De quoi votre nomination est-elle le nom ? Sous votre présidence, le CNSCNS Le Conseil national du sida et des hépatites virales (CNS) est une commission consultative indépendante composée de 26 membres, qui émet des Avis et des recommandations sur les questions posées à la société par ces épidémies. Il est consulté sur les programmes et plans de santé établis par les pouvoirs publics. Ses travaux sont adressés aux pouvoirs publics et à l’ensemble des acteurs concernés. Le Conseil participe à la réflexion sur les politiques publiques et œuvre au respect des principes éthiques fondamentaux et des droits des personnes. deviendra-t-il le CN2S – Conseil national pour la santé sexuelle ?
Nathalie Bajos : Je travaille sur les questions de sida et de santé sexuelle depuis des années. Je me suis ainsi occupée des premières grandes enquêtes Sexualité et Sida à la demande de l’ANRS dès le début de l’épidémie. Mon parcours a été axé sur les questions de santé sexuelle au sens large. Si j’ai été nommée à la présidence du conseil, c’est en raison de ces compétences. La stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030 indique que les missions du Conseil national du sida vont s’élargir à la question de la santé sexuelle [1]. C’est un principe acquis et ma nomination atteste de la volonté de s’inscrire dans cet élargissement aux missions de santé sexuelle. Maintenant, il faut mettre ce changement en œuvre : cela passe par la nécessité de modifier le nom du conseil dans la loi et ensuite, par décret, d’élargir ses missions et sa composition. Nous sommes encore dans une phase de transition, car nous attendons l’ajustement législatif pour donner officiellement au conseil cette mission de santé sexuelle. Mais d’ores et déjà, nous commençons à travailler et à réfléchir dans une perspective large de santé sexuelle.
Y a-t-il un risque de dilution des enjeux de l’élimination du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. en 2030 dans le concept de santé sexuelle ?
Nathalie Bajos : Il n’y a aucun risque de dilution du VIH. Il existe plusieurs définitions, débats, enjeux autour de la santé sexuelle : qu’est-ce que ce champ recouvre ? Quelle définition retenir ? Comment intégrer la question des droits sexuels ? Nous avons commencé à entreprendre un travail au sein du conseil pour réfléchir à notre approche santé sexuelle, son périmètre et notre spécificité par rapport à d’autres institutions qui travaillent sur ces questions-là. Mais l’approche de santé sexuelle inclut bien évidemment la question du VIH. Il n’est en aucun cas question de diluer, de faire disparaître les enjeux VIH-sida dans les nouvelles missions du CNS.
Qu’ajoutera la dimension santé sexuelle dans le champ du VIH/sida ?
Nathalie Bajos : L’approche santé sexuelle doit permettre d’aborder de manière plus large et positive les questions de sexualité et santé. Elle va permettre de s’appuyer sur tous les acquis du CNS depuis sa création, et de donner une lecture plus politique, au sens premier du terme, des enjeux de santé autour de l’épidémie VIH, qui est loin d’être terminée. L’ouverture à la santé sexuelle, c’est un plus, via une approche plus globale qui permet de sortir d’une vision en silos : VIH, hépatites, contraception, avortement, violences, discriminations, droits des minorités sexuelles et de genre, etc. Réinscrire les problématiques VIH/sida dans une perspective plus large, c’est un atout pour en avoir une lecture plus globale et à terme plus efficace d’un point de vue de santé publique. Mais il est vrai que cet élargissement va donner beaucoup de travail au nouveau conseil qui dépendra des moyens que nous aurons pour traiter tous ces nouveaux dossiers.
Quelle est votre feuille de route ? Le CNS a publié récemment un avis suivi de recommandations sur la DO-VIH, sera-t-il suivi d’effet ?
Nathalie Bajos : Je ne peux pas vous donner de feuille de route précise, puisque nous sommes en train de l’élaborer. Mais les perspectives générales que je souhaite porter en tant que présidente : une approche globale, positive, où le sida garde toute sa place et où la question d’une approche par inégalités sociales sera mise en avant de manière transversale.
Michel Celse : Je réponds sur la question de la déclaration obligatoire, car j’ai piloté la commission en charge de cet avis (lire notre article). Nous avons choisi de nous focaliser sur la DO-VIH, avec notre approche particulière, dans un contexte général de réflexion sur les outils de surveillance : il y a une réflexion en cours à l’ANRS | Mie sur le devenir des cohortes, et un travail d’évaluation de l’ensemble des dispositifs de surveillance épidémiologique du VIH, par Santé publique France, confié à un groupe d’experts indépendants, notamment de l’ECDC (Centre européen de prévention et de contrôle des maladies).
La DO-VIH nous est apparu comme le dispositif pivot, qui permet d’obtenir un certain nombre d’informations essentielles pour comprendre la dynamique de l’épidémie au sein des différentes populations et des territoires, afin de piloter l’adaptation de la réponse. Ce rapport a eu une réception positive et une bonne attention de Santé publique France, d’une part et de la DGS d’autre part. Quant à la mise en œuvre d’un certain nombre de recommandations, c’est trop tôt pour le dire. Mais des travaux peuvent commencer du côté des Corevih sans attendre. Soyons pragmatiques : par rapport à l’objectif d’éliminer la transmission du VIH d’ici à 2030, il s’agit d’améliorer les résultats de la DO très rapidement et non dans dix ans. Certaines mesures peuvent être prises très rapidement.
Le CNS est un conseil consultatif. Comment pouvez-vous avoir une influence sur les grands enjeux de santé, de santé sexuelle ?
Nathalie Bajos : C’est une question qui se pose depuis la création du CNS en tant qu’instance consultative et qui se pose pour beaucoup d’autres instances. Nous n’avons pas le pouvoir de contrainte ou de saisine d’une Autorité. Mais le CNS diffuse un certain nombre de positions via des avis, des notes valant avis, des prises de positions auprès des acteurs concernés, dans les médias, etc. Produire des avis, à quoi cela sert-il ? La méthode générale pour essayer d’être le plus influent possible, c’est de bien entendre les acteurs concernés, de donner des avis basés sur des argumentaires extrêmement bien étayés. Ces avis sont destinés en première instance aux pouvoirs publics pour essayer d’avoir des effets très concrets, mais ils peuvent aussi permettre à d’autres acteurs d’entendre l’argumentaire d’une instance consultative indépendante, qu’ils peuvent reprendre pour faire évoluer les cadres normatifs et les pratiques des professionnels. On peut faire ici référence à l’activité du Défenseur des droits où j’ai travaillé pendant quatre ans. Ses recommandations ne sont pas toutes suivies d’effet au niveau législatif, mais elles sont, pour autant, reprises par un certain nombre d’acteurs qui s’en saisissent. Nous allons prendre des positions sur les enjeux contemporains liés à la santé sexuelle, qui vont contribuer à structurer le débat public.
Michel Celse : Et puis, il faut distinguer ce qui produit des effets à court et à moyen ou long terme. Nous avons un pouvoir d’influence, mais une influence qui, parfois, a pris deux, trois, quatre ans, voire cinq ans pour se traduire concrètement. En particulier, nos avis qui ont concerné l’évolution des concepts, des stratégies et des outils de prévention, ont été très précurseurs. Ce qui est aujourd’hui une évidence ne l’était pas du tout au moment où on s’est exprimé sur le TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. etc. Nous sommes entre des préconisations autant que possible opérationnelles, et une réflexion qui éclaire la direction de long terme et peut mettre un certain temps à s’inscrire dans la réalité.
- La feuille de route 2021-2024 de la stratégie précise : « Le CNSHV est d’ailleurs en cours de réorganisation de ses missions et de sa composition afin de mieux incarner là encore la santé sexuelle dans sa vision globale et positive, et d’étendre son champ aux questions éthiques liées à la santé sexuelle. » ↩︎