> Cet article a été repris, dans une version abrégée, sur Rue89.
En juin 2011, les termes «le virus du sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. n’existe pas» retournent 73 000 résultats sur Google, en dépit des progrès fait tant dans la connaissance du virus et de ses mécanismes de destruction que des traitements. Echappant à tout comité de lecture, à toute modération, ces thèses nient la cause médicale du sida, voire son existence et ont trouvé sur la toile un terrain de propagation idéal.
Le terme de révisionnisme désignait historiquement le mouvement demandant la révision du procès Dreyfus. Le sens de ce terme s’est ensuite étendu, et désigne aujourd’hui «un courant de pensée tendant à remettre en cause et modifier plus ou moins profondément, des faits considérés comme historiques». On utilise plutôt le terme de négationnisme pour distinguer le révisionnisme tendant spécifiquement à contester la réalité de crimes contre l’humanité, s’agissant tout particulièrement de la négation de la Shoah.
Depuis 1880, date à laquelle le Comité national républicain révisionniste réclamait une «révision» de la Constitution de la IIIe République, le mot a pris une tournure péjorative, synonyme de négation historique, comme c’est le cas, outre pour la Shoah, pour le génocide des Arméniens, les massacres au Rwanda… et le sida.
Comme le soulignent dans une des rares revue générale sur le sujet, Tara C. Smith et Steven P. Novella1PLoS Med 4(8): e256. doi:10.1371/journal.pmed.0040256, le sida est devenu le nouveau thème de ceux qui nient en bloc , ou qui cherchent derrière chaque événement de la planète, un complot :
«Internet a servi de médium fertile et non référencé pour répandre ces croyances négationnistes. Le Groupe pour la Réévaluation Scientifique de l’Hypothèse VIH/SIDA (Reappraising AIDS) notait: « Merci à l’ascendance d’Internet, nous sommes maintenant capables de revigorer notre campagne d’information. » Internet est un outil efficace pour cibler les jeunes, et pour répandre tout type de désinformation à l’intérieur d’un groupe à hauts risques d’infection par le VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. »
En réponse à ce phénomène, des sites officiels, comme celui du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NAID), de celui des Centers for Disease Control, ou bien le site spécifique Aidstruth aux Etats-Unis, ont mis en ligne des articles répondant point par point aux théories révisionnistes du sida.
Une vaste nébuleuse très hétéroclite
En y regardant bien, ces théories peuvent être classées en trois groupes: La théorie du complot – du savant fou à Big Pharma, en passant par le gouvernement américain; L’ésotérisme – de la carence en zinc au venin de serpent comme cause du sida en passant par les ovnis; Enfin, toutes celles qui servent objectivement une cause – que ce soit la défense de l’Afrique, l’attaque de l’impérialisme états-unien, le racisme ou l’homophobie, la promotion des médecines alternatives ou des tradithérapies, les mouvements anti-vaccin, etc.
Ce dernier groupe est celui où on retrouve le plus d’ex scientifiques qui poussent leurs pions en disséquant les données scientifiques disponibles à l’infini et en surfant sur les incertitudes du moment tout en détournant la parole, malheureuse ou franchement hasardeuse, de certains chercheurs (re)connus.
Les révisionnistes du sida forment une vaste nébuleuse très hétéroclite qui va du guérisseur africain à certains groupuscules barebaker[fn]Le barebacking, de l’anglais «chevauchée à cru», désigne la pratique de rapports sexuels non protégés, et le discours s’y rattachant prônant la revendication de ces pratiques sexuelles, ainsi que le culte du sperme.[/fn], sans oublier des chefs d’Etat à l’image de Thabo Mbeki en Afrique du Sud, et des humoristes comme Dieudonné. Un point commun : ils mettent en doute l’existence du sida en tant que syndrome, de son virus le VIH ou de la corrélation entre les deux. D’aucuns ont même tenté de démontrer sur eux mêmes que le risque VIH n’existait pas… Un certain Dr Willner a ainsi mis en scène devant les télévisons espagnoles une prétendue auto-contamination en direct à la télé. Lors d’une conférence à Arrecife, le 14 octobre 1993, il s’est piqué le doigt avec une aiguille qu’il venait de piquer dans le doigt d’un séropositif… Consternant.
L’origine du sida
La « contre-théorie » sur les origines du sida qui a probablement connu la plus grande audience, encore en 2011, est celle du vaccin anti-polio oral de Hilary Koprowski comme cause avancée du passage du chimpanzé à l’homme. En 1999, le journaliste Edward Hooper a, dans un livre à succès, The River. A journey to the Source of HIV and AIDS (Brown and Company, 1999), suggéré que l’introduction du VIH dans la population humaine était due à un vaccin antipoliomyélique oral, administré par le docteur Hilary Koprowski entre 1957 et 1960 dans l’ex-Congo Belge, aujourd’hui République démocratique du Congo (RDC). Dans cet ouvrage de près de mille pages, fruit «d’un travail d’enquête de plus de dix ans», Hooper fait le lien entre le laboratoire de Stanleyville en RDC, le camp Lindi – un camp d’élevage de chimpanzés installé à proximité – et la recherche que menait alors le virologue Hillary Koprowski sur l’hépatite et la polio dans cette région d’Afrique.
Selon Edward Hooper, les premiers vaccins de ce type, ancêtre du vaccin polio oral de Jonas Salk, auraient été en effet «produits à l’aide de cellules de chimpanzés contaminées par le virus du sida du singe». Cette thèse a d’ailleurs été reprise par d’autres courrants révisionnistes du sida et utilisé par les groupes de pression anti-vaccination, y voyant là une preuve des mesfaits vaccinaux. C’est en 2000 que la première contre-expertise de la Royal Society, a été menée par le chercheur vaccinal Stanley Plotkin, tout d’abord en interrogeant les protagonistes de cette campagne africaine de vaccination dans les années 1950. Tous ont démenti l’utilisation de cellules de reins de chimpanzés issus de la région et/ou contaminés. Une confrontation est même organisée entre Edward Hooper et Hillary Koprowski, à l’initiative des virologues Simon Wain-Hobson et Robin Weiss, et en mémoire de Bill Hamilton père du projet de réponse scientifique à Hooper, mort du palu en allant chercher… des crottes de chimpanzés pour défendre la cause. Les 10 et le 11 septembre 2000, la première conférence su les origines du sida est donc organisée à la Royal Society de Londres. Des preuves irréfutables contredisent le travail de Hooper.
Après des années de débats et polémiques, le clou est enfoncé avec la publication, le 22 Avril 2004 dans la prestigieuse revue Nature, d’un article de Michael Worobey et al. intitulé Contaminated poliovaccine theory refuted. Un réfutation totale qui portait sur trois arguments:
1) La divergence génétique importante entre le VIH1 présent dans les populations locales vaccinées et le SIVcpz trouvés chez les chimpanzés;`
2) Les études d’horloge moléculaire qui démontre que le VIH1 était localement présent dans la région Kisangani de RDC plus de 30 ans avant les expériences de vaccination contre la polio par Hillary Koprowski;
3) L’absence de traces ADN du SIVcpz dans les préparations vaccinales conservées. Edward Hooper a depuis contesté ces 3 argumentaires et crié au «conflit d’intérêts» des signataires.
Mais si la polémique s’est éteinte dans les publications scientifiques, elle continue sur le net. La vidéo d’Edward HOOPER, intitulée Les origines du sida est encore hébergée en plusieurs endroit du web (comme ici sur Dailymotion) et cette théorie arrive dans les premières en tapant «origine africaine du sida» dans Google. Au point de troubler ceux qui suivent de loin l’histoire du sida.
L’invention de l’invention
Peter Dueserg, Professeur de Biologie Moléculaire et Cellulaire à l’Université de Californie, Berkeley, scientifique de renom ayant travaillé – un paradoxe de plus – sur les rétrovirus, est sans doute le premier et le plus titré des révisionnistes du sida. Il a publié en 1996 le livre Comment on a inventé le virus du sida et un article scientifique avec le même titre dans le British Medical Journal, qui a occasionné sur leur site interne plus de 500 commentaires majoritairement de soutien sectaire. Le livre est soutenu, et introduit, par un Prix Nobel, Kary Mullis, Prix Nobel de chimie en 1993, père de la technique PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. qui va, par ses provocations, augmenter le niveau de confusion. Kary Mullis, tout Nobel qu’il soit, se montre incompétent en ce qui concerne le sida et figure parmi les plus beaux pétages de plomb post-Nobel puisqu’il s’est aussi illustré en déclarant vouloir prélever des cellules du patrimoine génétique de certaines personnalités pour les intégrer dans des bijoux.
«Nous savons que l’erreur, écrit Mullis dans cette préface, est humaine, mais l’hypothèse VIH/SIDA est une erreur diabolique. Je dis cela à voix haute en tant qu’avertissement. Duesberg le dit depuis très longtemps. Lisez son livre !».
On peut résumer la thèse de Duesberg par ces propos2Extraits de Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 80, pp. 755-764, février 1989:
«Je propose que le sida ne soit pas considéré comme une maladie contagieuse provoquée par un virus ou un microbe classique, car aucun virus ou microbe ne mettrait en moyenne 8 ans pour provoquer une première maladie, ni ne toucherait de façon sélective uniquement les individus qui ont habituellement un comportement à risque, ni ne serait capable de provoquer un cumul de plus de 20 maladies dégénérescentes et néoplasiques. Un virus ou un microbe classique ne pourrait pas non plus survivre s’il était transmis de façon aussi inefficace que le SIDA et tuait son hôte au cours du processus. Les virus classiques sont soit hautement pathogènes et faciles à transmettre, soit non-pathogènes et latents et par conséquent très difficiles à transmettre (…) En réponse à cette opinion, on fait souvent remarquer que les risques liés au SIDA existent depuis longtemps, alors que le SIDA est censé être un nouveau syndrome. Cependant, cet argument ne prend pas en considération le fait que les groupes à risque principaux – homosexuels et consommateurs de drogue par voie intraveineuse – sont devenus apparents et acceptables aux Etats-Unis seulement durant les 10 à 15 dernières années, à peu près au même moment où le SIDA a commencé à apparaître. L’acceptabilité a facilité et probablement accru les comportements à risque, d’où la fréquence des nombreuses maladies maintenant appelées SIDA. Il a été signalé que la consommation accrue de drogues avait fait augmenter le nombre de décès liés à la drogue, même si l’interprétation préférée était celle de contaminations par le VIH non-confirmées. D’ailleurs, la permissivité particulière à l’égard de ces groupes à risque dans les métropoles a encouragé le regroupement des cas nécessaire à la détection du SIDA.»
Après des années de polémiques, le professeur Peter Duesberg a un peu perdu de sa superbe de provocateur révisionniste; Son dernier article sur le sida aurait pu dater de 2009 mais il n’en reste que le titre: HIV-AIDS hypothesis out of touch with South African AIDS – A new perspective. En effet, sur la basse de données scientifiques, il est retiré de PubMed avec cette mention: «this article, which contains highly controversial opinions about the causes of AIDS, opinions that could potentially be damaging to global public health.»!
«Big Pharma»
Autre exemple assez bien relayé : House of Numbers, le documentaire révisionniste de Leung Brent a été présenté en première au festival de Nashville, Tennesse, le 19 avril 2009. Le document vidéo est branché sur une autre théorie du complot : celui de «Big Pharma». La cible, cette fois, est l’industrie du médicament et du vaccin qui «pour multiplier leurs bénéfices met en avant une maladie pour vendre ensuite un vaccin qui, soi-disant, la « traite ». C’est toujours la même vieille combine, que l’on parle de cancer du col de l’utérus, de grippe porcine ou même de sida.» Tout en utilisant assez habilement au passage, les errances, ou tout au moins les interrogations physiopathogéniques, de Luc Montagnier, co-récipiendaire du prix Nobel de médecine 2008 pour la découverte en 83 du VIH.
Il est à noter que les propos ou les recherches du Pr Luc Montagnier ont souvent été, paradoxalement, l’otage involontaire de théories visant à nier l’existence même du virus qu’il a co-découvert. Certains ont vu dans la théorie des cofacteurs, qu’il défend sans nier le poiids du VIH, une alternative à la relation de causalité entre VIH et sida. Particulièrement avec la théorie des mycoplasmes comme co-facteur pouvant jouer un rôle dans la pathogénie du VIH, travail auquel j’ai personnellement cru et collaboré durant mes années pasteuriennes. Des errances qui risquent de refaire surface avec le ralliement partiel de Luc Montagnier à la «mémoire de l’eau» de Jacques Benveniste.
Le révisionnisme sida à la sauce australienne
Le Perth Group nie l’origine virale du sida, la fiabilité des tests de dépistage du VIH, le fait que le VIH attaque les lymphocytes CD4, tout efficacité des médicaments antirétroviraux tels que l’AZT et la capacité de la Nevirapine à diminuer la transmission mère-enfant, comme en témoigne la profession de foi sur leur site.
Selon ce groupe, fondé par des médecins australiens, en effet, «les experts du VIH/SIDA n’ont pas prouvé : 1. L’existence d’un unique rétrovirus exogène acquis, c’est-à-dire, l’existence du VIH. 2. Que les tests d’anticorps du « VIH » sont spécifiques au « VIH » infectieux. (Il s’agit d’une prise de conscience qui a un succès fou. Ça indique que tous les soi-disant « tests du SIDA » sont fondamentalement du charlatanisme.) 3. La théorie du VIH dans le SIDA, c’est-à-dire que le VIH provoque l’immunodéficience acquise (que la destruction des lymphocytes T4 entraîne l’immunodéficience acquise) ou que l’immunodéficience acquise entraîne le développement du syndrome clinique du SIDA. 4. Que le « génome du VIH » (ARN ou ADN) provient d’une unique particule rétrovirale, exogène, acquise, infectieuse. 5. Que le VIH/SIDA est contagieux, que ce soit par le sang, les produits sanguins ou les rapports sexuels (sic !). 6. La transmission de la mère à l’enfant d’un rétrovirus VIH ou son inhibition par l’AZT ou la névirapine. »
Le Perth Group estime par ailleurs que «l’AZT (principale panacée de Big Pharma contre le SIDA) ne peut pas tuer le « VIH » et est si toxique qu’il se peut, en fait, qu’il provoque effectivement quelques cas de SIDA(!)!». Et a proposé le stress oxydatif comme étant la cause unique du sida.
2011 : le révisionisme sida toujours vivace sur le net
Février 2011, lu sur le site Sidaventure, un pure exemple de révisionnisme sida, sous le titre : 11 février 2011, le Sida a été crée au fort Mc Kinley, aux USA, révèle un rapport du FBI. Avec ces précisions, fausses évidemment:
«Un rapport révèle que le virus du Sida a été créé en laboratoire par les USA pour réduire la population mondiale principalement en Afrique (le programme population 2000 de l’ONU en 1971 destiné à réduire la population mondiale). Il a été inoculé à 100 millions de victimes en Afrique en 1977 par des campagnes de vaccination contre la malaria, la fièvre jaune etc… vaccins qui étaient intentionnellement infectés par le Sida. Ces campagnes de vaccination génocidaires ont été faites par des missionnaires de l’OMS et des associations chrétiennes… Il a aussi été inoculé à plus de 2 000 homosexuels américains en 1978 lors d’une campagne de vaccination contre l’hépatite B par le centre de contrôle des épidémies (Center For Disease Control) et par le New York Blood Center (Operation Trojan Horse (Cheval de Troie)). Toutes ces révélations, selon ce site militant, sont avérées et mis à disposition du public par le FBI qui comme l’oblige le freedom of information act doit mettre ses archives à la disposition du public après 25 ans.»
Mais le révisionnisme du sida n’est pas seulement un terrain de joute sur internet pour adversaires et tenant de l’Histoire ou de la Science. Une simple histoire parallèle dans l’histoire? Il est permis d’imaginer que ces courants très présents sur le net, et parfois convergents, ont eu et ont toujours un impact négatif en terme d’acceptation de la maladie par les personnes atteintes, d’observance aux traitements souvent bien contraignants et dotés d’effets secondaires indéniables, mais aussi en termes de prévention, en allant jusqu’à avancer comme preuve de la non existence du VIH le fait que le préservatif n’aurait «qu’un effet négligeable».
Abandonnées des publications scientifiques, mal connues des associations de lutte contre le sida, inconnues des cliniciens, les théories révisionnistes du sida qui tournent sur le net ont sans doute leur part de responsabilité dans le retard pris en Afrique comme aux Etats-Unis ou en Europe dans le dépistage et les politiques de réduction des risques sexuels. Comment se protéger d’un virus lorsque l’on nie son existence?
Notes
Cet article est extrait d’une enquête dans le cadre d’un ouvrage co-écrit avec Didier Lestrade sur les 30 ans du sida (à paraitre 2011, Editions Fleuve Noir).