Le gonocoque (Neisseria gonorrhoeae) est une bactérie responsable d’une infection sexuellement transmissible qui peut prendre plusieurs formes:
- Chez l’homme, la gonorrhée, ou urétrite (ou «chaude-pisse», qui dit bien l’inflammation douloureuse de l’urètre et de son extrémité, souvent accompagnée de production locale de pus), plus ou moins intense;
- Chez la femme, la cervicite (inflammation de col de l’utérus), voire des infections génitales plus profondes (l’infection est généralement moins «bruyante» que chez l’homme);
- Chez les deux sexes, des rectites (inflammation du rectum);
- De façon rare, un passage dans le sang (bactériémie) est possible, avec des tableaux parfois graves tels que des arthrites purulentes;
- Un portage asymptomatique, généralement transitoire (quoique de durée variable), au niveau de l’urètre, du vagin, de la gorge, de l’anus : c’est ce que l’on recherche lors d’un dépistage «3 sites», ciblant aussi la bactérie Chlamydia ; les personnes ayant ce portage sont contagieuses.
En France, ces infections touchent surtout les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH) ; en 2023, selon Santé Publique France1, les 10 600 cas (environ) étaient à 84,1 % des hommes cis, 15,1% des femmes cis, et 0,7 % des personnes trans.
Le traitement est relativement simple (une injection unique d’antibiotique), mais plusieurs pays rapportent un haut niveau de circulation de souches très résistantes (en France, si la bactérie n’a plus sa sensibilité originelle à de nombreux antibiotiques, elle reste sensible à l’antibiotique de 1ère intention).
Il n’y a pas de vaccin spécifique du gonocoque ; et par ailleurs, la prophylaxie post-exposition par doxycycline («doxyPEP») permet une diminution de risque de syphilis et d’infection à Chlamydia, mais pas pour les infections à gonocoque. Le principal outil pour réduire leur incidence est donc le dépistage régulier de celles et ceux dont la vie sexuelle les expose plus particulièrement, et le signalement au(x) / à la partenaire(s).
Le vaccin 4cMenB
Un vaccin a cependant éveillé l’intérêt: celui élaboré contre une bactérie très proche du gonocoque, le méningocoque (Neisseria meningitidis). Cet agent est responsable de certains des tableaux infectieux les plus graves rencontrés chez l’homme (méningite purulente, purpura fulminans). Il existe plusieurs types de méningocoque, en fonction de la composition de la capsule qui les entoure ; en France, circulent par ordre de fréquence2 les méningocoques B, W, et Y (la vaccination obligatoire des nourrissons et le rattrapage généralisé jusqu’à 24 ans inclus a fait presque disparaître le type C… et on espère que l’extension de la vaccination conduira au même résultat pour W et Y). On dispose de vaccins ciblant la capsule des types A, C, W et Y, mais il n’a pas été possible d’élaborer un vaccin ciblant la capsule du type B. De ce fait, il a été mis au point un vaccin, dit 4cMenB (Bexsero en France) ciblant d’autres antigènes bactériens que la capsule.
Or, certains de ces antigènes non-capsulaires sont communs entre les deux Neisseria, le gonocoque et le méningocoque. Il a donc été anticipé que ce vaccin 4cMenB puisse apporter une protection contre le gonocoque : de fait, les personnes vaccinées par le 4cMenB ont des anticorps anti-gonocoque, et des études observationnelles (à ne pas confondre avec un essai clinique) ont rapporté qu’elles avaient une moindre incidence des infections à gonocoque. La protection observée était limitée, autour de 30% si l’on prend l’ensemble de ces études3, mais certains modèles épidémiologiques font penser que même éviter un cas sur trois pourrait avoir un important impact.
Dans la vraie vie ?
L’utilisation à grande échelle s’est cependant heurtée à plusieurs problèmes:
- D’une part, un essai clinique français, DoxyVac4, étudiant chez des PrEPeurs l’effet soit de la doxycycline en post-exposition, soit de la vaccination par le 4cMenB, n’a pas observé de réduction significative de la détection de gonocoque chez les sujets vaccinés par rapport au placebo: la différence, 22%, était trop faible pour être certaine;
- D’autre part, contrairement aux vaccins actuels dirigés contre la capsule, le vaccin 4cMenB n’empêche pas le portage (présence asymptomatique de la bactérie) du méningocoque: il protège contre l’infection et ses conséquences toujours graves, mais ne joue pas sur la circulation de la bactérie dans la population. Il est très probable qu’il en soit de même quant au gonocoque : pas d’effet sur le portage, donc pas d’effet sur la circulation des souches – un important contre-argument à son utilisation;
- Enfin, le schéma vaccinal repose sur 2 doses initiales, et la protection ne dépasse pas 3 à 5 ans: on est loin des performances durables des vaccins contre l’hépatite A, l’hépatite B, ou les infections à papillomavirus (HPV).
De ce fait, à ce jour, les conditions n’apparaissent pas réunies pour recommander ce vaccin dans une stratégie anti-gonococcique, même ne ciblant qu’une population très exposée, et même si par ailleurs le vaccin est très bien toléré.
C’est pourquoi la décision britannique est étonnante. Elle s’appuie certes sur des projections tout à fait sérieuses (quoique discutables, comme toute projection); mais on ressent un décalage entre l’effet, assez modeste, que ce vaccin permettrait d’atteindre, et la force avec laquelle le National Health System (NHS) communique.
Bien sûr, que l’on juge ce raisonnement valide ou non, l’évolution de l’incidence des infections à gonocoque au Royaume-Uni sera regardée avec beaucoup d’intérêt dans les années qui viennent… En parallèle, il reste indispensable pour toute personne entre 11 et 24 ans (inclus) de recevoir une dose du vaccin anti-méningococcique ACWY5, quels que soient son genre, son orientation et sa vie sexuelles, et ses antécédents de santé.
La campagne anglaise
L’Angleterre sera le premier pays à vacciner contre la gonorrhée à partir du mois d’août prochain avec un vaccin contre la méningite utilisé chez les nourrissons. Les hommes homosexuels et bisexuels multipartenaires ayant des antécédents d’IST sont la cible prioritaire de cette campagne de vaccination, destinée à enrayer le nombre croissant d’infections (plus de 85 000 cas en 2023, le plus élevé depuis le début des études en 1918).
Selon la BBC, ce vaccin est efficace de 30 à 40 %, mais le NHS espère qu’il inversera le nombre d’infections. Les projections de l’Imperial College de Londres montrent que si la campagne touche son but, elle pourrait empêcher 100 000 cas et permettre au NHS d’économiser près de 8 millions de dollars au cours de la prochaine décennie.
- https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/infections-sexuellement-transmissibles/gonococcie/donnees/#tabs ↩︎
- https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/718759/4656285?version=4 ↩︎
- https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0264410X25004773?via%3Dihub ↩︎
- https://vih.org/vih-et-sante-sexuelle/20240305/croi-2024-resultats-finaux-de-letude-anrs-174-doxyvac/ ↩︎
- Le vaccin anti-méningococcique B, qui n’est pas recommandé dans cette classe d’âge avec autant de force du fait de son absence d’impact sur la circulation des souches (il ne protège « que » le/la vacciné·e), est cependant lui aussi pris en charge par l’assurance maladie, et toute personne de 11 à 24 ans peut en bénéficier. ↩︎