Cet article a été publié dans Transcriptases n°138.
La circoncision masculine «?est-elle assez bonne pour les femmes???», questionne-t-elle en ajoutant, «?pas dans dix ans – et si l’on atteint les performances escomptées – mais tout de suite???». L’exigence interpelle les épidémiologistes qui – usant de modèles mathématiques – suggèrent une efficacité «?rebond?» pour les femmes de l’ordre de 20?% dans dix ans si la moitié des hommes se font circoncire, de 30?% si 70?% d’entre eux sont circoncis, et ainsi de suite1Le raisonnement est simple?: si moins d’hommes s’infectent, moins d’hommes infecteront des femmes, qui infecteront moins d’hommes, et ainsi de suite sur dix ans. Ces exercices de modélisation ne prennent cependant pas en compte des paramètres tels que l’augmentation des pratiques à risque qu’une promotion maladroite de la circoncision pourrait entraîner. Ils permettent surtout d’estimer les rapports entre la couverture des programmes et leur efficacité potentielle. .
Un outil de prévention à sens unique
On voit rarement cet exercice s’appliquer à d’autres méthodes de prévention existante?: que gagnerait-on à présenter les performances du préservatif en arguant de leur efficacité «?rebond?» sur dix ans?? Si l’on s’efforce ici de démontrer un effet accru sur le long terme, c’est sans doute en partie pour compenser le fait que la circoncision est bien le premier outil de prévention à sens unique qui se présente à nous. Son caractère unidirectionnel fait mauvais genre, et il semble opportun de quantifier précisément un bénéfice – même indirect – pour les femmes.
Il est pourtant essentiel d’être clair sur les limites de la méthode si l’on veut maîtriser le phénomène dit de «?compensation des risques?» – expression à la mode mais aussi opaque qu’indue mais qui signifie en clair recul du préservatif – que ces projections ne prennent pas en compte. Marge Berer mettra donc les points sur les i?: «?La circoncision masculine est partiellement efficace pour les hommes séronégatifs mais pas pour leurs partenaires, qu’ils soient hommes ou femmes, à moins qu’ils n’utilisent des préservatifs.?» Elle ne s’oppose pas par principe à la circoncision des hommes – chacun peut disposer de son corps – mais précise aussitôt?: « D’abord et avant tout, les partenaires des hommes circoncis ont autant qu’eux le droit à être protégés.?»
Le risque de la «?désinhibition?»
Car voilà?: la circoncision n’est pas un vaccin, qu’on s’injecte pour ne plus y penser. C’est un outil à l’efficacité partielle, qui expose donc l’utilisateur et son partenaire à des risques accrus d’infection en cas de «?désinhibition?», au même titre qu’un microbicide ou un traitement prophylactique. «?Si on comparait la circoncision à un préservatif bas de gamme qui craquait quatre fois sur dix, cela paraîtrait moins attrayant… Mais peut-être que pour tous les hommes qui croient qu’il s’agit d’un vaccin, l’emploi de ces termes serait salutaire???»
La circoncision a par ailleurs la particularité d’être mise à la disposition de la moitié réputée «?dominante?» de notre humanité, à l’inverse des microbicides, qui visent à rétablir un semblant d’équité devant la prévention. Si une vision résignée de la domination masculine et du caractère victimaire des femmes a conduit à la fois les recherches sur les microbicides et celles sur la circoncision, ce sont ironiquement les hommes que cette vision a servi en premier. Mais si l’on considère la circoncision comme un pis-aller pour des populations déclarées inaptes au sexe «?safe?», alors qu’est-ce qui nous fait croire que ces mêmes personnes vont protéger leur partenaire d’un risque qu’elles considèreront comme diminué?? Les programmes de circoncision masculine ne peuvent pas se permettre de cautionner cette vision défaitiste de la sexualité et de la prévention qui désespèrerait d’une partie de l’humanité et se contenterait pour l’autre d’un «?circoncire, c’est mieux que rien?».
«?Penser et agir sur sa sexualité?»
Pour Marge Berer, la circoncision masculine ne vaudra que dans la mesure où elle sera l’instrument d’un redoublement des efforts de prévention duelle. Par là elle entend bien plus que le simple usage du préservatif?: «?Avoir des rapports protégés, c’est une façon de penser et d’agir sur sa sexualité. Ce n’est pas seulement la capacité de mettre un préservatif ou de se faire enlever un bout du prépuce.?»
Une étape essentielle consisterait à garantir que les femmes ont, dans leur communauté, accès à l’information nécessaire pour prendre leurs propres décisions, à travers des programmes de terrain pour les femmes sur la sexualité et les relations sexuelles. «?Les femmes doivent arrêter d’être des victimes, et d’être décrites comme des victimes dans cette épidémie. Il y a des femmes séropositives dans des couples sérodifférents, beaucoup de femmes ont plus d’un partenaire, des femmes ont des rapports non protégés et rejettent les préservatifs, pas seulement les hommes, et comme les hommes, elles doivent se confronter à ces réalités et aux options qui s’offrent à elles.?»
Mais de telles stratégies, reposant sur un travail social, manquent de soutien. La promotion du sexe «?safe?» n’a jamais bénéficié de ressources suffisantes. «?L’accent mis sur la circoncision masculine, les ARV ou d’autres solutions techniques est problématique, au regard de cette lacune. (…) C’est un pari, surtout pour les femmes, et un pari trop risqué en l’absence d’autres protections.?»