Claude Got : mort d’un combattant en santé publique

Le professeur Claude Got est mort, en plein mois d’août. Il est allé mourir en Belgique, puisque la France rechigne à autoriser l’aide médicale à mourir. Éric Favereau, journaliste santé à Libération et fondateur du site Vif, et François Meyer, médecin et longtemps responsable de l’évaluation à la HAS, rendent hommage à son incessant combat pour la santé publique, du sida à la sécurité routière.

Claude Got nous l’avait toujours dit : il ne laisserait à personne le soin de décider du moment de sa mort. Sa femme, qu’il adorait, était décédée il y a quelques mois. Deux de ses filles aussi, atteintes d’une maladie génétique, sont mortes en 2013 et 2019. Il a aidé ses parents à mourir.

Claude Got avait 85 ans, et nous l’aimions. Nous aimions ses combats, sa ténacité, sa générosité, et surtout son goût de la vie alors que des ignorants l’accusaient de vouloir imposer une «société sanitaire», sans plaisirs ni risques, ennuyeuse à mourir.

Cet homme était unique. Il faisait partie de cette rare catégorie de gens qui ont sauvé des vies. Les cigarettes estampillées «Le tabac tue», comme cet air du temps qui a transformé les chauffards en assassins de la route, c’est un peu lui. Il a été de tous les combats de santé publique des trente dernières années, se battant patiemment contre toutes ces «catastrophes en miettes», ces malheurs collectifs qui passent à l’as, faute de susciter des mouvements d’opinion. Il n’a jamais arrêté, toujours à l’affût, pestant contre ceux qui tentent toujours d’amender la loi Évin car, disent-ils, «elle porterait atteinte à notre bon vin du terroir», et surtout contre ceux qui cassaient la limitation de vitesse à 90 km/h, furieux au passage contre ceux qui se retranchaient derrière le mauvais argument présidentiel : «arrêtons d’emmerder les Français».

Oui, nous l’aimions. Non seulement à cause de ces pull-overs immettables que sa femme lui a toujours tricotés. On l’aimait à cause de ce visage si particulier qu’il a, des gueulantes innombrables qu’il a poussées, des portes qu’il a si souvent claquées, on l’aimait surtout parce qu’il a été un grain de sable indispensable dans le paysage sanitaire français. «La société est folle, mais cela ne me pose pas de problème particulier. Je suis né dans un hôpital psychiatrique, mon père et mon beau-père étaient psychiatres, mon frère l’est encore. J’ai une forme d’affection pour la déviance, je la crois indissociable de la vie.»

Le plus obsessionnel des combattants de la santé publique

Nous l’avions rencontré de nouveau en 2021. Dans sa maison près de Paris, sous un ciel d’hiver, le professeur Claude Got était égal à lui-même, bavard à outrance, passionné comme toujours, envahi par la sécurité routière et donc depuis quelques mois, à la pointe du combat contre le retour du 90 km/h sur les routes de France. Claude Got avait beau être bien âgé, il restait le plus efficace et le plus obsessionnel des combattants de la santé publique.

Son combat, comme son engagement, ne tombait pas du ciel. C’était un combat minutieux, en rien pour les beaux yeux de la galerie : pour lui, il s’agissait d’accumuler les connaissances pour bâtir des décisions fortes et légitimes en santé publique. C’est ce qu’il a fait. Étant de tous les débats, décisif dès les années 1970 sur la sécurité routière, puis sur l’alcool et le tabac pour construire la loi Évin, mais aussi pour structurer en 1988 la réponse face au sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. Ou encore récemment, sur le CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Claude Got n’était pas un doux rêveur. C’était un homme d’action, précis et méticuleux.

Au rez-de-chaussée de sa maison, son vaste salon était devenu un entrepôt de livres et de dossiers, parmi lesquels il disait se retrouver sans problème. Il y a aussi ses deux bureaux et les quelques écrans d’ordinateur, sur lesquels il travaille toute la journée. Dans un long entretien, il distillait ses principes : «La santé publique, c’est la santé sans les inégalités». Ou : «La santé publique, c’est politique. Ce ne sont pas des décisions médicales, ce sont des décisions politiques relevant de la santé publique». Un rien inquiet quant à l’air du temps : «Nous sommes entrés dans une période incohérente, bizarre, face à une succession de débilités décisionnelles dépourvues de limites, inimaginables il y a quarante ans.

Aujourd’hui, l’administration cause, elle cause même beaucoup, comme n’importe qui dans les réseaux prétendument sociaux, mais elle est affaiblie. Elle devient lâche et ne s’oppose pas aux décisions». Sévère à l’encontre du président : « On a un président très intelligent, mais mauvais en termes décisionnels dans le domaine de la sécurité routière. Quand le président de la République permet de remonter la vitesse, il programme la mort, car le facteur de risque dominant est le trafic, ce n’est pas la route. Les meilleures autoroutes réduisent leur accidentalité si l’on réduit leur vitesse et elles l’accroissent si la vitesse est augmentée. Pompidou avait fini par l’accepter en 1972. Nous sommes à nouveau dans un blocage décisionnel». Et notant: «Ce ne sont pas tant les décisions qui posent problème, mais les capacités à les appliquer. Lors de la première vague du Covid, au printemps 2020, ce fut patent avec la question des masques. Nous n’en avions pas assez, il fallait être franc, et le dire et demander à tout le monde de s’en fabriquer un, au lieu de d’infantiliser les gens et de leur mentir».

La santé publique va-t-elle, pour autant mieux aujourd’hui ? «Pour en parler, oui nul doute, on en parle partout. Mais cela reste du discours. Nous sommes dans une période où l’on peut affirmer n’importe quoi sans opposition argumentée».

En quittant sa maison, nous quittions un homme libre. «J’ai fait très tôt des autopsies. Mon père était psychiatre à Évreux. Mais il était paraplégique. Je faisais les autopsies à sa place. C’était naturel, je me disais et je me dis: « On n’a pas pu sauver la vie de cette personne, au moins que l’on sache ce qui s’est passé, si l’on s’est trompé… »» Ajoutant: «Un cadavre, ce n’est pas différent d’un morceau de bois. Ce qui est important, c’est la vie des gens». Et sa vie fut un magnifique combat.


Le sida et Claude Got

En 1988, Claude Got a remis à Claude Évin un rapport qui allait faire date, puisqu’il proposait la création de trois structures, l’une sur la recherche, l’autre sur la prévention, et une dernière sur les questions d’éthique. «Nous étions dans une période de peur et Claude Évin voulait prendre des décisions dans un délai court. Je lui ai proposé un rapport personnel établi en six semaines, en rencontrant une centaine de personnes pour associer mes compétences de gestion à leurs connaissances du sida. Je n’avais aucune compétence dans le domaine du sida. On me met sur ce dossier alors que je n’y connaissais rien, on m’a choisi pour cela, dans un but organisationnel. Claude Évin qui venait d’être nommé ministre de la Santé, voulait choisir quelqu’un dans son cabinet pour prendre en charge le dossier sida. L’époque était tendue, on parlait de sidatorium, d’exclusion, etc. J’étais déjà connu comme un médecin qui avait un passé de conseiller technique de Simone Veil et de Jacques Barrot, et ce genre de référence est utile pour un décideur. Claude Évin me propose ce poste, et je lui conseille de ne pas avoir de conseiller sida, car il aurait trop d’aspects différents à traiter et il qu’il fallait plutôt imaginer des groupes capables de traiter des questions variées : Comment financer la recherche ? Comment communiquer ? Comment organiser l’aspect hospitalier ? Et il a accepté. Mais il voulait avoir dans un délai court un dispositif rapidement effectif. Quel dispositif mettre en place ? Il évoque l’idée de confier ce travail à une commission. Je lui dis que, si dans votre commission, il y a douze personnes cela prendra douze mois, six personnes, six mois. “Et un seul ?“, me demande-t-il. Je lui réponds “un mois”. “Allez-y”, me dit-il. Et j’accepte. Je lui dis qu’il faudra publier très rapidement le rapport pour donner une visibilité immédiate».

Le reste appartient à l’histoire : sont ainsi créées dans les années suivant le rapport, l’Agence française de lutte contre le sida (AFLS) pour la prévention et l’information, l’Agence nationale de recherche sur le sida (ANRS) pour la recherche et le Conseil national du sida (CNS) sur les questions d’éthique. Les deux dernières continuent aujourd’hui les combats, élargies aux questions des maladies infectieuses émergentes pour l’ANRS –après les ISTIST Infections sexuellement transmissibles.  et la tuberculose– et aux hépatites pour le CNS…