Recommandations DoxyPEP: oui, mais au cas par cas

La Haute Autorité de santé vient de rendre publiques des recommandations de bonnes pratiques veillant à encadrer à l’usage préventif de la doxycycline en traitement post-exposition.

C’est peu dire que l’avis du Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) et l’Agence nationale de recherches sur le VIH/sida, les hépatites virales, la tuberculose, les infections sexuellement transmissibles et les maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE) concernant «la doxycycline en prévention des infections sexuellement transmissibles bactériennes» (IST) était très attendu. Revues et validées par la Haute Autorité de santé (HAS), ces recommandations de bonnes pratiques visent à encadrer la mise en pratique de données collectées dans les essais DoxyPEP et DOXYVAC (pour ce dernier, dans le cadre de l’étude PREVENIR-ANRS, dont les résultats ont été publiés en 2024).

Assez court, ce document de 11 pages rappelle les enjeux de santé publique liés à cette prophylaxie post-exposition (PEP) par la doxycycline, telle qu’elle a été validée par les études scientifiques suscitées: «l’enjeu du traitement préventif est de casser la courbe épidémique ascendante observée depuis le début des années 2000 pour les infections à Chlamydiae trachomatis, Neisseria gonorrhoeae et Treponema pallidum (syphilis).» En effet, on observe une progression de la survenue des IST dans toute l’Europe.

Au sujet de l’utilisation de la doxycycline en prévention, rappelons qu’on distingue:

  • la prophylaxie pré-exposition (PrEP-Doxy) par la Doxycycline, qui consiste en une prise avant une exposition sexuelle à risque de contamination;
  • le traitement post-exposition (TPE-Doxy ou Doxy-PEP en anglais) qui consiste en une prise après une exposition sexuelle à risque de contamination. En tant que seule méthode ayant fait ses preuves scientifiques, c’est celle qui est adressée dans le présent avis. 

Sur la synthèse des données, précisément, l’avis est pour le moins bref, rappelant d’abord que «c’est dans la population des HSH et des femmes trans à haut risque d’IST qu’elle a montré son efficacité».

Le document aborde le sujet de l’antibiorésistance, et rappelle que «la sensibilité à la doxycycline des espèces cibles (C. trachomatis, T. pallidum) ne semble pas en ce jour menacée», mais que  «l’utilisation prolongée d’antibactérien expose à la sélection d’espèces bactériennes résistantes dans le microbiote des individus exposés et à leur diffusion dans la population générale.»

En termes de tolérance, la doxycycline est considérée comme «plutôt bien tolérée» mais selon l’avis, on «manque de données sur son utilisation prolongée».

Campagne en faveur de DoxyPEP de la San Francisco Aids Foundation en faveur de DoyxPeP, 2023. DR.

Ouvrir la porte, mais limiter les utilisations sauvages de DoxyPEP

Viennent ensuite les recommandations. Ces dernières sont assez intelligemment libellées, avec une non-recommandation globale, tout en donnant les moyens au clinicien d’encadrer sa prescription, lorsque que celle-ci est envisagée «dans une démarche de décision partagée avec le ou la patiente». Une manière d’ouvrir la porte à l’utilisation de DoxyPEP au cas-par-cas, et de limiter ainsi les prescriptions sauvages.

La doxycycline en prévention des IST bactériennes n’est donc, selon la HAS «pas recommandée chez les hommes ayant des rapports avec des hommes (HSH) et les femmes trans». Il s’agit ici d’un avis expert (AE), et non d’un avis basé sur un faible ou un fort niveau de preuves. Néanmoins, selon ce même avis, «dans cette population, dans une démarche de décision partagée avec le ou la patiente, il est toutefois possible d’envisager sa prescription pour les personnes à haut risque d’IST». Dans le document, ces dernières sont définies de manière suivante : «les hommes cis ou les femmes trans ayant eu des rapports avec au moins deux partenaires cis ou femme trans au cours des 12 derniers mois et ayant eu au moins deux épisodes d’IST bactériennes (…) dans les 12 derniers mois.»

Les modalités de prise de la doxycycline en prévention (PeP) sont explicitées ensuite, selon le même schéma que celui utilisé dans les essais. À savoir: 200mg en une prise orale, au plus tôt après un rapport sexuel sans préservatif et jusqu’à 72 heures sans dépasser trois prises par semaine (hors AMM). 

La crainte de l’antibiorésistance 

Sur le terrain, les médecins spécialistes semblent, à première vue, plutôt satisfaits par ces recommandations: la prescription de la doxycycline sera désormais encadrée par ces données d’utilisation, et les demandes de DoxyPEP venant de patients ne répondant pas aux critères seront désormais plus facilement opposables.

Quelques points méritent cependant débat. Tout d’abord, dans les critères de définition des «personnes à haut risque d’IST», figurent la survenue d’au moins deux épisodes d’infection sexuellement transmissible (IST) bactérienne à C. trachomatis, N. gonorrhoeae ou T. pallidum. La présence du gonocoque peut étonner, lorsqu’on connait son haut niveau de résistance à la doxycycline en France. (Voir notre article : Doxycycline en prophylaxie post-exposition: surveiller les résistances). Un patient connaissait des infections gonococciques à répétition, avec notamment au moins 2 partenaires et 2 épisodes dans les 12 derniers mois, correspondrait ainsi, selon ces recommandations, à l’indication d’utilisation de la doxycycline en PEP, malgré le risque de résistance.

Concernant la prescription au cas-par-cas, l’avis recommande en page 10 qu’elle reste «exceptionnelle» et que chaque traitement curatif soit suivi d’un test de guérison des IST, «pour s’assurer de l’absence d’émergence d’IST résistante à la doxycycline». Cette précaution risque d’alourdir quelque peu le processus.

Enfin, se pose le cas particulier des patients qui prennent la doxycycline au long cours, dans le cadre d’un traitement de l’acné ou en prophylaxie du paludisme, à la dose de 100 mg/jour. Nous ne disposons pas, pour le moment, de données d’efficacité ou d’inefficacité sur la prise éventuelle de 100 mg de plus, qui permettrait ainsi d’atteindre la dose recommandée en PEP.