Cet article a été publié dans le Transcriptases n°148, consacré à la 16e ICASA 2011.
«Own scale-up and sustain »1traduit en français par «Appropriation, renforcement et pérennisation». : Le thème de l’édition 2011 de la conférence africaine sur le VIH/sida résumait bien à lui seul les défis relatifs à la circoncision dans la plupart des pays du Sud et de l’Est du continent africain. Depuis qu’il a été démontré dans le cadre de trois essais randomisés que le risque d’acquisition du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. était réduit de 60 % chez les hommes adultes circoncis, le paysage a beaucoup changé. Progressivement, la circoncision a été intégrée comme un outil de prévention à part entière dans de nombreuses stratégies nationales de lutte contre l’épidémie. Depuis 2007, le Botswana, l’Ethiopie, le Kenya, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, la Namibie, le Rwanda, l’Afrique du Sud, le Swaziland, la Tanzanie, l’Uganda, la Zambie ou encore le Zimbabwe se sont appropriés les directives internationales de l’OMS et d’ONUSIDA. Mi-2011, plus d’un million deux cent mille hommes adultes s’étaient fait circoncire dans le cadre de ces programmes nationaux (Asamoah-Odei, 2011). Il faut dire que les modèles mathématiques ont montré que cette intervention était hautement coût-efficace avec des coûts pour éviter une infection allant de 150 à 900 dollars sur un horizon de dix ans et une nouvelle infection évitée pour 5 à 15 circoncisions réalisées (« Male circumcision for HIV prevention in high HIV prevalence settings », 2009). Parvenir à 80 % de couverture en ce qui concerne la circoncision masculine d’ici 2015 et être en capacité de maintenir ce taux permettrait d’éviter plus de 20 % des nouvelles infections au VIH au Botswana, Lesotho, Malawi, Rwanda, Swaziland, Uganda, Zambie et Zimbabwe (Hankins, Forsythe, & Njeuhmeli, 2011).
Pas moins de 47 présentations orales et affiches sur le sujet à Addis Abeba tentaient de faire l’état des lieux de la mise en œuvre sur le terrain (PDF, 72Ko). Partout, les programmes s’inscrivent dans les recommandations de l’OMS et d’Onusida, proposant plus qu’une intervention chirurgicale isolée, un paquet de services partant du counseling et de la proposition de dépistage, en passant par l’examen clinique incluant la prise en charge des infections sexuellement transmissibles, la circoncision proprement dite, les soins postopératoires et le suivi. Pour les personnes apprenant leur séropositivité au cours du processus, la prise en charge du VIH est organisée dès le retour du test positif. La circoncision est appréhendée dans le cadre d’une approche de prévention combinée incluant l’utilisation des préservatifs masculins et féminins, le traitement des infections sexuellement transmissibles, la réduction des risques sexuels, le counseling et le dépistage volontaire et la provision du traitement ARV aux personnes séropositives éligibles. La plupart des services ont été intégrés dans des centres de santé locaux mais des unités mobiles sont également testées dans certains pays comme en Tanzanie dans le but de rejoindre certaines zones isolées où la prévalence du VIH est élevée (Mwinyi et al., 2011). Reste que dans la plupart des pays, la mise en œuvre reste difficile et on est encore loin du véritable passage à l’échelle. Dans les pays jugés «prioritaires» pour la mise en œuvre de la circoncision masculine par l’OMS et Onusida, seulement 2.7 % d’hommes adultes avaient reçu l’intervention fin 2010, sur les vingt millions de circoncisions estimées nécessaires. C’est dans la province de Nyanza au Kenya qu’ont été enregistrés les plus grands succès. Plus de 230 000 hommes ont été circoncis soit 27 % des circoncisions masculines nécessaires au niveau national et 62 % à l’échelle de la province (WHO/UNAIDS, 2011). Mais au Zimbabwe, par exemple, l’un pays avec un taux parmi les plus bas de circoncision dans les pays du Sud de l’Afrique, 42 000 circoncisions ont été réalisées depuis que le pays a lancé sa stratégie nationale en 2009. Encore très loin donc des 1.9 million de circoncisions nécessaires pour optimiser l’impact en terme de prévention du VIH au niveau populationnel (Dickson et al., 2011).
Les challenges du passage à l’échelle
En matière de circoncision, ce n’est donc plus tant le concept qui fait parler que les défis de l’opérationnaliser à large échelle. Parmi ces derniers, on retrouve d’abord les contraintes liées aux systèmes de santé, déjà bien connues dans le cadre de la prise en charge des personnes séropositives : des ressources humaines en nombre limité dans des contextes où la division des tâches ne fait par ailleurs pas toujours consensus (Otieno, Herman-Roloff, Agot, & Bailey, 2011), des infrastructures peu adaptées à la délivrance des services, des ressources financières limitées, des ruptures fréquentes de consommables alimentées par des problèmes d’approvisionnement des services et encore des enjeux importants de coordination qui pénalisent la bonne mise en œuvre efficace des programmes. Dans ce contexte, la réduction des moyens du Fonds Mondial qui a joué un rôle déterminant ces dernières années dans le renforcement des systèmes de santé et l’annulation du round 11, sont de très mauvaises nouvelles.
La mise en œuvre des programmes nationaux de circoncision se confronte aussi à des défis de mise en œuvre propres à la circoncision masculine. Ces défis sont connus et avaient largement été discutés dans les essais. Mais la situation en dehors en dehors du cadre de recherche est différente. En passant à l’échelle, est-il possible de garantir la qualité des services et comment ?
Contrairement à ce qui se passe dans les essais randomisés, les programmes nationaux à large échelle n’ont pas de contact régulier et à long terme avec leurs clients et sont donc dépendants du retour volontaire des personnes dans le cadre des soins et du suivi post-intervention. Ces visites sont d’une grande importance afin de vérifier que l’intervention s’est déroulée normalement mais aussi parce qu’elles représentent une nouvelle occasion de délivrer des messages d’information et de prévention. Or, les programmes se heurtent pourtant à un taux important de non-retour.
D’autre part, afin d’optimiser les effets de la circoncision masculine sur la réduction du risque d’acquisition du VIH, il est nécessaire d’observer une période d’abstinence sexuelle de 42 jours à la suite de l’intervention. Dans le cadre des essais randomisés, la pratique d’une activité sexuelle précoce a été reportée chez 3.9 à 22.5 % des participants. Dans le cadre d’une étude prospective menée dans le cadre d’un service de circoncision masculine de la province de Nyanza au Kenya et basée à la fois sur les déclarations des clients et l’observation clinique dans le cadre, 30.7 % des répondants indiquaient avoir eu une activité sexuelle précoce. L’un des facteurs associés majeur était le fait d’être marié ou de co-cohabiter. Les auteurs concluent qu’il est nécessaire de penser et de mettre en œuvre des stratégies visant à réduire l’activité sexuelle précoce à la suite d’une circoncision (Nhlapo et al., 2011). Celles-ci passent certainement par plus d’efforts pour inclure les partenaires féminines de ces hommes dans le counseling, davantage de campagnes de communication grand public, et l’utilisation renforcée des SMS pour inviter les hommes à se présenter aux visites de suivi (Herman-Roloff, Bailey, & Agot, 2011).
Ces propositions renvoient à l’importance de la communication dans ces programmes. Pour créer la demande, des initiatives de communications grand public et plus ciblées ont du être imaginées et ont eu un impact sur l’acceptabilité de l’intervention (Kaggwa, Nangai, Ndizeye, Lettenmaier, & Museruka, 2011). Aujourd’hui, alors que l’une des cibles prioritaires des programmes sont les adolescents, l’évaluation des pratiques professionnelles en matière de recueil de consentement éclairé se pose et des outils de communication adaptés doivent encore être développés (Friedland et al., 2011).
La qualité des services offerts est directement en lien avec le degré de succès des programmes. Pour le Dr Nicholas Muraguri, chef de centre national kenyan sur le VIH/sida et le contrôle des infections sexuellement transmissibles « les gens doivent croire dans les bénéfices du service que vous leur proposez, et avoir des leaders à ses côtés est extrêmement important. Ensuite, si vous offrez un service de qualité, les files d’attente vont s’allonger ». Plusieurs études ont par ailleurs montré que la circoncision masculine avait eu des effets positifs sur le dépistage volontaire. En Afrique du Sud, sur l’un des sites proposant la circoncision, 95 % des clients des services ont accepté le dépistage avant l’intervention (Nhlapo et al., 2011). Dans le cadre d’une étude de suivi d’un essai au Kenya dont les résultats ont été présentée dans les late breakers de la conférence, aucune différence entre les hommes circoncis et les autres n’a été rapportée dans l’utilisation des préservatifs lors du dernier rapport sexuel, dans le fait d’avoir eu des rapports sexuels tarifés au cours des derniers six mois, du nombre de partenaires sexuels sur les six derniers mois et sur le fait d’avoir eu le dernier rapport sexuels avec une partenaire régulière (Westercamp, Bailey, & Agot, 2011).
Les clefs de l’accélération
Si l’ICASA a permis de faire le bilan de l’avancée des programmes nationaux de circoncision masculine, elle a aussi été l’occasion d’un appel à plus d’action. « La science nous a montré le chemin. Nous avons un véritable problème de mise en œuvre. Il est temps maintenant de combler ce déficit entre l’évidence scientifique et la mise en œuvre » a indiqué Michel Sidibé, directeur de l’ONUSIDA lors du lancement d’un nouveau plan quinquennal (WHO/UNAIDS, 2011) proposé par l’OMS, Onusida, le PEPFAR, la Fondation Bill & Melinda Gates et la Banque Mondiale. Cette nouvelle initiative se donne pour objectif d’atteindre 20 millions d’hommes dans les pays d’Afrique de l’Est et du Sud d’ici 2015. Elle prévoit aussi la mise en place de programme de circoncision chez les nouveaux nés à partir de deux mois (un axe stratégique essentiel qui a encore peu été soutenu dans les pays) ainsi que le renforcement des activités en direction des adolescents afin de réussir à toucher 80 % de cette population.
La question des ressources financières disponibles est centrale. Les modèles mathématiques montrent que le passage à l’échelle coûterait 1,5 milliard de dollars mais que cet investissement permettrait de réaliser une économie nette de 16,5 milliards sur le prix des traitements et de la prise en charge des personnes dont les infections auraient été évitées (Njeuhmeli et al., 2011). Jusqu’à présent, une partie importante des opérations réalisées (75 % environ) ont été financées par l’argent du PEPFAR mais l’argent investi représente encore un pourcentage très faible de l’ensemble des investissements du programme du président américain sur la prévention. D’autre part, l’impact à long terme des programmes nationaux, notamment à travers le soutien à la mise en place des programmes de circoncision en direction des enfants, est aussi dépendant de la capacité des Etats africains à dédier des fonds sur les budgets de santé nationaux. Une fois n’est pas coutume, c’est l’occasion de rappeler aux pays africains les engagements pris lors de la conférence d’Abuja en 20012Lors de la conférence d’Abuja, les pays africains se sont engagés à consacrer 15 % de leurs budget nationaux à l’amélioration de la santé de leurs populations.. A l’échelle des pays, données scientifiques à l’appui, n’est-il pas également temps de commencer à réaffecter certaines lignes de financement à l’intérieur des budgets de la prévention?
En parallèle, il est important de continuer à soutenir la recherche (AVAC, 2011). Plusieurs innovations sont actuellement testées comme le dispositif de circoncision d’anneau de Shang (Awori, 2011) qui, si elles étaient validées, permettraient de simplifier l’intervention et d’apporter une partie de la solution aux problèmes d’effectifs réduits et de qualité des services sur le terrain.
Alors que plusieurs autres outils de prévention biomédicaux sont actuellement évalués dans le cadre de grands essais randomisés comme c’est le cas pour la PrEPPrEP Prophylaxie Pré-Exposition. La PrEP est une stratégie qui permet à une personne séronégative exposée au VIH d'éliminer le risque d'infection, en prenant, de manière continue ou «à la demande», un traitement anti-rétroviral à base de Truvada®. et les microbicides, la mise en œuvre des stratégies nationales de circoncision masculine est un test de la capacité collective des acteurs de la lutte contre le VIH/sida à répondre aux défis majeurs que suppose le passage de l’essai randomisé à la mise en œuvre à grande échelle.
Bibliographie
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