Vancouver 2019 — Vaccins contre les IST : Les scientifiques avancent, les industriels freinent

Pour Cécile Bébéar, qui coordonne le Centre national de référence des infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes depuis le Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, un des points forts de la Conférence de Vancouver a été la session sur les vaccins (S 12). Didier Jayle a recueilli ses propos pour Vih.org.

Kate SEIB (Griffith University, Sydney) a montré qu’un vaccin contre le gonocoque était parfaitement envisageable à court terme, grâce aux travaux antérieurs sur le méningocoque, très proche du gonocoque. Tous les deux sont des diplocoques gram-, et partagent la plupart des gènes et des facteurs de virulence. D’ailleurs le vaccin contre le méningocoque B, développé notamment par Rappuoli pour GSK à partir de la «vaccinologie reverse»on part du « pan-génome » du méningocoque à partir des génomes séquencés d’un grand nombre de souches et on sélectionne des gènes exploitables introduits dans des microorganismes pour produire des  protéines cibles qui seront utilisées pour produire des anticorps chez des modèles animaux. Dans le Bexsero, il y a un mélange de quatre protéines immunogènes qui protègent contre 80% des souches de méningocoque B. est partiellement efficace contre le gonocoque, a priori de l’ordre de 30% d’efficacité (Helen Petousis-Harris & al 2017). Il faudrait environ 15 ans pour éliminer totalement le gonocoque avec un vaccin efficace à 100% et largement administré, 20 ans pour un vaccin efficace à 60%, un peu plus si le vaccin n’a que 40% d’efficacité. D’ailleurs un essai devrait commencer en France avec le vaccin Bexsero (contre le méningocoque B) dans le cadre de l’étude Prévenir pour évaluer son action contre le gonocoque chez les « prépeurs », les utilisateurs de PrepPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®.

Contre Chlamydia trachomatis, l’espoir d’un vaccin

Des pistes intéressantes ont été montrées pour un vaccin contre la syphilis, mais pour Cécile Bébéar, c’est l’exposé de Michael Starnbach (Harvard University) qui a été le plus marquant, sur un vaccin muqueux contre Chlamydia trachomatis (CT). Cette bactérie infecte les muqueuses et entraîne des processus inflammatoires qui peuvent conduire à la stérilité ou au trachome (infection de l’œil qui peut conduire à la cécité en l’absence de traitement, qui touche plus de 80 millions de personnes en Afrique).

Il y a eu beaucoup d’essai vaccinaux sur le trachome dans les années 1960, qui finalement ont montré une exacerbation de la maladie chez les personnes vaccinées, en utilisant des souches de CT simplement inactivées. Ce procédé entraînait une tolérance vis à vis de la bactérie et pas de protection. Au pire, le vaccin provoquait une sensibilité accrue au CT et potentiellement des formes plus sévères de trachome. Tous les programmes ont été suspendus.

Un adjuvant à base de nanoparticules

 L’équipe de Starnbach est partie sur une autre voie. Ils ont travaillé sur une forme inactivée par les UV de particules élémentaires de CT qu’ils ont traitées par un adjuvant de type nanoparticules synthétiques (cSAPs) et administrées par voie muqueuse à des souris (et même à des souris « humanisées »). Ce nouveau vaccin engendre une protection via une réponse immunitaire de type TH1. La révolution, c’est cet adjuvant à base de nanoparticules. Seule la voie intra-nasale ou intra-cervicale (col de l’utérus) est efficace chez la souris humanisée ; si on administre le vaccin par voie intra musculaire ou sous cutanée, ça ne marche pas. Par ce procédé, CT est présentée au système immunitaire par des cellules dendritiques immunogènes (et non des cellules dendritiques de tolérance) ce qui permet d’obtenir une protection à long terme. Ce ne serait pas le premier vaccin muqueux, on connaît déjà des vaccins intra-nasaux, notamment contre la grippe (utilisé aux USA), qui sont très efficaces mais pas commercialisés en France. 

A ce jour, l’équipe de Harvard n’a pas trouvé de firmes qui soient intéressées par la production d’un tel vaccin. Le risque d’échec commercial (market failure dont parlait Rappuoli lors de l’opening keynote lecture), est trop grand ! Ça fait des années que les antibiotiques sont efficaces contre Chlamydia, et tant que ça marche, il n’y a pas de place pour un vaccin !