Cet article a été publié dans Transcriptases n°140.
L’accès aux traitements ARV s’est développé de manière très importantes ces dernières années dans les pays à faibles ressources et notamment en Afrique subsaharienne. La simplification du suivi des patients, en conservant la meilleure qualité possible de celui-ci, devient un objectif majeur des programmes nationaux et des bailleurs de fonds. Pour cela, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande de mesurer les modifications du taux de CD4 tous les 6 mois pour le suivi des patients sous ARV dans les pays à faibles ressources, où la mesure de la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. n’est pas accessible en routine1WHO, «Antiretroviral therapy for HIV infection in adults and adolescents in ressource-limited settings : towards universal access. Recommendations for a public health approach. 2006 revisions», 2006, www.who.int/hiv/pub/guidelines/WHO%20Adult%20ART%20Guidelines.pdf.
Le suivi des CD4 revient à mettre en évidence le succès (chez la majorité des patients) ou bien l’échec immunologique, qui est le plus souvent une conséquence de l’échec virologique, alors que le défaut d’adhérence précède celui-ci et peut éventuellement être corrigé. Prévenir l’échec virologique, source potentielle de résistances, est un objectif majeur dans un contexte où l’accès aux traitements de deuxième ligne reste très difficile et très coûteux.
Les études analysant le rôle de l’adhérence dans le succès d’un traitement ARV en Afrique subsaharienne sont rares. En Ouganda, plusieurs méthodes d’analyses de l’adhérence via le suivi de la délivrance des ordonnances d’ARV ont été décrites en 20062Weidle PJ, Wamai N, Solberg P et al., «Adherence to antiretroviral therapy in a home-based AIDS care programme in rural Uganda», Lancet, 2006, 368, 1587-94.
Le calcul du niveau d’adhérence
L’étude de cohorte observationnelle publiée par Bisson et coll. dans PlosMed a été conduite en Afrique australe (9 pays différents) chez des patients ayant débuté un traitement ARV contenant un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) au sein du programme «Aid for AIDS» entre décembre 2000 et février 2003. L’adhérence était calculée, à partir des demandes de remboursement de factures de pharmacie des patients concernés, comme le rapport du temps total (en mois) couvert par les ordonnances sur le temps global entre la date de début des ARV et la date de point de l’étude, le tout multiplié par 100 (pour avoir un pourcentage).
La même équipe avait déjà décrit en 2006 puis 2007 la relation statistiquement significative entre le niveau d’adhérence obtenu par la même méthode et la survie3Nachega JB, Hislop M, Dowdy DW et al., «Adherence to highly active antiretroviral therapy assessed by pharmacy claims predicts survival in HIV-infected South African adults», J Acquir Immune Defic Syndr, 2006, 43, 78-84 et dans une autre publication entre le niveau d’adhérence et l’obtention d’une charge virale indétectable chez des patients traités par INNTINNRTI Les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI en Français ou «non-nucleoside reverse transcriptase inhibitors», NNRTI, en anglais) ont un effet inhibiteur direct sur la transcriptase inverse (TI) du VIH-1 en formant une liaison réversible et non compétitive avec l'enzyme. La nevirapine, la delavirdine et l'efavirenz sont des NNRTI.
L’objectif de cette nouvelle étude était d’une part d’analyser la fiabilité de l’estimation de l’adhérence pour prédire la mesure d’une charge virale détectable et d’autre part de comparer cette approche basée sur l’estimation de l’adhérence à une approche basée sur le suivi de l’évolution des CD4 pour le suivi global des patients sous ARV.
Valeur prédictive positive et valeur prédictive négative
Le critère principal de jugement était l’échec virologique défini comme une charge virale (CV) supérieure à 1000 copies/ml six ou douze mois après le début du traitement ARV ou bien après une précédente CV inférieure à 400 copies/ml (seuil d’indétectabilité de l’étude). Les auteurs ont comparé les sensibilités, les spécificités ainsi que les valeurs prédictives positives et négatives respectives de l’échec immunologique ou du niveau d’adhérence pour prédire l’échec virologique à 6 et 12 mois après le début des ARV.
Le niveau de variation des CD4 pour définir l’échec immunologique ainsi que le seuil d’adhérence étaient modulés pour effectuer les analyses. La sensibilité était définie comme la proportion de patients avec un échec virologique et qui présentaient également un échec immunologique ou bien une adhérence inférieure à un seuil défini. La spécificité était définie comme la proportion de patients sans échec virologique et qui ne présentaient pas d’échec immunologique ou une adhérence supérieure à un seuil défini.
La valeur prédictive positive (VPP) était la probabilité qu’un patient avec un échec immunologique ou une adhérence inférieure à un seuil défini soit en échec virologique. La valeur prédictive négative (VPN) était la probabilité qu’un patient sans échec immunologique et avec une adhérence supérieure à un seuil défini n’ait pas d’échec virologique.
Les auteurs ont utilisé l’aire sous la courbe (ASC) ROC pour analyser le pouvoir discriminant relatif de ces deux indicateurs, de façon séparée puis en les combinant. Pour rappel, plus la valeur de l’ASC, comprise entre 0 et 1, se rapproche de 1, plus l’indicateur est discriminant, c’est-à-dire dans le cas présent peut prédire l’échec ou le succès virologique.
25% des patients en échec virologique
1982 patients naïfs ou non ont été inclus dans l’étude. La réponse virologique a été analysée 6 mois et 12 mois après le début des ARV chez respectivement 958 et 872 patients. 293 patients ont participé à l’analyse pour ces deux périodes. Les CD4 médians à l’inclusion étaient de 165/mm3 (75-241). La CV médiane était de 5,12 (4,6-5,6) log10 copies/ml. 890 patients ont débuté un traitement ARV associant AZT/3TC/EFV, 538 ont débuté un traitement avec AZT/3TC/NVP, 206 ont initié un traitement associant ddI/d4T/NVP et les 348 autres patients ont débuté une autre trithérapie avec un INNTI. A 6 mois et 12 mois respectivement, 25% et 26% des patients étaient en échec virologique.
Un premier tableau présente les résultats de l’analyse ajustée des facteurs associés à l’échec virologique à 6 et 12 mois. Ces facteurs étaient : le sexe masculin, un âge inférieur à 35 ans, le fait de ne pas être naïf pour les ARV à l’initiation du traitement ARV contenant un INNTI, un niveau d’adhérence inférieur à 90%, une baisse des CD4 en dessous du taux initial et un taux de CD4 inférieur à 100/mm3 à la fois lors de l’initiation du traitement et à la date de point. Une CV initiale supérieure à 100000 copies/ml était un facteur de risque significatif d’échec virologique à six mois mais non significatif à douze mois. Le taux de CD4 initial n’était pas un facteur de risque significatif d’échec virologique.
Par ailleurs, l’augmentation des CD4 à 6 et 12 mois était significativement moins importante chez les patients en échec virologique comparés aux patients en succès virologique.
Changement de traitement non justifié
Globalement, l’analyse de l’adhérence a eu un plus grand pouvoir discriminant pour détecter l’échec virologique que le suivi des variations de CD4 avec respectivement une ASC de 0,79 (IC 95% 0,76-0,83) versus une ASC de 0,68 (IC 95% 0,64-0,72) à 6 mois de suivi et une ASC de 0,85 (IC 95% 0,82-0,88) versus 0,75 (IC 95% 0,72-0,79) à 12 mois de suivi. La supériorité discriminante de l’analyse de l’adhérence persistait lorsque le seuil de l’échec virologique était modifié (10000 copies/ml plutôt que 1000 copies/ml). Les résultats détaillés de sensibilité, spécificité, VPP, VPN et ASC sont présentés par niveau d’adhérence et par type de définition de l’échec immunologique.
Les auteurs présentent notamment une estimation du pourcentage de patients qui auraient eu un changement de traitement non justifié si le seuil de niveau d’adhérence ou le critère d’évolution des CD4 correspondant décrit avait été pris en compte alors que ces patients étaient en fait en succès virologique. Ce pourcentage est de façon attendu le plus faible pour les seuils les plus restrictifs (moins de 50% d’adhérence sur la période ou des CD4 à 6 ou 12 mois inférieurs aux CD4 initiaux).
Les auteurs ont également effectué les mêmes analyses chez 1101 patients avec une première CV indétectable. 151 (14%) avaient une CV détectable lors d’une deuxième mesure après un suivi de 1,75 an en médiane. Chez ces patients, le suivi de l’adhérence n’était pas plus discriminant que le suivi des CD4 pour la détection de l’échec virologique secondaire.
Deuxième temps
Dans un deuxième temps, les auteurs ont effectué les mêmes analyses, mais en prenant le niveau d’adhérence 3 mois avant la mesure de CV et en le comparant au taux de CD4 mesuré lors de la mesure de la CV, 6 ou 12 mois après le début des ARV. Cette mesure précoce de l’adhérence était moins discriminante que celle effectuée à la date de point (6 ou 12 mois après le début des ARV). L’ASC à 6 mois était de 0,72 et à 12 mois de 0,76. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre l’ASC du niveau d’adhérence 3 mois avant la mesure de CV et l’ASC des variations de CD4 à la date de mesure de la CV.
Enfin, les auteurs détaillent la VPP et la VPN des deux indicateurs combinés en faisant varier les seuils d’adhérence et les définitions de l’échec immunologique. Le fait de combiner les deux indicateurs n’améliore pas la VPP du seuil d’adhérence pris isolément. Par contre, la combinaison des deux indicateurs présente un intérêt pour améliorer la VPN et le pourcentage de patients en succès virologique remplissant ses critères.
Un indicateur relativement simple à mettre en place
En conclusion, cette étude a montré que le suivi de l’adhérence était au moins un aussi bon indicateur de la survenue d’un échec virologique que le suivi des variations du taux de CD4 chez les adultes traités par INNTI en Afrique australe.
Cette étude présente plusieurs limitations : étude multi-pays, multi-sites, accès payant des ARV avec biais de sélection probable des patients. Cependant, elle a l’intérêt de souligner l’importance du suivi d’un indicateur d’adhérence au traitement ARV relativement simple à mettre en place : le suivi des ordonnances d’ARV délivrées.
Dans un contexte où l’accès au traitement ARV de deuxième ligne est souvent difficile, le suivi de cet indicateur est très important pour essayer d’anticiper l’échec thérapeutique et de le prévenir par des actions de renforcement de l’adhérence adaptées.
Les points clés |
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L’adhérence au traitement ARV est un facteur clé du succès de ce traitement. Le monitorage de l’adhérence au traitement ARV à travers les données de pharmacie est un outil indispensable pour les programmes de prise en charge du VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. en Afrique subsaharienne. Le suivi de l’adhérence peut permettre d’anticiper l’échec virologique. Cet outil de monitorage ne doit pas être négligé dans un contexte où bien souvent il est difficile d’avoir une CV et parfois même des CD4 (coût, ressources humaines, disponibilité des réactifs…). |