Une cohorte nationale pour comparer les profils
L’étude française publiée dans la revue BMC Global and Public Health a cherché à évaluer la mortalité chez les personnes suivies pour une hépatite B chronique, selon leur statut migratoire. Une interrogation pertinente car, en France comme dans l’ensemble de l’Europe (UE et EEE), les migrants originaires de régions à forte prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. d’hépatite B représentent 25% des cas chroniques tout en constituant 5% de la population ; en France, ils comptent pour 48% des cas chroniques et environ 6 % de la population totale. Étant donné que cette population présente fréquemment des situations de précarité sur le plan social, économique et administratif, il est utile d’examiner leur prise en charge, la mortalité constituant un indicateur pertinent.
L’article de Lotto et al. se fonde sur les informations de la grande cohorte HEPATHER qui a inclus entre 2012 et 2018 des patients suivis dans 32 centres experts des hépatites répartis sur toute la France, avec une documentation de leurs caractéristiques initiales (démographiques, médicales, sociales et comportementales), et un suivi annuel par un questionnaire en face à face et une extraction des données de prise en charge des dossiers médicaux.
Après exclusion des co-infectés par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ou l’hépatite C et ceux atteints par l’hépatite D, 5 597 patients ont été inclus dans l’analyse de la mortalité générale et de la mortalité par maladies hépatiques portant sur une durée médiane de 6,5 ans (IIQ5,0-7,3).
Le terme de « migrant » est ici défini par la naissance à l’étranger avec au moins un parent lui-même né à l’étranger ; la survenue et la cause de décès sont extraites des dossiers médicaux. Ce qui n’est pas directement comparable avec la définition des immigrés dans les recensements, pas plus qu’avec les données officielles de mortalité : il n’a pas été possible de documenter les décès par le statut vital dans les bases de mortalité de l’Insee.
Un risque de décès ajusté similaire entre migrants et non-migrants
La cohorte compte 3 812 migrants (la moitié d’Afrique subsaharienne, 70 % installés en France depuis plus de 10 ans) et 1 785 non-migrants. La répartition par sexe est similaire. Les migrants sont plus jeunes (44 ans vs 52 ans), à un stade de maladie moins avancé, plus souvent sous le seuil de pauvreté et ouvriers. Les deux groupes ont un niveau d’études similaire au-delà du Bac. Les migrants consomment moins d’alcool, de drogues et de tabac. Le taux de diabète est identique dans chaque groupe.
Comparé à celui des non-migrants, le risque de décès toutes causes est 3 fois inférieur pour les migrants (HR 95% IC=0,34 (0,26-0,44) ; après ajustement des facteurs démographiques, sociaux et comportementaux, ce risque remonte à 0,58 (0,41-0,82).
Le risque de mortalité toutes causes confondues est inférieur chez les migrants par rapport aux non-migrants, quelle que soit leur région d’origine (et son niveau d’endémicité), ou la durée de leur séjour en France. Toutefois, après ajustement des données, cet avantage n’est plus observé pour les personnes originaires d’Afrique sub-saharienne ainsi que pour les individus vivant en France depuis moins de dix ans.
La pauvreté reste un déterminant clé de la mortalité hépatique pour tous
Le taux brut de mortalité hépatique observé chez les migrants est environ deux fois inférieur à celui des non-migrants. Toutefois, après ajustement pour des facteurs de risque tels que l’âge, le sexe, la consommation d’alcool, le tabac, la situation de pauvreté, le diabète et le stade de l’hépatite B, cet écart n’est plus observé, et le risque de décès hépatique devient similaire entre migrants et non-migrants. En revanche, le risque de mortalité pour d’autres causes reste plus faible chez les migrants. On notera cependant que vivre sous le seuil de pauvreté pénalise à la fois migrants et non-migrants avec un risque après ajustement de 1,37 (1,03-1,83).
Les auteurs concluent qu’en France, dans le contexte du système de soins universel, les migrants n’ont pas d’excès de mortalité par rapport au non-migrants. Pour expliquer cette observation, ils avancent plusieurs mécanismes : un diagnostic à un stade plus tardif chez les non migrants (les migrants faisant l’objet plus souvent de dépistage systématique à leur arrivée), et une consommation de tabac et d’alcool beaucoup plus faible.
La moindre mortalité des migrants en général est classiquement attribuée en partie à ce que les Anglo-Saxons appellent l’ « healthy migrant effect » – autrement dit une sélection de fait des émigrants en meilleure santé et capacités au départ de leur pays. Elle serait également due à un possible biais d’observation qui minorerait la mortalité observée, le « salmon bias », évoquant le retour des migrants dans leur pays d’origine au moment de la maladie ou de l’avance en âge. Ces deux effets sont difficiles à mesurer et à expliquer tellement ils conjuguent de facteurs sociaux et individuels.
Les résultats apportés par Lotto et al. sont très intéressants car ils sont issus – et c’est rare – de l’observation des patients atteints d’une hépatite B chronique est menée au niveau national, dans les mêmes lieux de soins, avec un long suivi, et surtout avec une documentation des principaux facteurs qui influencent la mortalité.
L’accès universel aux soins démontre ici sa valeur et sa nécessité, l’intérêt du dépistage systématique qui permet un diagnostic avant les phases avancées de la maladie hépatique et la nécessité d’accompagner les programmes médicaux d’un volet social qui s’attaque à la pauvreté des patients, facteur aggravant de la mortalité pour tous.
Référence
Lotto M, Ramier C, Carrat F, Périères L, Delaroque-Astagneau E, Nicol J, Marcellin F, Zoulim F, Di Beo V, Bertheau M, Pol S, Protopopescu C, Bourlière M, Carrieri P; ANRS/AFEF CO22 HEPATHER Study Group. Mortality risk in migrant and non-migrant individuals with chronic hepatitis B virus infection: a French hospital-based cohort study (ANRS CO22 HEPATHER). BMC Glob Public Health. 2025 Jul 1;3(1):58. doi: 10.1186/s44263-025-00173-7. PMID: 40598581; PMCID: PMC12220402.