait de s’y conformer. Même ton sur ce sujet très polémique de la part de Tony Fauci et de Nancy Pelosi au cours d’une réception organisée par les Fondations Soros et Elton John.
Au cours de la conférence elle-même, près de quatre-vingts présentations ont porté sur la réduction des risques et de nombreuses et fortes voix d’usagers de toutes les régions du monde se sont fait entendre (noter la présentation plénière de Debbie McMillan «dynamics of the epidemic in context») dans des clips vidéos, des films, et de multiples rencontres dans le «Global village». Noter un abstract précédant une publication dans le BMJ décrivant une méta-analyse (la plus importante réalisée jusqu’à maintenant) qui confirme à nouveau l’effet préventif des traitements substitutifs sur la transmission du VIH1 – 1Macarthur GJ. Et al., “Opiate substitution treatment and HIV transmission in people who inject drugs: systematic review and meta-analysis”. BMJ. 2012 Oct 3;345:e5945. doi: 10.1136/bmj.e5945. Enfin, la remise du prix du «courage» aux deux frères iraniens militants de la réduction des risques, et longtemps emprisonnés dans leur pays, aura été un moment particulièrement émouvant.
Mais, au bout du compte, une déconvenue. La conférence n’a, dans l’ensemble, apporté que peu d’informations nouvelles et montré encore une fois le peu d’intérêt et de mobilisation de l’ensemble de la communauté sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. vis-à-vis des questions touchant aux usagers de drogues. J’ai perçu beaucoup de distance entre l’inquiétude angoissée des usagers et des ONG d’Asie ou d’Europe de l’est et le discours technique et formaté de la Conférence. Comme souvent, c’est Stephen Lewis qui a rompu ce silence et replacé le débat dans la sphère politique à laquelle il appartient2Lewis S., “How to Fight AIDS by Ending the Drug War”; www.hivhumanrightsnow.org/category/washington. Celle où, pour une fois, les choses me semblent bouger plus vite que dans le monde scientifique et communautaire. Le monde politique en Amérique latine, dans plusieurs pays d’Europe et d’Asie, se mobilise pour dire l’échec des politiques publiques répressives qui prévalent depuis quarante ans, dénoncer les conséquences tragiques de cet échec en particulier en ce qui concerne le VIH/sida, appeler à la décriminalisation de l’usage, et à ce que le regard de nos sociétés change radicalement : les usagers de drogues mettent leur santé et parfois celle de leurs proches en danger ; ce n’est pas leur arrestation, leur emprisonnement et leur exclusion sociale qui les aideront, mais bien des politiques publiques guidées avant tout par une préoccupation de santé publique.