Quel a été votre parcours personnel et militant face au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. ?
Je suis journaliste et je suis séropositifSéropositif Se dit d’un sujet dont le sérum contient des anticorps spécifiques dirigés contre un agent infectieux (toxo-plasme, rubéole, CMV, VIH, VHB, VHC). Terme employé, en langage courant, pour désigner une personne vivant avec le VIH. depuis 1985, c’est donc une longue histoire avec le VIH. Au niveau de mon investissement militant et associatif, c’est Act Up qui m’a mis le pied à l’étrier et dans lequel je me suis épanoui, à partir de 1990 avec Act Up-New York d’abord pendant une petite année et ensuite Act Up-Paris durant 14 ans jusqu’en 2004. Avant ça, j’avais pris part à des associations pour les droits LGBT, comme le GLH, le groupe de libération homosexuelle, à la fin des années 1970 et au début des années 1980.
Le VIH et cet engagement ont complètement irrigué, façonné mon activité professionnelle: je suis toujours journaliste, mais à partir d’un certain moment, je suis devenu un journaliste engagé, si je puis dire. C’est pour cela que j’ai fait un film sur le patchwork des noms en 1993, puis le bouquin «Les combattants du sida». Ce que j’ai voulu faire, ce n’était pas seulement militer et être engagé à Act Up, mais aussi me servir de mes compétences professionnelles pour faire parler du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et avancer sur ce sujet. Sujet dont on parlait encore très peu au début des années 1990, et pas très bien en plus.
À partir des années 2000, j’ai créé le guide TÊTU+, un guide sur le VIH gratuit diffusé en France à 200000 exemplaires. Ensuite, je me suis investi dans la création de yagg.com, un site d’information LGBT+ qu’il a fallu animer et faire vivre. Et c’est en 2015 que je me suis réinvesti dans le militantisme associatif avec l’Ardhis, l’association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l’immigration et au séjour, pour aider à mettre en place des actions de santé, notamment de dépistage avec Aremedia, mais aussi à travers la formation de pairs éducateurs. Les représentations de la prévention, de la santé, ne sont pas du tout les mêmes en Europe et en Afrique subsaharienne, par exemple, et ça me semble vraiment important de pas imposer un discours particulier, mais au contraire d’essayer de faire en sorte que ce soient les personnes elles-mêmes, au sein de l’association, qui se saisissent de ces questions de prévention. Act Up, c’était le côté très militant, il fallait bousculer les choses, il fallait faire bouger les institutions et parfois de façon un peu punchy. Avec l’Ardhis, j’ai découvert l’intérêt d’être sur le terrain concret de l’aide aux personnes.
En 1996, lors du Sidaction sur toutes les chaînes de télévision, vous avez interpellé Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Culture, et à travers lui le gouvernement, de manière virulente. Certains vous ont reproché d’avoir cassé, cette année-là, le Sidaction. Aujourd’hui, quel est ton regard sur ce moment particulier?
Ce que je constate, c’est que le Sidaction est toujours là, qu’il organise tous les ans des actions et des opérations, qu’Aides est une des plus grandes associations européennes de lutte contre le sida. Je ne pense pas avoir été responsable de casser quoi que ce soit. Sans doute, c’était facile et pratique de désigner Act Up comme bouc émissaire. Ce dont j’ai envie de me souvenir, c’est comment on a porté sur la place publique la question des droits des personnes malades étrangères. À l’époque, on expulsait les personnes malades du sida, c’était une double peine qui les conduisait à la mort, puisqu’elles devaient retourner dans des pays où, en 1996, il n’y avait vraiment pas d’accès aux soins, pas d’accès aux traitements. Et puis à l’époque, en juin 1996, j’avais 37 ans, juste au moment où les antiprotéases commençaient à arriver. Je n’étais pas encore sous antiprotéases, j’ai commencé en septembre, et c’est pour ça grâce à ça que je peux raconter aujourd’hui ce que je pense de cette période, mais il y a plein de gens qui, malheureusement, ne peuvent plus le dire. C’est ça, aussi, que je voulais dénoncer, avec cette colère.
Cette intervention a contribué à mettre sur la place publique cette question des malades expulsés. Ça a conduit, quelques mois après, à des circulaires qui ont mis fin à ces expulsions, pas que pour les malades du sida, d’ailleurs, on se battait pour toutes les pathologies. Comme souvent, la lutte contre le sida a contribué à faire avancer un certain nombre de choses pour le droit de tous les malades.
Comment vous êtes-vous retrouvé impliqué dans Vers Paris sans sida?
À la création de Vers Paris sans sida, j’ai rejoint le comité stratégique de l’association, chargé de définir comment appliquer les grandes lignes du programme VPSS. Et puis, c’est l’équipe de Vers Paris Sans Sida, que je connaissais bien, qui est venu me chercher. On hésite toujours, on se demande si on est légitime, si on n’est pas trop vieux, il y a sans aucun doute d’autres gens qui sont tout à fait aussi légitimes. Et puis venir après France Lert, ce n’est pas rien, c’est vraiment quelqu’un que j’admire énormément, c’est la personne qui a rédigé le rapport initial Vers Paris Sans Sida, commandité par Anne Hidalgo en 2015, et qui a conduit à la création de l’association du même nom en 2016. C’est elle qui m’a convaincu, par son ouverture d’esprit, son dynamisme et son souci des autres constant. Elle m’a expliqué qu’on n’était pas là pour dire « Voilà ce qu’il faut faire », mais plutôt «Comment je peux faire pour vous aider à ce qu’on puisse faire des choses pour avancer». C’est aussi comme ça que je concevais mon rôle à Act Up, c’était une réunion de gens, et pas seulement quelqu’un qui dirige. D’autre part, je connais bien les équipes municipales et départementales qui travaillent avec l’association. Rappelons au passage que Vers Paris sans sida, c’est une association qui est soutenue par la municipalité de Paris, mais aussi par le département de la Seine-Saint-Denis. Paris n’est pas une île, beaucoup de gens viennent travailler à Paris, beaucoup de gens qui habitaient Paris vivent aujourd’hui en banlieue et en particulier, en Seine-Saint-Denis. C’est d’ailleurs pour cela que Magalie Thibault, vice-présidente en charge des solidarités et de la santé au conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, vient d’être élue à la vice-présidence, pour que la Seine-Saint-Denis ait une plus grande visibilité. Et Magalie faisait déjà partie de Vers Paris sans sida.
C’est tout ça qui m’a plu, une vision claire, pragmatique et concrète. Avec cette idée de ne pas vouloir se substituer aux associations de terrain à Paris en particulier, mais au contraire, d’être à leur écoute et à leur côté, pour appuyer des projets concrets comme «Au labo sans ordo». Je crois que c’est France qui parle du «dernier kilomètre», c’est-à-dire de lever certaines barrières, certains freins, pour qu’on puisse avancer.
Quels sont les nouveaux projets de Vers Paris sans sida?
L’année 2023 est déjà bien engagée et il y a effectivement déjà des projets en cours. Je pense en particulier au travail sur la santé mentale des LGBT, qui va être mis en place prochainement, pour aider les structures, les professionnels et les associations dans ce domaine, parce que cela peut avoir un impact sur la prévention du VIH.
Nous allons aussi continuer nos actions envers les professionnels, comme nos formations des médecins à la prescription de la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. à Paris et en Seine-Saint-Denis, et la diffusion de notre kit «Santé sexuelle: les bons réflexes» auprès des généralistes, toujours dans le but d’arriver à une mise à l’échelle de la PrEP. Et notre formation interactive à destination des officiers et officières d’état civil de toutes les municipalités est désormais gratuitement accessible en ligne, bien accueillir les personnes trans, pour pouvoir se former au bon accueil des personnes trans, pour les accompagner au mieux dans leur démarche.
Enfin, nous pensons qu’il faudra accélérer les actions et la communication auprès des personnes migrantes et des personnes exilées, surtout face à ce que le gouvernement prépare. Parce qu’on sait, les études le montrent, que pas mal de personnes sont infectées par le VIH après leur arrivée en France, dans cette période de très grande instabilité. C’est vraiment très important, là aussi, d’amplifier la réponse des associations.
Les derniers chiffres du VIH en France ne sont pas bons, en tout cas pas aussi bons qu’on l’aurait espéré, malgré la PrEP, le TasPTasp «Treatement as Prevention», le traitement comme prévention. La base du Tasp a été établie en 2000 avec la publication de l’étude Quinn dans le New England Journal of Medicine, portant sur une cohorte de couples hétérosexuels sérodifférents en Ouganda, qui conclut que «la charge virale est le prédicteur majeur du risque de transmission hétérosexuel du VIH1 et que la transmission est rare chez les personnes chez lesquelles le niveau de charge virale est inférieur à 1 500 copies/mL». Cette observation a été, avec d’autres, traduite en conseil préventif par la Commission suisse du sida, le fameux «Swiss statement». En France en 2010, 86 % des personnes prises en charge ont une CV indétectable, et 94 % une CV de moins de 500 copies. Ce ne sont pas tant les personnes séropositives dépistées et traitées qui transmettent le VIH mais eux et celles qui ignorent leur statut ( entre 30 000 et 50 000 en France). et l’amélioration du dépistage. Nous ne connaissons pas en France, et à Paris, des chiffres aussi bons que d’autres grandes villes mondiales. Quels sont selon vous les freins principaux?
Sur les chiffres, il me semble qu’il y a un point d’interrogation. En 2019, on a connu une vraie baisse, de 16%, des nouveaux diagnostics. Trois ans après la création de l’association et trois ans après l’introduction officielle de la PrEP en France, ce n’était pas un frémissement. Maintenant, et Santé publique France alarme à ce sujet, il y a des gros soucis sur les déclarations obligatoires des nouveaux cas. Nous avons en France un problème de surveillance, il faut maintenant qu’on arrive à avoir des chiffres actualisés plus rapidement. Cela fait partie aussi des choses sur lesquelles il faut travailler, même si ça ne dépend pas de Vers Paris sans sida.
Après, oui, clairement, 2030, c’est tout près et qu’il y a de grands défis encore à relever pour parvenir à un objectif de fin du sida. Il faut sans doute encore accélérer, renforcer beaucoup de choses et continuer à innover sur certains domaines. Je pense, par exemple, à l’opération «Au labo sans ordo», qui a permis d’augmenter le recours au dépistage, mais qui reste encore peu utilisé par les hommes gays par exemple, ce qui plaide pour une mise en route assez rapide d’un dépistage régulier VIH et ISTIST Infections sexuellement transmissibles. comme ça se fait dans d’autres villes comme Londres.
À ce sujet, la proportion des HSHHSH Homme ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes. découvrant leur séropositivité est toujours élevée, et elle augmente même. Faut-il y voir un signe de découragement?
Il me semble que si on avait dû se décourager, on aurait fait autre chose que lutter contre le VIH. Il ne faut pas se décourager, il faut continuer. Le VIH, la lutte contre le sida, brasse tellement de questions au-delà de la santé, forcément, il y a des moments de découragement. Mais aussi d’autres où on se dit : « Là, quelque chose s’est débloqué.» Le but, c’est de pouvoir se dire parfois : c’est du concret, ce n’est pas la magic bullet comme on dit, la solution clé en main, mais en tout cas, cela maintient la pression contre toutes celles et ceux qui voudraient qu’on parle moins du VIH ou du sida.
Et puis, c’est plus personnel, mon engagement, c’est aussi pour tous ces amis, tous ces gens qui sont morts. à chaque fois que j’en parle, je suis ému, ce n’est pas du tout une émotion feinte, ils sont toujours là, en fait. Et quelque part, je ne sais pas si c’est une dette, mais je me dis si je peux encore faire quelque chose, il faut continuer.
On parle beaucoup de chemsexChemsex Le chemsex recouvre l’ensemble des pratiques relativement nouvelles apparues chez certains hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), mêlant sexe, le plus souvent en groupe, et la consommation de produits psychoactifs de synthèse. dernièrement (et souvent assez mal). C’est un vrai sujet à Paris, où se trouve une partie des usagers. Est-ce que Vers Paris sans sida prévoit de se saisir de la question?
Il y a déjà des choses mises en place pour parler du chemsex. L’année dernière, une campagne a été lancée et Jean-Luc Romero-Michel avait rappelé à cette occasion que c’était la première fois qu’une ville lançait une telle campagne. Les affiches permettaient aux gens d’avoir accès à toutes les ressources disponibles pour l’aide, l’accompagnement et l’information sur le chemsex. Parallèlement, un membre de notre équipe siège à la Mission métropolitaine de prévention des conduites à risques (MMPCR).
Mais c’est un sujet que l’on maîtrise peut-être moins, et nous sommes prêts à travailler avec les associations, sans minorer les effets délétères de certaines pratiques. On n’est pas tous égaux devant l’addiction, on n’est pas tous égaux dans la sexualité, on n’est pas tous égaux vis-à-vis des produits. Je pense qu’il faut être très vigilant.
Est-ce que la ville est la bonne échelle pour mobiliser face au VIH?
Les grandes orientations, clairement, surtout en matière de santé, sont une responsabilité de l’État. Mais l’échelon ville est très intéressant, oui. Si on veut travailler avec les associations, pour les associations et surtout avec et pour les personnes, c’est forcément sur le terrain, localement, de façon très pointue et au plus près des personnes. C’est plus difficile de faire de l’aller-vers quand tu es au ministère de la Santé.
Et puis on parle ici de grandes villes, de grandes métropoles. L’Île-de-France, c’est une population de 12 millions d’habitants, c’est énorme et ça concentre 42% des cas de VIH en France.
Les actions de la Paris sans sida sont basées sur la science, sur des recherches. On parlait d’Au Labo Sans Ordo, une recherche a été menée pour justement voir si c’était praticable, pour voir comment ça s’est passé, comment ça se passe, etc. C’est aussi pour cela que nous allons créer un conseil scientifique, pour que l’équipe et le conseil d’administration soient nourris des apports des personnes clés dans le domaine de la santé publique. France Lert ne quittera pas tout à fait Vers Paris sans sida, puisqu’elle sera non seulement notre nouvelle présidente d’honneur, mais aussi membre de ce conseil, qui comportera des experts en santé publique, en épidémiologie, en médecine du VIH et des IST, sur la santé des migrants et les migrations et sur les transformations de la sexualité.
On l’a rappelé, vous vivez avec le VIH depuis longtemps . Qu’est-ce qui a changé selon vous dans la vie avec le VIH en 2023 en France ?
Je crois que c’est d’abord la sensation de me dire à la fois : c’est bien d’être vivant et c’est bien de pouvoir vivre avec le VIH aussi longtemps, mais aussi de vivre avec le fait que tous les matins, je dois prendre un traitement. Ça, je trouve que ce n’est pas très satisfaisant. Il y a des essais en cours avec des traitements à longue durée d’action et il faut maintenir cette exigence par rapport à la recherche, par rapport aux laboratoires. Il faut continuer à avancer pour que les traitements soient de plus en plus simples à prendre. Je ne parle pas de guérison, parce que, je crois que je ne le verrai peut-être pas. Mais en tout cas, surtout pour les vieux séropos ou même les personnes précaires, on reste sur des traitements un peu lourds.
Aujourd’hui, ’il y a une forme d’invisibilisation des personnes vivant avec le VIH, quelque part, on se dit, «bon, pour les personnes séropos, les choses sont faites». Mais je ne le pense pas. Je pense qu’au contraire, il faut tout le temps les inclure, tout le temps penser à elles dans tout ce qu’on fait. Les inclure dans le discours public, dans une communication positive sur les sexualités, sur l’inclusion, la diversité, sur la fierté, etc. On ne travaille pas que sur des questions de santé. À l’échelle d’une ville, c’est bien de pouvoir dire que cette ville est inclusive, qu’elle respecte tout le monde. Ça, c’est important.
*France Lert est présidente de Pistes, association éditrice de Vih.org et Swaps.