Ce qui nous a fait nous pencher sur ces agents souvent oubliés dans le concept : les champignons, pourtant à la source d’infections parfois mortelles, notamment chez les personnes immunodéprimées. D’après l’Institut Pasteur, l’aspergillose pulmonaire invasive est la troisième cause d’infection fongique invasive en France avec un taux de mortalité élevé, situé entre 50 et 80%. Beaucoup de mycoses invasives humaines proviennent en effet de champignons présents dans le sol, l’air, les végétaux ou l’eau, plus souvent que d’une transmission interhumaine. Des genres comme Aspergillus, Cryptococcus, Histoplasma ou les agents des mucormycoses sont typiquement acquis en inhalant des spores environnementales, ce qui impose de surveiller et gérer ces niches écologiques (travaux du sol, poussières hospitalières, chantiers, sites de compost, etc.) dans une logique « One Health ». Les activités humaines (urbanisation, élevage intensif, déforestation, transports, soins intensifs, dispositifs invasifs en médecine) modifient profondément l’exposition aux spores fongiques des populations à risque, favorisant l’émergence de mycoses opportunistes graves chez l’humain et chez les animaux.
Pour rappel, la notion de « One Health » – interface entre santé humaine animale et environnementale – pourtant « vieille comme les mythes », a été structurée au début des années 2000. Elle est restée cependant relativement méconnue jusqu’à la crise CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. En effet, on a vu combien la pandémie a démontré la nécessité de mettre en œuvre des approches intégrées de la santé telles que « One Health », qui ne se résume évidemment pas aux maladies infectieuses – même si 65 à 70% des maladies émergentes sont précisément d’origine infectieuse, et pour une grande majorité d’entre elles des zoonoses. D’autant que « One Health » est un appel à la pluridisciplinarité qui consiste à mettre autour d’une table des intervenants qui n’ont pas pour habitude d’échanger : anthropologues, médecins, vétérinaires, climatologues, écologistes, modélisateurs, économistes, ethnologues, politologues, représentants de la société civile, journalistes spécialisés… Ce glissement conceptuel convoque l’interdépendance entre la nature, la faune et l’Homme, et appelle une perspective englobante en science, en médecine ou en politique. Et ce au niveau mondial dans une unicité afin de proposer des solutions, des régulations, des interdictions, des systèmes d’alertes, des décisions politiques et sociales. Et au passage mieux assurer le dépistage des pathologies émergentes dont 65 % sont des zoonoses.
Les champignons constituent donc une menace méconnue par rapport à d’autres agents infectieux plus souvent traités sur PubMed ou dans l’espace public selon une approche « One Health » (arboviroses autochtones, antibiorésistance, infections (ré)émergentes…). D’après les auteurs d’une étude publiée dans l’Indian Journal of Medical Research (2), plus de deux millions de personnes meurent chaque année de maladies fongiques, ce qui en fait l’une des principales causes de décès dans le monde. Un chiffre sous-évalué par le fait que, souvent, seules les maladies sous-jacentes principales (leucémies, greffes d’organes et autres causes d’immunodépression, BPCO…) sont répertoriées comme cause du décès. Plus de 300 000 cas d’aspergillose invasive et 700 000 cas de candidose invasive sont signalés chaque année dans le monde. D’autres estimations suggèrent une incidence annuelle mondiale de plus de trois millions de cas d’aspergillose pulmonaire. En cause : les progrès en chimiothérapie et immunothérapie qui ont contribué à l’augmentation considérable du nombre de patients susceptibles de contracter des maladies fongiques systémiques invasives graves.
Par ailleurs, la résistance aux antifongiques s’est imposée comme une menace croissante pour la santé publique mondiale au cours des deux dernières décennies. En France comme dans d’autres pays d’Europe, plusieurs centaines de tonnes de tébuconazole – pour ne citer que cet agent antifongique – sont utilisées dans l’agriculture chaque année, surtout sur les grandes cultures comme le blé, l’orge, l’avoine, la vigne et certains fruits et légumes, contribuant à la pression écologique et favorisant la sélection d’A. fumigatus résistant à cet azolé dans l’environnement (3-5). Avec des implications potentielles pour la santé humaine à travers des résistances croisées aux azolés médicaux. À cela s’ajoutent les menaces sur les oiseaux, les moineaux notamment, comme le démontre une étude récente où une exposition chronique au tébuconazole modifiait significativement leur reproduction (5). Mais l’agriculture n’est pas la seule en cause : l’usage domestique de produits chimiques antifongiques inclus notamment dans les peintures « antifouling » ou antisalissure destinées à empêcher les organismes aquatiques de se fixer sur la coque des navires ou sur d’autres objets immergés, comme les hydroliennes- disponibles dans la plupart des magasins de bricolage – mais aussi dans l’industrie du bois et dans l’horticulture participe au phénomène. A. fumigatus est donc un exemple emblématique, avec l’émergence de mutations sous pression de sélection, notamment aux azolés. Mais pas seulement. Une équipe de l’Université de Manchester a démontré que l’exposition d’A. fumigatus aux fongicides agrochimiques tels que l’ipflufénoquin pouvait sélectionner in vitro, avec le même mécanisme d’action, des souches résistantes à l’olorofim, un antifongique clinique utilisé pour traiter les infections fungiques à filaments (3,7).
Or, il existe clairement des menaces potentielles concomitantes pour la santé humaine au travers de la chaîne alimentaire et de la transformation des boues d’épuration et des eaux usées. Pour faire simple, en utilisant A. fumigatus résistant à un ou plusieurs dérivés azolés présent dans la litière de volailles comme aliments pour bovins, ces derniers peuvent contaminer les eaux et donc d’autres espèces animales et végétales qui seront consommées par l’Homme. Parfois les meilleures intentions écologiques s’en mêlent. Ainsi, des données émergentes indiquent que des individus peuvent également contracter des mycoses antifongiques via l’exposition des environnements urbains aux moisissures telles que A. fumigatus, à travers les processus de compostage (à domicile ou à l’échelle industrielle), connus pour amplifier les mécanismes de résistance aux azolés (1,3). Pour la première fois en 2021, la Commission européenne a rendu une évaluation impliquant l’ensemble des cinq agences sanitaires de l’Union européenne et du Centre commun de recherche (JRC). Il s’agissait d’évaluer l’incidence des fongicides non médicaux azolés sur le développement d’Aspergillus spp. résistant aux azolés. Le résumé du rapport révèle ainsi « qu’entre 2010 et 2021, environ 120 000 tonnes de fongicides azolés ont été vendues dans l’UE/EEE (Espace économique européen) à des fins non médicales. Plus de 119 000 tonnes de ces azolés ont été utilisées pour la protection des plantes, avec une moyenne annuelle stable de 10 000 tonnes ».
La dimension politique est au cœur du concept « One Health ». Elle en est aussi le facteur limitant. Ainsi, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a récemment « appelé à réévaluer les autorisations de mise sur le marché (AMM) des fongicides triazolés sur la base de leur impact indirect sur la santé humaine par pression de sélection environnementale ». Il est utile de préciser ici que l’Anses subit une pression croissante, du gouvernement d’une part, qui voudrait reprendre la main et séparer les belligérants (agriculteurs, écologistes, spécialiste de santé publique), et des défenseurs de l’environnement d’autre part, qui demandent un renforcement de son pouvoir (8).
Références
- Botterel F et al. Émergence de la résistance d’Aspegillus spp. aux antifongiques : dynamiques environnementales et implications pour la santé humaine. La lettre de l’infectiologue Tome VI, N°6, Novembre-Décembre 2025 : https://www.edimark.fr/revues/la-lettre-de-linfectiologue
- Banerjee S, Denning DW, Chakrabarti A. One Health aspects & priority roadmap for fungal diseases : A mini-review. Indian J Med Res. 2021 Mar;153(3):311–319.
- Van Rhijn N et al. Aspergillus fumigatus strains that evolve resistance to the agrochemical fungicide ipflufenoquin in vitro are also resistant to olorofim. Nat Microbiol 2024;9(1):29-34.
- Fisher MC, Burnett F, Chandler C, Gow NAR, Gurr S, Hart A, Holmes A, May RC, Quinn J, Soliman T, Talbot NJ, West HM, West JS, White PL, Bromley M, Armstrong-James D. A one health roadmap towards understanding and mitigating emerging Fungal Antimicrobial Resistance: fAMR. NPJ Antimicrob Resist. 2024;2(1):36. doi: 10.1038/s44259-024-00055-2. Epub 2024 Nov 7.
- Shelton, J. M. G. et al. Citizen science surveillance of triazole-resistant Aspergillus fumigatus in United Kingdom residential garden soils. Appl. Environ. Microbiol. 88, e0206121 (2022).
- Bellot P, Brischoux F, Fritsch C, Lièvre L, Ribout C, Angelier F Chronic exposure to tebuconazole impairs offspring growth and survival in farmland birds: An experiment in captive house sparrows. Environ Res. 2025 Jun 15;275:121321. Doi.10.1016/j.envres.2025.121321. Epub 2025 Mar 8.
- https://www.edimark.fr/congres-scientifiques/eccmid/2023/fi/actualites-sur-les-infections-fongiques-copy-copy/content/olorofim-enfin-un-espoir-pour-les-ifi-rares-a-filamenteux-multiresistants
- https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommation-luxe/pesticides-l-evaluation-des-risques-par-l-anses-plus-que-jamais-menacee-1032316.html