Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.
Les thérapeutiques immunologiques incluent les vaccins préventifs et l’immunothérapie visant à augmenter le nombre de CD4 ou la réponse immunitaire spécifique chez des sujets déjà infectés, qui sont importantes à la fois pour infléchir l’épidémie et pour envisager un arrêt des antirétroviraux. Néanmoins, aucune thérapeutique à visée immunologique n’a obtenu à ce jour une autorisation de mise sur le marché.
L’avancée de telles thérapeutiques marque le pas, suite à l’échec de l’étude vaccinale STEP (Merck et le National Institutes of Health [NIH]) et à au récent arrêt par le NIH de l’étude vaccinale PAVE. Cet essai vient d’être arrêté dans son développement car le vecteur de type adénovirus utilisé pour induire la réponse T CD8 cytotoxique chez les sujets non-infectés était très semblable à celui de l’étude STEP.
Quatre idées forces
C’est lors d’une présentation plénière fort écoutée qu’Anthony Fauci, directeur du programme VIHVIH Virus de l’immunodéficience humaine. En anglais : HIV (Human Immunodeficiency Virus). Isolé en 1983 à l’institut pasteur de paris; découverte récemment (2008) récompensée par le prix Nobel de médecine décerné à Luc montagnier et à Françoise Barré-Sinoussi. au NIH, a donné sa vision sur le futur du développement des vaccins et de l’immunothérapie dans l’infection VIH1Fauci A, « The future of AIDS research », WESS0101. On peut en retenir quatre idées forces qui expliquent la mise en échec des stratégies actuelles d’immunothérapie:
1. Le système immunitaire a une faible possibilité d’éliminer le virus dès l’infection car ce dernier va en quelques jours s’établir dans des réservoirs et très vite devenir latent, donc caché du système immunitaire.
2. Le virus détruit les lymphocytes CD4, les cellules même qui sont responsables de la coordination du combat immunitaire anti-VIH.
3. La variabilité extrême du virus et les mutations lors des cycles de réplication virale permettent au virus d’échapper à la surveillance immunitaire.
4. Les parties constantes de l’enveloppe virale, qui pourraient être de parfaites cibles antigéniques, sont masquées par un «bouclier de glycoprotéines» virales qui va permettre d’échapper aux anticorps.
Le «plan de guerre» d’Anthony Fauci
Fort de ce constat, Fauci exhorte les chercheurs à suivre le «plan de guerre» suivant : il faut retourner au laboratoire et étudier de façon exhaustive la réponse immunitaire innée et acquise qui implique les cellules dendritiques, les cellules NK, et les lymphocytes T et B. Cette réponse immune intégrée doit être absolument analysée dès la primo-infectionPrimo-infection Premier contact d’un agent infectieux avec un organisme vivant. La primo-infection est un moment clé du diagnostic et de la prévention car les charges virales VIH observées durant cette période sont extrêmement élevées. C’est une période où la personne infectée par le VIH est très contaminante. Historiquement il a été démontré que ce qui a contribué, dans les années 80, à l’épidémie VIH dans certaines grandes villes américaines comme San Francisco, c’est non seulement les pratiques à risques mais aussi le fait que de nombreuses personnes se trouvaient au même moment au stade de primo-infection. avant que les relations d’équilibre soient établies entre l’hôte et le virus, pour en déterminer les corrélats de protection immunitaire.
D’autre part, des idées nouvelles et audacieuses sont absolument nécessaires pour faire avancer ce champ de recherche. Enfin, il faut impérativement étudier cette réponse immunitaire intégrée non seulement dans le sang périphérique mais aussi au niveau des muqueuses digestives et des ganglions lymphatiques.
Il semble bien évident que pour réussir une telle entreprise, une collaboration encore jamais vue entre les patients, les mouvements associatifs, les cliniciens et tous les chercheurs sera nécessaire. A partir de ces nouvelles directions de recherche proposées par Fauci, nous avons retenu les travaux les plus pertinents.
Les interactions hôte/virus lors de la primo-infection
H. Streeck et M. Altfeld, de l’université d’Harvard, ont présenté une très importante étude sur les facteurs associés à la réponse CD8 cytotoxique lors de l’établissement du «set point» viral2Streeck H, « Inter-epitope interference modulate HIV-1-specific CD8+ T cell immunodominance patterns in primary infection », MOAX0306. Il avait été préalablement établi par ce même groupe que la réponse spécifique CD8 observée en primo-infection est directement responsable du contrôle de la réplication virale et détermine le niveau du «set point» viral.
Toutefois, le nombre, le type d’épitopes (parties du virus qui sont immunogènes) qui sont impliqués dans le contrôle virologique sont peu connus car ceci nécessiterait l’étude de l’ensemble des 200 peptides viraux. De plus, cette réponse cytotoxique étant modulée par les nombreux haplotypes des gènes HLA de classe I, il faut donc un très grand nombre de sujets en primo-infection pour répondre à ces questions.
Une puissance statistique suffisante
La réponse CD8 spécifique a été mesurée par ELIspot (INF-gamma) chez 440 patients en primo-infection. Il a donc fallu obtenir la collaboration de chercheurs des Etats-Unis, du Canada, d’Australie et d’Allemagne afin d’obtenir un nombre suffisant d’échantillons pour atteindre une puissance statistique suffisante.
La réponse T CD8+spécifique durant la primo-infection ne porte en fait que sur un nombre très restreint d’épitopes, et ce de façon hiérarchique et HLA-dépendante. La fréquence de reconnaissance de cette réponse hiérarchisée et sa persistance en phase chronique sont associées à un set point plus bas et à une moindre chute des lymphocytes CD4 circulants.
Les patients ayant les haplotypes HLA-B57 et B27 obtiennent le meilleur contrôle viral et les clones cytotoxiques persistent. A l’inverse, les patients n’ayant pas ces haplotypes, contrôlent moins bien leur niveau de virémie, et les clones cytotoxiques sont soit rapidement délétés par épuisement post-activation ou sont fonctionnellement bloqués par un inhibiteur réversible (PD-1).
Les résultats de cette étude ont une importance immédiate pour le développement de vaccins visant à induire des réponses cytotoxiques.
Protéger la destruction des CD4
Jean-Michel Molina (Hôpital Saint-Louis, Paris) et Yves Levy (Hôpital Henri-Mondor, Créteil) ont voulu montrer, avec l’étude ANRS 119 Interstart, si l’interleukine-2 pouvait retarder l’initiation des ARV3Molina JM, « Interleukine2 (IL-2) herapy to prevent CD4 T-cell loss and defer HAART in antiretroviral naive HIV-1 infected patients – Interstart ANRS 119 trial », TUPDA105. Ils ont réalisé une étude ouverte à allocation aléatoire. Le premier groupe recevait de l’IL-2 (n=66) soit 4 cycles de 4,5 MUI s/c deux fois par jour durant cinq jours toutes les huit semaines et comparé à un groupe contrôle (n 64). Les patients devaient présenter à l’inclusion des chiffres de CD4 compris entre 500 et 350.
Le critère de jugement principal était la proportion de patients ayant des CD4 < 300 à la semaine 96 et à la semaine 150. Les critères secondaires étaient la proportion de patients initiant les antirétroviraux, ou qui développent le sidaSida Syndrome d’immunodéficience acquise. En anglais, AIDS, acquired immuno-deficiency syndrome. ou qui décèdent. Les 2 groupes avaient des CD4 et une charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. comparables au début de l’étude.
La proportion de patients ayant des CD4<300 à la semaine 96 était de 35% pour le groupe IL-2 contre 59% pour le groupe contrôle (p=0,008). La réponse de l’IL-2 était encore meilleure si l’on ne prenait que les sujets avec une charge virale <4,5 log (90% et 44% respectivement à la semaine 150). Les nombres de CD4 ont augmenté de 51 dans le groupe IL-2 et ont chuté de 64 dans le groupe contrôle (p=<0,001). La charge virale, elle, n’a pas varié dans les deux groupes, ce qui est très rassurant (p=0,93). L’IL-2 a permis de retarder en moyenne de 92 semaines l’initiation des antirétroviraux. Il n’a pas été noté de différence dans le nombre de cas de sida ou décès dans les deux groupes et les toxicités importantes de grade 3 ou 4 étaient similaires dans les deux groupes.
En conclusion, l’IL-2 peut retarder l’initiation des antirétroviraux surtout si la charge virale est en dessous de 4,5 log. Une telle approche thérapeutique semble intéressante pour les patients qui ne voudraient pas prendre des antirétroviraux, toutefois la toxicité de l’IL-2 et le risque lié à l’absence de contrôle des complications non-infectieuses liées au VIH (cardiovasculaires et rénales) restent inconnues. Ce même groupe de chercheurs travaille aussi sur le rôle de l’interleukine-7, qui semble être bien mieux tolérée et serait associée à une augmentation plus importante des cellules CD4 naïves que l’IL-2.
Variabilité du virus et immunothérapie
Pour surmonter la variabilité du virus et pour augmenter la présentation antigénique du VIH aux cellules CD8 cytotoxiques, notre groupe à Montréal a réalisé une étude utilisant le virus et les cellules dendritiques de chaque patient44Routy JP, « Autologous dentritic cells immunotherapeutic (Arcelis) : Tolerability and immunogenicity in HIV-1 infected subjects treated with ART », TUPDA101,5Yegorov O, « The co-transfection of monocyt derived dendritic cells by different combinations of HIV antigen RNA and molecular adjuvant RNA enhanced the response of HIV-specific CD8+ T cells », TUPDA 102. Cette étude pilote nécessite d’avoir conservé du plasma collecté juste avant l’initiation du premier traitement antirétroviral de façon à pouvoir amplifier l’ARN viral. Les cellules dendritiques sont dérivées à partir des monocytes du sang du patient collecté par cytaphérèse. Ces cellules sont maturés avec des cytokines, puis transfectées par quatre gènes viraux de chaque patient et avec du CD40L qui va rendre plus forte la liaison entre les cellules dendritiques et les CD8.
L’administration des ces cellules dendritiques a été réalisée quatre fois à un mois d’intervalle. Ce traitement a été très bien toléré, sans induire de changement dans les nombres de CD4, ni de la charge virale. Les études d’immunogénicité ont démontré par méthode de dilution de CFSE l’augmentation de la réponse cytotoxique chez huit des neuf patients.
Cette réponse encourageante et la bonne tolérance clinique de ce traitement nous ont permis de mettre en place une étude multicentrique dans 11 centres au Canada. Dans cette phase II, après immunisation, les patients vont arrêter leur traitement antirétroviral pour évaluer le niveau de contrôle virologique induit par les cellules CD8 cytotoxiques.
Les anticorps bloquants
Ces anticorps qui devraient limiter l’infection ont été surtout étudiés au laboratoire. Aucune présentation n’a porté sur les stratégies dirigées pour lever le «bouclier de glyco-protéine» qui rend le virus toujours invisible aux yeux du système immunitaire.
Certes, le travail reste immense avant que nous ayons un vaccin et des thérapeutiques à visée immunitaire accessibles à tous. Pour être mises au point, ces thérapies vont demander une exploration à un niveau non encore envisagé du système immunitaire. Rappelons-nous les moments difficiles du développement des thérapeutiques antirétrovirales, ils doivent nous servir de guide pour le développement de l’immunothérapie basée sur la physiopathologie du VIH.