Cet article fait partie du Transcriptases n°147.
Jusque là, tout semblait particulièrement clair sur les déterminants de la transmission hétérosexuelle du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. en Afrique ou ailleurs. Il faudra désormais compter, dans la mise en place des politiques de prévention combinée dans les pays à forte prévalencePrévalence Nombre de personnes atteintes par une infection ou autre maladie donnée dans une population déterminée. avec cette étude publiée en ligne le 4 octobre1Heffron R et al., for the Partners in Prevention HSV/HIV Transmission Study Team, « Use of hormonal contraceptives and risk of HIV-1 transmission: a prospective cohort study », Lancet Inf Dis, EOP 4 October 2011. Issue de la très féconde équipe Partners (Université de Washington, Etats-Unis) financée par le NIH et la Fondation Gates, cette étude prospective (2004-2010) porte sur 3790 couples sérodifférents en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud (Bostwana, Kenya, Rwanda, South Africa, Tanzanie, Ouganda, Zambie). Ses résultats ont fait l’effet d’une bombe : ils suggèrent que le risque de contamination par le VIH serait doublé avec l’utilisation de contraceptifs injectables !
Des données statistiques indiscutables
Aussi, pour l’auteur principal, Renee Heffron, « les femmes devraient être averties des risques accrus d’acquisition et de transmission du VIH, lorsqu’elles sont sous contraception hormonales, en particulier avec les méthodes injectables ». Ces résultats semblent mettre un point final à un débat ouvert dans les années 90, avec d’autres méthodes statistiques il est vrai. Cela fait en effet deux décennies que le débat sur les éventuels liens entre contraception et risque de transmission du VIH rentre et sort du champ scientifique. A la fois pour l’homme, et pour la femme sous contraceptifs. On se souviendra d’ailleurs de la première publication suspectant ce facteur de sur-risque par Isabelle De Vincenzi2De Vincenzi I, for the European Study Group on Heterosexual Transmission of HIV, «A Longitudinal Study of Human Immunodeficiency Virus Transmission by Heterosexual Partners», NEJM 1994;331 :341-346.
Là, les données des statistiques sont indiscutables : après un suivi de 18 mois en moyenne, chez les 1314 femmes séronégatives, le taux de transmission du VIH était de 6,61 pour 100 personnes/années chez les femmes qui utilisaient une contraception hormonale et de 3,78 pour 100 personnes/années pour celles qui n’en utilisaient pas. Ce qui fait une augmentation du risque (hazard ratio) de 1,98 (IC95 1,06 – 3,68 ; p=0,03). Parmi les 2476 hommes séronégatifs, le taux de transmission était de 2,61 pour 100 personnes/années lorsque la femme utilisait une contraception et de 1,51 pour 100 personnes/années lorsque la femme n’en utilisait pas. Ce qui fait un hazard ratio de 1,97.
La plupart des couples étant mariés avec enfants, avec une médiane d’âge autour de 30 ans. Celles qui utilisaient un contraceptif étaient minoritaires (15% des femmes séronégatives et 17% des 2476 femmes séropositives), les trois quart utilisant des contraceptifs injectables plutôt que des contraceptifs oraux. Cette injection hormonale trimestrielle de progestatif est plus répandue en Afrique que la pilule contraceptive.
Un effet direct de la contraception hormonale sur la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. génitale ?
Parmi les hypothèses qui pourraient expliquer ce sur-risque lié à la contraception injectable, la publication relève un élément particulièrement important : les mesures de concentration du VIH dans les sécrétions endocervicales chez 1691 femmes. Autant il n’est pas décrit d’accroissement de la charge virale plasmatique VIH chez les femmes sous contraception, autant cette concentration du virus est clairement plus élevée au niveau génital en cas de contraception.
Cela suggère un effet direct de la contraception hormonale sur la charge virale génitale. Plusieurs hypothèses ont néanmoins été discutées :
– des modifications induites de l’épithéliome cervico-vaginal par la contraception et augmentant la perméabilité au virus, des variations immunologiques locales ;
– l’influence du progestatif administré notamment par voie injectable sur la virulence du VIH, une modification des cytokines locales ;
– une modification de l’expression du co-récepteur CCR5 nécessaire à la pénétration du virus…
Aucune des hypothèses n’est pour l’heure confirmée. La retombée principale de cette étude serait un essai randomisé contraception versus non contraception au niveau international. Dans l’attente, plusieurs questions se posent en termes de santé publique :
– Comment remobiliser l’utilisation du préservatif comme outil de prévention de la transmission hétérosexuelle du VIH après ces informations ? D’ailleurs, la contraception, orale ou injectable, n’est-elle pas contre-productive de l’usage du préservatif ?
– En termes de planning familial, faut-il revoir les rapports bénéfice/risque de la contraception hormonale en Afrique, dont on sait l’effet de réduction de la mortalité et de la morbidité et d’augmentation de l’accès aux soins pour les femmes et les enfants en bas-âge ?
– Enfin, et surtout, que dire aux 140 millions de femmes qui à l’échelle mondiale utilisent une méthode contraceptive hormonale par pilule ou par injection ?