On remarque d’ailleurs la faible production de messages de santé et de prévention en France en direction des FSF (femmes ayant des rapports sexuels avec des femmes qu’elles se déclarent lesbiennes, homosexuelles, bi ou hétérosexuelles). Au cours des 15 dernières années, certaines initiatives auto-financées ont vu le jour grâce à des groupes militants. Ce n’est que très récemment que de tels projets sont portés par des associations et soutenues institutionnellement (« L » du Crips Ile-de-France dès 2004 ou « Sappho » de J’en suis j’en reste, en partie financé par le département du Nord en 2008).
Cette « minimisation » du risque et la dénégation d’une sexualité réelle, voire la construction sociale d’un sentiment d’immunité des lesbiennes par rapport au VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. 1Richardson D., « The Social Construction of Immunity: HIV Risk Perception and Prevention among Lesbians and Bisexual Women », Culture, Health and Sexuality, 2, 1, 2000, pp. 33-49 et par extension des ISTIST Infections sexuellement transmissibles. ont été intériorisés et véhiculés aussi bien par les chercheurs et les services de santé que par les FSF elles-mêmes. Ce contexte à notamment occassionné un accès aux soins et au suivi gynécologique insuffisants, renforcés par une méconnaissance et un manque d’outils chez les professionnel-le-s de santé2Genon C., Chartrain C. et Delebarre C., « Pour une promotion de la santé lesbienne : état des lieux des recherches, enjeux et propositions », Genre, sexualité & société [En ligne], 1 | Printemps 2009, mis en ligne le 09 juillet 2009, URL : http://gss.revues.org/951 ; DOI : 10.4000/gss.951.
L’enquête « Contexte de la Sexualité en France » accrédite l’hypothèse d’un lien entre ces constats et la fréquence des IST : « alors que les femmes qui déclarent des pratiques homosexuelles n’apparaissent pas dans le discours préventif, elles ont un nombre plus important de partenaires et une prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. plus élevée d’IST que les femmes qui n’ont eu que des partenaires masculins. Elles sont 12% (versus 3% des femmes hétérosexuelles) à avoir rapporter une infection sexuellement transmissible dans les cinq dernières années »3Bajos N., Beltzer N., « Les sexualités homo-bisexuelles : d’une acceptation de principe aux vulnérabilités sociales et préventives », in BAJOS Nathalie, BOZON Michel (dir.), Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte, 2008, pp. 243-271.
L’ émergence d’un contexte favorable
Un tournant fut pris en juillet 2009 avec la mise en ligne du 1er numéro de GSS (Genre, Sexualité et Société) titré « Lesbiennes » et dans lequel apparaissait une méta-analyse scientifique, permettant un état des lieux de la « santé lesbienne » et la mise en place de recommandations pour l’améliorer. En novembre 2009, c’est le rapport RDRs, dit « Lert-Pialoux »4Lert F., Pialoux G., « Prévention et réduction des risques dans les groupes à haut risque vis-à-vis du VIH et des IST », Rapport mission RDRs, Mars 2010. qui entérine certaines de ces propositions dans un contexte novateur de réduction des risques sexuels où la santé sexuelle globale est plébiscitée. Ces mesures seront reprises par la DGS dès 2010
En effet, pour la première fois, les FSF font partie des publics ciblés dans le plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2010-2014, grâce à la création d’une commission de réflexion portée par la DGS et regroupant chercheures, actrices associatives et institutionnelles. Ce travail a permis la mise en place d’un diagnostic et de recommandations :
– Améliorer les connaissances et les capacités des FSF (…) en matière de prévention du VIH et des IST
– Intégrer la prévention du VIH/IST dans une approche et une communication globale de la santé sexuelle pour les femmes homo-bisexuelles.
Cette inscription politique à permis le soutien et le financement d’actions concrètes, comme la campagne de santé sexuelle communautaire « comment ça va les filles? » lancée par Yagg en novembre 2010 en partenariat avec l’Inpes, des associations de lutte contre le VIH et les IST, des artistes et personnalités issues des communautés lesbiennes.
Sur le plan de la production de données, l’EPG, portée par l’ANRS a intégré pour la première fois un volet ä destination des lesbiennes. Le questionnairere a été élaboré par un comité scientifique constitué de chercheures, institutionnels et actrices associatives et militantes. Mis en ligne en 2011, les résultats permettront d’affiner le diagnostic socio-comportemental des FSF.
« Tomber la culotte! »: Un projet d’empowerment réussi.
« Tomber la culotte! » est le premier projet financé par les pouvoirs publics et conçu pour une diffusion nationale. Porté par les associations le Kiosque Infos SidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. et Sida Info Service (SIS association), il a fait l’objet d’un financement de l’INPES dans le cadre de l’ appel à projet VIH-ISTde 2010. Il s’agit d’un travail collaboratif avec des structures associatives mobilisées, des expertes, des artistes et personnalités communautaires. Il comporte plusieurs objectifs : la création et la diffusion d’une brochure de santé sexuelle FSF, le développement des capacités individuelles et collectives des lesbiennes à prendre soin d’elles ainsi que la création d’un réseau.
Ce projet a rencontré une notoriété et un succès important dès la première année. 20 000 exemplaires de la brochures ont été diffusés au niveau national (DOM-TOM inclus) et dans d’autres pays francophones (Belgique, Québec et Suisse), à San Francisco et en Australie. Le projet a ainsi profité d’une couverture médiatique importante de la part des médias lesbiens et féministes mais aussi plus généralistes.
Diffusée lors de festivals ou via le réseaux d’acteurs fédérés autour du projet, la brochure est également accessible lors des playnight (« soirées sexe et sexy pour les fsf et personnes trans' » organisées au Next, sexe club gay).
Le projet a également permis la mise en place de formations sur la sexualité entre femmes entre autre dispensées auprès des bénévoles de Solidarité Sida, Du GLUP ou encore du SNEG. De nombreux ateliers ont vu le jour dans le cadre de festivals du film LGBT (Nice – « In and Out », Toulouse – Des images aux mots ») et à Marseille dans le cadre de l’Eurolesbopride.
Nous avons également pu intervenir dans le cadre du Vendredi des Femmes au Centre LGBT de Paris et à la Maison des Femmes de Paris pour des lesbiennes sourdes et malentendantes. En novembre 2012, nous avons également eu le plaisir d’intervenir au séminaire « genre et santé » : penser la prévention et l’offre de soins pour les femmes, proposé par le Centre Hubertine Auclert et la région Ile-de-France.
Le réseau constitué grâce à « TLC » a également permis le développement d’action locales, pilotées par les associations membres du projet. Par exemple à Lyon, de nombreux ateliers et permanences dans les lieux de convivialité sont régulièrement organisés dans les bars, alors qu’à Lille, le centre LGBT « J’en suis, j’y reste » propose des ateliers de préventions des cancers féminins et des actions « ramène ta culotte! » assorties d’un livret de vulves à colorier.
Par ailleurs, le Mouvement Français pour le Planning Familial a mis en place des commissions de réflexion pour faciliter l’accueil et la prise en charge des lesbiennes dans leurs centres.
Quand renait l’inquiétude
La visibilité du projet TLC et les concrétisations régionales ont permis de toucher un large public. Alors que de nombreux retours sont favorables, la plupart réclamant un « Tomber la culotte! » n°2, la réédition du projet « TLC » prévue en 2012 été remplacée par une ré-impression faute de moyens et d’interêt. La santé lesbienne n’est pas perçue comme une priorité de santé publique par les associations et les institutions encore largement ancrées dans une logique de prévention « gay-centrée », loin du concept de santé sexuelle et à contre-courant de ce qu’exposait le rapport Lert-Pialoux et de ce qui existe dans les pays anglo-saxons.
La brochure a souvent été comparée et perçue comme le pendant féminin de « Prends-moi ». Pourquoi « TLC » ne serait-elle pas, elle aussi, distribuée et mise à disposition dans tous les festivals et événements LGBT ?
Du côté des médecins, les choses avancent. Le 190, centre de santé, initialement tourné vers les gays, souhaite mettre en place des consultations de gynécologie. Du côté de la formation des professionnels de santé et acteurs sociaux, SIS-ICF (ingénierie, conseil et formation) institut de formation de SIS-réseau, propose des modules incluant les questions de santé FSF. La SFTG (Société de Formation Thérapeutique du Généraliste), quant à elle, propose depuis 2011 des formations à l’accueil et la prise en charge des personnes lesbiennes, gays et trans’ dans la consultation du médecin généraliste. Voilà des avancées et des changements profonds dans la considération des sexualités entre femmes, bien que l’on puisse également regretter que ces thématiques ne soient toujours pas à l’ordre du jour dans le parcours de formation initiale des médecins généralistes, comme le préconisait le plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2010-2014.
Ces progrès restent encore trop à l’initiative de personnes plutôt que portés par des institutions. Nous pouvons par ailleurs regretter le peu d’applications concrètes des recommandations du plan national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2010-2014 et l’absence de visibilité dans le suivi de ses applications par les pouvoirs publics. Aucune évalation n’a été anticipée, comme aucun encouragement n’a été proposé pour élargir l’appropriation des questions de santé lesbiennes. Nous regrettons également le manque de moyens humains et financiers qui font de la santé sexuelle des FSF (et des femmes) l’éternelle oubliée. C’est le cas par exemple pour les données du volet lesbiennes de l’EPGL qui tardent à être analysées et publiées, malgré la persévérance de certaines des actrices et responsables largement impliquées.
Enfin, le débat pour le mariage pour tou-te-s et l’adoption du projet de loi a permis une légitimation et une égalité de droits pour tous les couples, tout en reconnaissant les familles homo-parentales. Ces débats ont aussi montré les réticences et les dénégations d’une partie de la population française ne contribuant pas à l’estime de soi des personnes gays et lesbiennes. Les derniers débats sur la « théorie du genre » entérinant ces inquiétudes, Tomber la culotte s’est vite retrouvée dans la tourmente, cristallisation de toutes les peurs et de tous les fantasmes. Le recul du gouvernement sur la PMA ne laissant pas pressentir une volonté forte et un soutien institutionnel sur les questions de visibilité et de santé sexuelle des gays, lesbiennes et personnes trans’, l’inquiétude nous guette. Rajoutons à celà un contexte morose dans lequel la baisse des financements alloués à la santé se répercutent tragiquement sur les associations et leurs salarié-e-s, licencié-e-s à tour de bras, une perte de confiance totale dans la prévention comportementale et l’encapacitation au profit d’une prévention bio-médicale, plus facilement mesurable et quantifiable. Les lesbiennes risquent bien de retomber dans l’oubli et le mouvement enclenché pourrait bien s’essoufler.