Étude Ganymède : enfin plus d’information sur les HSH nés à l’étranger face au VIH

Romain Palich et ses co-auteurs publient dans EUROSURVEILLANCE les résultats tant attendus de l’étude GANYMÈDE (ANRS-MIE 14058) qui viennent apporter les connaissances manquantes sur les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH) immigrés en France.  Le nombre de nouveaux diagnostics VIH dans cette population représente une proportion croissante dans la dynamique de l’épidémie.

Si des résultats ont été apportés par des études sur les HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes.  en migration dans d’autres pays en Europe ou en Amérique du Nord, ils manquaient pour la France; en particulier pour les caractéristiques sociales et comportementales associées à l’acquisition de l’infection une fois immigré.

Menée dans 14 hôpitaux de Paris ou de sa proche banlieue, l’étude GANYMÈDE a recruté les HSH cisgenres pris en charge pour une infection VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Un autoquestionnaire en 6 langues sur leur contexte de départ et d’arrivée et leur vie sexuelle en France a été soumis à ceux arrivés en France après 15 ans et majeurs au jour de l’enquête. Les hommes arrivés avant 15 ans ont été inclus mais classés comme infectés en France et n’ont pas rempli le questionnaire. Les paramètres clés du dossier médical VIH au moment du diagnostic ont été collectés. L’identification en tant que HSH était basée sur la déclaration des hommes contactés dans les services.

Répartition géographique des centres de soins associés à l'étude ANRS-MIE GANYMÈDE.
Répartition géographique des centres de soins associés à l’étude ANRS-MIE GANYMÈDE.

C’est ainsi que 1159 des 1282 hommes approchés à l’hôpital ont accepté l’enquête (soit 90,4%). Ces hommes avaient 43 ans en médiane au jour de l’enquête (IIQ: 34-56), étaient en France depuis 15 ans (IIQ: 6-32), avec un âge de 25 ans à l’arrivée (IIQ: 10-31). Ils connaissaient leur diagnostic depuis 8,9 ans (IIQ: 5,1- 18,1) et étaient suivis pour leur infection VIH depuis 5,9 ans (IIQ: 2,8-11,8). Les pays de naissance sont par ordre d’importance l’Amérique du Sud, l’Europe, l’Afrique du Nord, l’Afrique subsaharienne presque à égalité avec l’Asie-Océanie.

61,7% ont acquis le VIH en France qui se répartissent en 14,2% chez des hommes arrivés en France avant 15 ans et 47,5 arrivés après l’âge de 15 ans

Un premier résultat important est le moment de l’infection, déterminé par une combinaison de variables sur la trajectoire, les informations sur un diagnostic antérieur et une modélisation en fonction des CD4.

Moment d'acquisition du VIH après la migration, parmi les participants ayant immigré après l'âge de 15 ans, selon le lieu de naissance, Ile-de-France, France, mai 2021-juin 2022 (1 = 550)
Moment d’acquisition du VIH après la migration, parmi les participants ayant immigré après l’âge de 15 ans, selon le lieu de naissance, Ile-de-France, France, mai 2021-juin 2022 (1 = 550)

Ainsi sur les 1159 hommes participants, 165 (14,2%) sont des hommes arrivés enfants et  définis comme ayant été infectés alors qu’ils étaient en France, 550 arrivés après 15 ans ont été infectés en France (47,5%) et 444 arrivés comme adultes étaient séropositifs avant leur venue (38,3%) : ainsi 61,7% ont acquis le VIH en France. Parmi les hommes infectés avant l’émigration, 250 ont rapporté connaître leur diagnostic, 221 avaient commencé un traitement ARV dans leur pays dont 36 l’avaient arrêté dans les circonstances de la migration, au total, 65 étaient donc sans traitement lors de leur prise en charge en France (soit 26%). Les pays d’origine correspondent à des patterns migratoires différents d’immigration en France au cours du temps, déterminant les âges et circonstances de migration: ici, plus l’âge est élevé à l’arrivée en France, plus la proportion d’hommes infectés en France diminue. Ainsi la part d’infection en France est maximale pour les hommes d’Afrique du Nord et la plus basse pour ceux d’Amérique latine.


À noter ici que l’acquisition de l’infection après la migration, ne signifie pas forcément l’infection en France, car les retours au pays concernent au cours du temps environ 6 hommes sur 10 sans compter les autres voyages.

Pour les hommes arrivés après 15 ans, le temps entre l’arrivée en France et la date d’infection est de 7,5 ans en médiane (IIQ 3,5- 14,75 ans); 13,1% ont acquis l’infection la première année suivant leur arrivée, proportion qui monte à 25% pour les hommes nés en Afrique subsaharienne. À noter que 15,1% avaient moins de 200 CD4/mm³ au diagnostic et un délai au diagnostic de 2 ans (0,3 – 2,8), ce qui est de l’ordre des estimations pour les HSH à Paris de Virginie Supervie et Lise Marty pour 2018: soit 2,1 ans (IIQ 0,4-4,2) pour les HSH nés en France et 2,0 pour les HSH nés à l’étranger 2,0 (IIQ 0,4-4,25) (données non publiées). 

Que sait-on de ces personnes lors de leur arrivée en France?

Pour les hommes arrivés après 15 ans, l’étude a documenté les raisons de l’immigration et les  conditions de vie de la première année de l’arrivée en France du point de vue social et leur vie sexuelle. Les circonstances de l’immigration sont diverses, en raison de l’orientation sexuelle pour 35% des hommes, tandis que le sentiment d’avoir été forcés à partir concerne 54,5% des participants. Près d’un quart, 24,5%, étaient sans papiers ou en demande d’asile à l’arrivée.

La première année est marquée par des ressources financières insuffisantes pour 6 hommes sur 10; une forte proportion d’hommes sont sexuellement actifs (90%), dont 19% avec un seul partenaire, 17,9% plus de 10. Un peu plus de la moitié  utilise systématiquement le préservatif .

Première année en France: facteurs augmentant une infection précoce  

Les chercheurs ont étudié les facteurs associés à l’infection pendant la première année en France, c’est-à-dire le risque pour ces hommes d’être infectés la première année parmi l’ensemble des participants infectés en France. Il aurait fallu recueillir les informations année par année pour identifier les facteurs associés à l’infection VIH au cours du temps, ce qui demande une collecte d’information biographique année par année particulièrement lourde, comme cela a été fait dans l’étude Parcours.

En analyse univariée, les caractéristiques qui augmentent le risque de l’infection dans cette première année sont l’âge, le sentiment d’avoir été forcés d’émigrer, de venir d’un pays d’Afrique subsaharienne ou d’Asie-Océanie, l’émigration en raison de l’orientation sexuelle (risque particulièrement élevé en analyse multivariée), les difficultés socio-économiques. Un nombre élevé de partenaires (plus de 10) augmente aussi fortement le risque. Les circonstances des rencontres sexuelles (saunas ou sex-clubs, utilisation des applications et utilisation du préservatif) ne sont pas associées à ce risque.

Des besoins spécifiques en prévention

Dans la discussion, les auteurs invitent à mettre en place des stratégies spécifiques en termes de prévention, notamment une simplification ou une facilitation de l’accès rapide à la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. S’appuyant sur une littérature internationale, les auteurs rappellent surtout que l’entrée sur une nouvelle scène sexuelle dans un nouveau pays augmente l’exposition au VIH, en particulier pour ceux qui arrivent de pays où l’homosexualité est réprimée, voire lourdement pénalisée. Même si l’interprétation des informations apportées par GANYMÈDE doit tenir compte de leur caractère rétrospectif quant à la vie d’hommes arrivés en médiane depuis 15 ans, avec des biais de mémorisation possibles et surtout une forte évolution des problématiques de la migration, des scènes gay et de la prévention du VIH avec la PrEP, ses apports sont cruciaux pour configurer les actions permettant d’amener l’information et les moyens de la prévention aux HSH arrivant en France. L’article mérite vraiment d’être lu dans le détail.

On ajoutera ici quelques points importants mis en évidence par cet article: la diversité des circonstances de venue et des publics qui invite à élargir le champ des actions auprès de cette population immigrée; la diversité des origines et des parcours migratoires qui ne se limite pas aux personnes sans papiers, aux migrants d’Afrique subsaharienne, les questions de langue (la moitié ne parle pas français à l’arrivée), la nécessité de penser les différents temps du parcours migratoires, le moment de fragilité à l’arrivée plus pour certains que pour d’autres avec le besoin de faciliter l’accès aux soins des hommes qui se savent séropositifs sans traitement ou qui ont interrompu leur traitement (soit 26% des hommes qui se savent infectés avant leur arrivée sur le territoire). On insistera aussi sur la nécessité d’actions communautaires pour rendre moins risquée l’entrée sur une scène sexuelle inconnue dans ses normes et ses pratiques, et bien sûr l’accès à la PrEP.

Les limitations à documenter les caractéristiques individuelles ne nous ont pas encore permis d’étudier de façon large et approfondie les HSH des diasporas vivant en France. On remarque ici que 14% des HSH séropositifs immigrés sont arrivés enfants, mais les circonstances de leur infection n’étaient pas documentées (pour mémoire, les cas d’infection à la naissance étaient exclus du champ de l’étude). On est limité, notamment dans la surveillance épidémiologique, au pays de naissance qui est une information d’état civil et on n’étudie pas quantitativement les descendants d’immigrés et plus largement les diasporas installées de longue date. On peut lire cependant les travaux de Damien Trawalé sur être Noir et homosexuel en France ou ceux de Cyriac Bouchet Mayer sur les inégalités sociales dans le parcours migratoire. Des résultats devraient venir dans les toutes prochaines années des enquêtes Santé, vie affective et sexuelle et Vespa 3 qui documentent, avec l’accord de la CNIL, le pays de naissance des individus et de leurs parents et la communauté ethnique d’appartenance.

Dans le contexte épidémiologique en France, cet article est de première importance par la richesse des informations qui nous manquaient et qui invitent à poursuivre la recherche.