Cet article a été publié dans Transcriptases n°141.
Les révisions successives n’ont rien changé à cela, au contraire, certains médicaments des nouvelles classes thérapeutiques apparues entre-temps se servent de la même recette pour améliorer leur biodisponibilité. En revanche, ce qui pourrait changer le paysage, c’est l’apparition sur le marché de nouveaux boosters, peut-être plus adaptés à cette fonction mais à coup sûr, perturbateurs du monopole acquis par le ritonavir depuis bientôt dix ans.
La toute première antiprotéase utilisée en France en 1996 fut le ritonavir. Hormis le succès indéniable de ce composant essentiel des premières trithérapies, il a aussi laissé le souvenir de nombreux inconvénients. Six grosses gélules en trois prises par jour, conservées au réfrigérateur, d’un goût exécrable, perturbateur de la digestion, il est aussi accompagné d’une liste gigantesque de médicaments contre-indiqués. C’est que le produit a un inconvénient majeur. Il perturbe un des mécanismes les plus classiques de dégradation des médicaments : le cytochrome P450. Cette famille d’enzymes produites par le foie dégrade nombre de molécules absorbées afin de faciliter leur élimination. Or, le ritonavir a deux effets sur un des membres de cette famille, le CYP450-3A. D’une part, il favorise la production de cet enzyme et d’autre part il l’accapare plus longtemps qu’il ne faut. La conséquence est que d’autres molécules métabolisées normalement par la même voie sont éliminées plus lentement.
Le ritonavir en «baby dose»
Toujours en 1996, d’autres inhibiteurs de protéase voient le jour. Parmi ceux-là, l’indinavir et le saquinavir, plus supportables, prennent assez vite le relais dans les prescriptions. Mais le saquinavir a un inconvénient majeur : il est éliminé très rapidement et nécessite des prises fréquentes pour que sa concentration dans le sang lui assure une efficacité sans faille. Avec l’habitude des combinaisons d’antirétroviraux, l’idée est née dans l’esprit de quelques cliniciens français de tester l’association de ces nouvelles antiprotéases, en ajoutant au saquinavir une «baby dose» de ritonavir pour profiter de l’effet sur le cytochrome et ralentir ainsi l’élimination de la première molécule.
Ça marche si bien qu’on va essayer sur les autres, l’indinavir et plus tard, l’amprenavir. Après l’euphorie de l’arrivée des premières trithérapies, l’inquiétude est revenue. Pour assurer leur succès, il faut absolument que la concentration de médicament dans le sang soit toujours au-dessus du seuil d’efficacité. Mais à ce moment de l’histoire, le nombre de gélules et de prises doit être important pour permettre au traitement d’éviter tout risque d’apparition de résistances.
L’intérêt d’ajouter cette dose de ritonavir vient à point apporter une solution : elle permet de réduire le nombre de prises et de donner un peu de souplesse et de sécurité aux malades qui ne sont pas toujours réglés comme des horloges dans la vie de tous les jours. Le procédé tend à se généraliser lorsque Abbott développe, en 1999, Kaletra. Cette antiprotéase, le lopinavir, a de meilleures performances pharmacologiques lorsqu’elle est administrée avec sa dose «booster» de ritonavir. Comme Abbott est le fabricant des deux composés, il les met dans la même gélule, Kaletra. Ainsi, le ritonavir, dont plus personne ne veut comme antiprotéase, devient un incontournable booster des autres inhibiteurs de sa classe : c’est le début d’un monopole.
Mais en 2004, la firme de Chicago qui craint de voir son produit réduit à la commercialisation de baby doses, décide de multiplier par cinq son prix aux Etats-Unis où le prix des médicaments est libre. Grâce à cette augmentation, le prix de l’association d’une antiprotéase avec une dose de ritonavir comme booster devient plus cher que Kaletra. Face à la levée de boucliers, le laboratoire concède la promesse de sortir en 2005 une nouvelle formulation ne nécessitant pas de réfrigération. Les esprits se calment mais la promesse se fera longtemps attendre.
La fin du monopole a-t-elle sonné ?
Nous sommes cinq ans plus tard. Le paysage des antirétroviraux a évolué et, avec lui, celui des firmes présentes sur ce marché. De nouvelles antiprotéases sont apparues, moins toxiques, plus puissantes, mais toujours boostées. De nouvelles classes thérapeutiques ont surgi et parmi les molécules, certaines ne sont capables de limiter leur nombre de prises qu’avec l’utilisation d’un booster. Mais pour la première fois, la place d’unique booster du ritonavir est menacée. Lors d’une session de pharmacologie de la XVIe CROICROI «Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections», la Conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes annuelle où sont présentés les dernières et plus importantes décision scientifiques dans le champs de la recherche sur le VIH. à Montréal, deux molécules candidates à ce rôle de booster ont été présentées. La première est proposée par une firme maintenant bien établie dans le domaine du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. Gilead, l’autre est issue d’une société américaine, Sequoia Pharmaceuticals. Leurs produits, respectivement GS-9350 et SPI-452, pourraient bien ébranler la situation de monopole détenue par Abbott avec le ritonavir.
Pour Gilead, l’intérêt de développer un tel produit est évident : le laboratoire est en pleine étude du deuxième inhibiteur d’intégrase, l’elvitegravir, qui, contrairement au premier de la série, semble nécessiter un petit coup de booster pour lui assurer la biodisponibilité attendue. Alors, plutôt que de compter une fois de plus sur le classique ritonavir, la firme a décidé de lancer ses investisseurs dans la bataille des boosters. Elle annonce d’ailleurs clairement la couleur et sa communication ne laisse aucun doute sur l’intérêt potentiel de ce développement : obtenir un inhibiteur du cytochrome P450-3A qui n’a pas d’activité anti-VIH, qui se présente en formulation stable et qui ne provoque pas de troubles métaboliques comme ceux causés par l’utilisation chronique du ritonavir.
Les données présentées à la CROI 2009 montrent que le GS-9350 est un inhibiteur du cytochrome plus puissant que le ritonavir. Il ne présente que très peu d’effets sur les adipocytes même à dose élevée et ne perturbe pas les mécanismes d’absorption du glucose. C’est un produit facilement soluble. La preuve de son activité de booster a été cliniquement montrée par des essais réalisés en 2008 sur des volontaires non infectés par le VIH dont il ressort une très bonne tolérance du produit mais également un bon profil de distribution dans l’organisme.
C’est pourquoi le laboratoire organise deux essais de phase II chez des personnes séropositives au VIH naïves de traitement. Dans un de ces essais, il est prévu de comparer la combinaison en un seul comprimé Atripla (efavirenz+emtricitabine+tenofovir) à une formulation regroupant quatre molécules. L’emtricitabine et le tenofovir y seront associés à l’elvitegravir et son booster, le GS-9350. Mais Gilead ne s’arrête pas là. Il prévoit aussi de développer des formulations pédiatriques et également de proposer à d’autres laboratoires de s’associer pour réaliser des formulations combinées.
Criblage de molécules
C’est par criblage de molécules que les chercheurs de Sequoia Pharmaceuticals ont isolé leur composé, le SPI-452, un autre candidat capable de détrôner le ritonavir de son monopole de booster universel. Après les études en laboratoire et chez l’animal, deux études cliniques de phase I menées chez des volontaires sains indiquent une bonne tolérance du produit. Ne présentant pas jusque-là d’effet sur les triglycérides ou le LDL-cholestérol, le produit améliore significativement la biodisponibilité de l’atazanavir, du darunavir et du saquinavir. Cependant, sa faible solubilité risque de compliquer sa formulation. Il s’agit néanmoins d’un produit suffisamment prometteur pour poursuivre la recherche clinique.
Certes, il reste encore quelques étapes de développement avant de savoir quels seront les boosters de demain. Mais les essais actuellement en cours ne permettront pas forcément à leurs promoteurs de proposer leur produit comme booster universel. En effet, ce qui a permis l’utilisation du ritonavir comme booster, ce sont les nombreux essais cliniques menés dans le cadre du développement des différents médicaments qui le requièrent aujourd’hui. Le ritonavir a toujours une AMMAMM Autorisation de Mise sur le Marché. Procédure administrative qui autorise un laboratoire pharmaceutique à commercialiser une molécule. permettant son utilisation comme antiprotéase alors que plus personne ne l’utilise comme tel. Cependant, ces annonces ont coïncidé avec la communication par Abbott, quinze jours avant la CROI, de la sortie imminente de la nouvelle formulation du ritonavir ne nécessitant plus de réfrigération.