Une première remarque, le dépistage systématique tous les 3 mois multisite (gorge, anus, urines) est passé dans les habitudes de suivi des usagers de PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. et il a été facilité par le passage à la nomenclature (c’est-à-dire remboursement du prélèvement des 3 sites alors que ce n’était pas aussi évident avant). Beaucoup de praticiens réalisent cela soit dans leur centre avec poste de prélèvement, soit dans les laboratoires de biologie médicale (LABM). Très souvent, une recherche de syphilis, par sérologieSérologie Étude des sérums pour déterminer la présence d’anticorps dirigés contre des antigènes. y est couplée ; bien évidemment en plus de la sérologie VIH qui reste l’examen indispensable du suivi (même si là aussi se pose la question d’une rythmicité trimestrielle vs. semestrielle chez des personnes très observantes).
«Les données sont encore très fragiles,» et «il faut mener d’autres études pour trancher ce débat et identifier la meilleure fréquence de ce dépistage».
Jean-Michel Molina, Hôpital saint-Louis, Paris
Comme il a été démontré dans de nombreuses études (australiennes, françaises comme Prévenir, etc.), la mise sous PrEP avec ces dépistages systématiques est associée à une augmentation des diagnostics d’IST asymptomatiques qui sont, à date, systématiquement traitées; soit à titre individuel, afin d’éviter de développer une ISTIST Infections sexuellement transmissibles. symptomatique —ce qui est finalement assez rare—, soit à titre populationnel, pour «casser» la chaîne de transmission… mais au prix, d’une exposition massive à de nombreux antibiotiques dont certains (comme la ceftriaxone, traitement de référence du gonocoque) entraînant des résistances et une modification du contenu bactérien digestif, le fameux «microbiote», comme les travaux du Dr Laure Surgers de St-Antoine l’ont montré.
«Selon moi, les deux problèmes principaux sont:
1) la sélection des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. strictement gay, pas bisexuels, pour appliquer le non-dépistage, puisqu’on craint un passage des IST aux femmes chez qui les conséquences sont plus graves, en termes de complications à long terme, de stérilité;
2) le risque (potentiel) d’augmenter les formes cliniques graves d’infections aux germes en question (NG, CT : bactériémie, endocardite, arthrite, etc.) si on augmente le pool global d’hommes exposés à ces germes, en ne dépistant plus et en ne traitant plus.
Pour mycoplasme, on a décidé de ne plus dépister et de ne plus traiter, parce qu’on “on ne s’en sortait plus” avec les échecs de traitement et la résistance. En fait, ça rejoint un peu le même principe pour NG et CT, même si la résistance n’est pas très préoccupante pour le moment : on “ne s’en sort plus” car les HSH sexuellement actifs sont tout le temps positifs, se recontaminent, etc. Donc pourquoi pas adopter le même principe ? Par ailleurs, pour le dépistage de NG dans la gorge, pas mal de biologistes arguent qu’il y a sans doute beaucoup de faux positifs avec les Neisseria commensaux de la gorge, et les PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. ne seraient peut-être pas si fiables que ça…
En somme, je suis assez favorable à faire comme font les Belges, à arrêter de dépister et traiter les HSH exclusivement gay asymptomatiques, mais en documentant ce qu’on fait par une cohorte très bien suivie, pour pouvoir en analyser ensuite les éventuelles conséquences (bonnes ou mauvaises).»Romain Palich, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris
Maintenir, supprimer ou espacer le dépistage systématique des IST chez les HSH
Ce petit paragraphe introductif plante le décor et toutes les questions scientifiques qui en découlent…
En effet, faut-il continuer ce dépistage vu les données d’incidence en population générale ou chez les HSH qui ne baissent pas (données Santé publique France), mais également vu le nombre très faible d’IST symptomatiques par rapport aux asymptomatiques ?
Une première réponse, le site urinaire est le moins intéressant dans le cadre de ce dépistage systématique. En effet, un portage asymptomatique de gonocoque, l’agent de la “chaude pisse”, est très rare, de l’ordre de 1 à 2%, lorsque cela arrive et que le patient est a posteriori bien interrogé, il a souvent des petits symptômes, soit au moment du prélèvement ou bien qui sont apparus entre le prélèvement et le résultat du test. Donc ce dépistage systématique urinaire ne paraît pas indispensable pour cette bactérie. Pour Chlamydia trachomatis, bactérie la plus fréquemment à l’origine d’IST bactériennes, les choses sont un peu différentes. Il est possible d’être porteur asymptomatique au niveau urétral, sans développer de symptômes par la suite, mais en étant contagieux pour sa.son.ses partenaire.s, telle est la question. De plus, une infection chronique à chlamydia chez un homme cis n’a pas les mêmes conséquences obstétricales que chez une femme cis; à la différence des femmes, il n’y a aucune conséquence sur la fertilité chez les hommes. Ce dernier élément, rassurant, est aussi à prendre en compte. Fort de tout cela, pour le site urinaire, un dépistage plus espacé (semestriel?) pourrait se discuter.
Pour les deux autres sites et les deux mêmes bactéries (gonocoque et chlamydia), la question est un peu différente. Le site anal, contrairement au premier jet d’urines, est le plus souvent positif et les patients peuvent rester asymptomatiques (même avec la forme la plus virulente de chlamydia, appelée “génotype L”, à l’origine de la LGV ou lymphogranulomatose vénérienne rectale qui a émergé en Europe en 2003, comme le montrent les récents travaux menés par le Dr Olivia Peuchant et son équipe).
Le prélèvement pharyngé aura de fait une place intermédiaire en termes de positivité, mais les patients sont toujours asymptomatiques et d’expérience, pas de soucis de diffusion de la bactérie (notamment le gonocoque) dans le corps. La question, une fois de plus, est celle de la « viabilité » de ces bactéries détectées, par des techniques de plus en plus sensibles, et du risque de transmission. Autrement dit, le jeu (dépister et traiter systématiquement toute personne positive) en vaut-il la chandelle (réduction du risque de transmission lors des rapports oro-génitaux ou oro-anaux et diminution des nouveaux cas au sein des personnes dépistées)?
«Il y a plusieurs lectures de ces données, notamment de l’étude randomisée qui n’est pas si probante que cela pour justifier ce positionnement belge. Ce qui est étonnant dans ce travail, c’est :
1) l’absence de modélisation des cas secondaires non évités par l’absence de dépistage et notamment via la notification des partenaires bien développée en Belgique, car si on ne dépiste pas, on ne notifie pas;
2) la nécessité d’avoir des données sur l’impact possible de l’arrêt de ce dépistage systématique sur l’observance de la PrEP et le nombre de perdus de vue dans la mesure où la PrEP est proposée – que ce soit dans l’AMM du Truvada comme dans la Stratégie Nationale de Santé Sexuelle – comme une offre globale de santé sexuelle dont le dépistage est un des éléments. Et pas uniquement une distribution d’ordonnances.»Gilles Pialoux, Hôpital Tenon, Paris
Mieux connaître le portage asymptomatique pharyngé de gonocoque
Sur ce dernier point, particulièrement intéressant, une étude multicentrique française sur le portage asymptomatique pharyngé de gonocoque est actuellement menée par le Dr Claire Pintado de St-Louis, elle apportera une réponse claire et précise sur l’attitude à avoir. Brièvement, les personnes porteuses de gonocoque au niveau de la gorge sont soit traitées d’emblée (ceftriaxone), soit traitées à 3 mois si elles restent positives. Les partenaires réguliers, ou moins réguliers, peuvent aussi participer à l’étude pour voir s’ils sont contaminés d’emblée ou durant le suivi de 3 mois. Grâce à l’expertise et au savoir du Centre national de référence (CNR) du gonocoque, dirigé par le Pr Béatrice Bercot, des études très poussées seront réalisées et permettront de donner des réponses scientifiques afin de mieux appréhender cette problématique.
En conclusion, il est encore un peu tôt pour changer de paradigme de dépistage en France, mais ces messages venus de Belgique doivent nous inciter à réfléchir et à proposer des dépistages plus personnalisés à nos patients. Pour finir, le dépistage des IST est très bien réalisé chez les usagers de PrEP, mais l’est-il autant chez les PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH HSH à risque? Pas si sûr… mais cela fera peut-être l’objet d’un autre édito dans un prochain numéro de la revue médicale.
«Mes commentaires concernant l’étude de T. Vanbaelen sont que :
– La population de l’étude n’est pas “captive” ou “isolée”. On dépiste (ou pas) les participants, et on va calculer l’incidence des IST dans chaque bras. Mais ces participants peuvent se faire contaminer en dehors de la population de l’étude, par des personnes dont on ignore si elles sont dépistées ou pas. Donc c’est difficile d’établir un lien de causalité entre l’incidence des IST et l’absence ou la présence de dépistage systématique;
– Dans l’étude de Vanbaelen, le risque de transmissions secondaires n’est pas pris en compte;
– Il faut attendre les résultats d’études comme PORTAPHAR pour voir si une IST à Ng asymptomatique au niveau de la gorge, détectée par PCR, peut pousser (ou pas) en culture, ce qui serait une information sur la possibilité de ces infections pharyngées asymptomatiques à Ng de se transmettre ou pas. L’étude donnera aussi des informations sur la durée de détection par PCR de ces infections en histoire naturelle.
En effet, dans l’étude de Vanbaelen, ce n’est que lorsqu’on considère que la détection d’une IST à deux visites consécutives correspond à la même IST persistante, que le résultat de l’étude devient significatif. Il faudra voir grâce à PORTAPHAR si, par ex, pour les infections à Ng, elles peuvent persister 3 mois en histoire naturelle.
Des études aux Pays-Bas et en France ont montré que les IST étaient concentrées dans une sous-population d’usagers de la PrEP. Il serait temps d’avoir une approche plus « personnalisée », avec un rythme de dépistage adapté plus rapproché pour ces sous-populations les plus à risque d’IST à répétition, et plus espacé pour les autres. Ce type d’approche personnalisée me paraît plus pertinent qu’une approche de généralisation d’une recommandation de dépistage systématique ou de l’absence de dépistage.»Jade Ghosn, Hôpital Bichat, Paris