Dépistage des IST asymptomatiques chez les HSH en 2024 : Le point de vue des médecins en France

En attendant les recommandations officielles de la Haute autorité de santé (HAS) sur le suivi des infections sexuellement transmissibles (IST) chez les PvVIH et les usagers de PrEP VIH, que peut-on dire, notamment suite aux récents travaux belges menées au CHU Saint-Pierre de Bruxelles, sur ce sujet d’actualité? Une analyse de Charles Cazanave (CHU Bordeaux), accompagnée des réactions de médecins suivant des PrEPeurs en France.

Une première remarque, le dépistage systématique tous les 3 mois multisite (gorge, anus, urines) est passé dans les habitudes de suivi des usagers de PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. et il a été facilité par le passage à la nomenclature (c’est-à-dire remboursement du prélèvement des 3 sites alors que ce n’était pas aussi évident avant). Beaucoup de praticiens réalisent cela soit dans leur centre avec poste de prélèvement, soit dans les laboratoires de biologie médicale (LABM). Très souvent, une recherche de syphilis, par sérologieSérologie Étude des sérums pour déterminer la présence d’anticorps dirigés contre des antigènes. y est couplée ; bien évidemment en plus de la sérologie VIH qui reste l’examen indispensable du suivi (même si là aussi se pose la question d’une rythmicité trimestrielle vs. semestrielle chez des personnes très observantes).

Comme il a été démontré dans de nombreuses études (australiennes, françaises comme Prévenir, etc.), la mise sous PrEP avec ces dépistages systématiques est associée à une augmentation des diagnostics d’IST asymptomatiques qui sont, à date, systématiquement traitées; soit à titre individuel, afin d’éviter de développer une ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  symptomatique —ce qui est finalement assez rare—, soit à titre populationnel, pour «casser» la chaîne de transmission… mais au prix, d’une exposition massive à de nombreux antibiotiques dont certains (comme la ceftriaxone, traitement de référence du gonocoque) entraînant des résistances et une modification du contenu bactérien digestif, le fameux «microbiote», comme les travaux du Dr Laure Surgers de St-Antoine l’ont montré.

Maintenir, supprimer ou espacer le dépistage systématique des IST chez les HSH

Ce petit paragraphe introductif plante le décor et toutes les questions scientifiques qui en découlent…

En effet, faut-il continuer ce dépistage vu les données d’incidence en population générale ou chez les HSH qui ne baissent pas (données Santé publique France), mais également vu le nombre très faible d’IST symptomatiques par rapport aux asymptomatiques ?

Une première réponse, le site urinaire est le moins intéressant dans le cadre de ce dépistage systématique. En effet, un portage asymptomatique de gonocoque, l’agent de la “chaude pisse”, est très rare, de l’ordre de 1 à 2%, lorsque cela arrive et que le patient est a posteriori bien interrogé, il a souvent des petits symptômes, soit au moment du prélèvement ou bien qui sont apparus entre le prélèvement et le résultat du test. Donc ce dépistage systématique urinaire ne paraît pas indispensable pour cette bactérie. Pour Chlamydia trachomatis, bactérie la plus fréquemment à l’origine d’IST bactériennes, les choses sont un peu différentes. Il est possible d’être porteur asymptomatique au niveau urétral, sans développer de symptômes par la suite, mais en étant contagieux pour sa.son.ses partenaire.s, telle est la question. De plus, une infection chronique à chlamydia chez un homme cis n’a pas les mêmes conséquences obstétricales que chez une femme cis; à la différence des femmes, il n’y a aucune conséquence sur la fertilité chez les hommes. Ce dernier élément, rassurant, est aussi à prendre en compte. Fort de tout cela, pour le site urinaire, un dépistage plus espacé (semestriel?) pourrait se discuter.

Pour les deux autres sites et les deux mêmes bactéries (gonocoque et chlamydia), la question est un peu différente. Le site anal, contrairement au premier jet d’urines, est le plus souvent positif et les patients peuvent rester asymptomatiques (même avec la forme la plus virulente de chlamydia, appelée “génotype L”, à l’origine de la LGV ou lymphogranulomatose vénérienne rectale qui a émergé en Europe en 2003, comme le montrent les récents travaux menés par le Dr Olivia Peuchant et son équipe).

Le prélèvement pharyngé aura de fait une place intermédiaire en termes de positivité, mais les patients sont toujours asymptomatiques et d’expérience, pas de soucis de diffusion de la bactérie (notamment le gonocoque) dans le corps. La question, une fois de plus, est celle de la « viabilité » de ces bactéries détectées, par des techniques de plus en plus sensibles, et du risque de transmission. Autrement dit, le jeu (dépister et traiter systématiquement toute personne positive) en vaut-il la chandelle (réduction du risque de transmission lors des rapports oro-génitaux ou oro-anaux et diminution des nouveaux cas au sein des personnes dépistées)?

Mieux connaître le portage asymptomatique pharyngé de gonocoque

Sur ce dernier point, particulièrement intéressant, une étude multicentrique française sur le portage asymptomatique pharyngé de gonocoque est actuellement menée par le Dr Claire Pintado de St-Louis, elle apportera une réponse claire et précise sur l’attitude à avoir. Brièvement, les personnes porteuses de gonocoque au niveau de la gorge sont soit traitées d’emblée (ceftriaxone), soit traitées à 3 mois si elles restent positives. Les partenaires réguliers, ou moins réguliers, peuvent aussi participer à l’étude pour voir s’ils sont contaminés d’emblée ou durant le suivi de 3 mois. Grâce à l’expertise et au savoir du Centre national de référence (CNR) du gonocoque, dirigé par le Pr Béatrice Bercot, des études très poussées seront réalisées et permettront de donner des réponses scientifiques afin de mieux appréhender cette problématique.

En conclusion, il est encore un peu tôt pour changer de paradigme de dépistage en France, mais ces messages venus de Belgique doivent nous inciter à réfléchir et à proposer des dépistages plus personnalisés à nos patients. Pour finir, le dépistage des IST est très bien réalisé chez les usagers de PrEP, mais l’est-il autant chez les PVVIHPVVIH Personne vivant avec le VIH HSH à risque? Pas si sûr…  mais cela fera peut-être l’objet d’un autre édito dans un prochain numéro de la revue médicale.