4′-Fluorouridine, un antiviral prometteur contre trois fièvres émergentes

Face à la recrudescence des virus Oropouche (OROV), de la fièvre de la Vallée du Rift (RVFV) et du Dabie bandavirus (DBV), une équipe américaine vient de démontrer qu’un analogue nucléosidique, la 4′-fluorouridine (4′-FlU), est capable de stopper ces infections, y compris à un stade avancé, chez la souris. Publiés en octobre 2025 dans mBio (American Society for Microbiology), les travaux menés par Brian Gowen et Jonna Westover (Utah State University), confirment le potentiel de cet antiviral à large spectre, déjà testé contre le Sars-CoV-2 ou le virus de Lassa.

Oropouche, Rift Valley, SFTS : trois menaces en expansion

Les trois pathogènes ciblés par l’étude appartiennent à la grande famille des bunyavirus, des virus à ARN segmenté transmis par des arthropodes.

  • Le virus Oropouche (OROV), identifié pour la première fois en 1955 à Trinité-et-Tobago, provoque une fièvre aiguë souvent bénigne mais parfois associée à des complications neurologiques et fœtales. L’épidémie en cours, qui touche aujourd’hui plus de 11 000 cas à travers l’Amérique latine mais aussi l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et l’Europe (Allemagne, Italie, Espagne), inquiète l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS) et l’OMS.
  • Le virus de la fièvre de la Vallée du Rift (RVFV), transmis par les moustiques, provoque chez les humains des infections oculaires, parfois graves voire mortelles ; il menace aussi les cheptels bovins et ovins. Décrit pour la première fois au Kenya en 1931, il sévit désormais dans la péninsule arabe et au large des côtes d’Afrique de l’Est (aux Comores, à Mayotte et Madagascar).
  • Plus récent (sa première description remonte à 2009 en Chine), le Dabie bandavirus (DBV) a rapidement migré dans le Sud et l’Est de l’Asie, notamment en Corée du Sud, au Japon, à Taïwan, en Thaïlande, au Vietnam et au Myanmar, où des cas d’infections ont été rapportés. Particulièrement redouté, ce virus provoque un syndrome de fièvre sévère avec thrombocytopénie (ou SFTS), dont le létalité hospitalière peut atteindre 30 %.

Aucune vaccination ni traitement spécifique n’existe pour ces infections. D’où l’intérêt d’un antiviral unique, administrable par voie orale, capable d’agir sur plusieurs de ces virus émergents.

4′-Fluorouridine : un analogue nucléosidique stratégique

La 4′-Fluorouridine (ou EIDD-2749) est un analogue de l’uridine, un des quatre constituants de l’ARN. En remplaçant l’atome d’hydrogène du carbone 4′ par un atome de fluor, les chercheurs ont conçu une molécule qui, une fois phosphorylée dans la cellule (sous forme de triphosphate, 4′-FlU-TP), interfère directement avec l’enzyme ARN polymérase dépendante de l’ARN (RdRp) des virus à ARN. Cette interaction bloque la transcription du génome viral ou provoque un arrêt prématuré de la réplication, un mécanisme déjà observé pour la grippe, le RSV ou le SARS-CoV-2.

La cible, la RdRp, présente une conservation structurelle élevée entre virus, mais n’a pas d’équivalent dans la cellule humaine, ce qui limite la toxicité. De plus, cette enzyme possède une forte barrière génétique à la résistance, rendant improbable l’émergence rapide de mutants échappant à la 4′-FlU.

Des résultats spectaculaires in vitro

Les chercheurs ont d’abord évalué l’efficacité antivirale de la 4′-FlU dans des cultures cellulaires infectées par les trois virus, en la comparant à celle de la ribavirine et du favopiravir. Les résultats sont sans appel :

  • Contre Oropouche, la concentration efficace 90 % (EC₉₀) est de l’ordre du nanomoles (7,4 nM), soit plus de 8 000 fois plus puissante que la ribavirine et 2 300 fois plus que le favipiravir ;
  • Contre DBV, l’EC₉₀ est de 0,82 µM, soit une efficacité 16 à 29 fois supérieure à celle des antiviraux de référence ;
  • Contre RVFV, l’activité reste solide à 3,5 µM, reflétant une efficacité 18 à 70 fois supérieure à celle de la ribavirine.

Le rapport sélectivité/toxicité (SI₉₀) dépasse 90 dans tous les cas, un seuil très favorable pour un développement clinique.

Une protection complète chez la souris, même en traitement tardif

Les essais in vivo ont confirmé ces données. Dans trois modèles murins — BALB/c pour RVFV et souris Ifnar-/- (dépourvues d’interféron) pour DBV et OROV —, des administrations orales quotidiennes de 4′-FlU ont protégé les animaux contre une infection autrement létale.

  • Pour RVFV, des doses de 5 à 15 mg/kg administrées deux heures avant l’infection ont permis une survie totale. Même à 1,5 mg/kg, la moitié des souris étaient protégées.
  • Pour DBV, des doses de 1,5 à 15 mg/kg ont également assuré une protection quasi complète, avec une disparition du virus dans le sang et la rate.
  • Pour Oropouche, des doses de seulement 0,3 mg/kg ont suffi à protéger presque tous les animaux.

Mais le plus remarquable reste l’efficacité post-exposition. Chez des animaux déjà malades :

  • Commencer le traitement jusqu’à 3 jours après infection par RVFV a permis une survie de 40 % ;
  • Pour DBV, l’initier à 5 jours post-infection a sauvé plus de la moitié des souris ;
  • Pour Oropouche, 70 % des souris ont survécu même lorsque le traitement a débuté au moment des premiers symptômes.

Un effet antiviral rapide et durable

Les chercheurs ont observé une chute spectaculaire de la virémie et des titres viraux hépatiques et spléniques dès le quatrième jour de traitement. Chez les animaux infectés par DBV, un seul comprimé de 10 mg/kg administré à un stade avancé de la maladie a suffi à éliminer totalement le virus du foie et à réduire de plus de 90 % les charges virales du sang et de la rate.

De même, des schémas espacés (un jour sur deux) sont restés efficaces contre Oropouche, même à la dose minimale de 0,5 mg/kg, soulignant la puissance de la molécule et sa longue demi-vie intracellulaire.

Enfin, un test réalisé sur une souche épidémique récente d’Oropouche (240023), isolée à Cuba en 2024, a montré une sensibilité identique à celle de la souche historique BeAn 19991. Autrement dit, la 4′-FlU conserve son efficacité contre les variants circulants.

Mécanisme, tolérance et perspectives cliniques

La 4′-FlU agit en s’incorporant dans l’ARN viral, entraînant une interruption de la synthèse et une diminution de la charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. en quelques heures. Sa large diffusion tissulaire et sa pénétration modérée dans le cerveau pourraient aussi expliquer son activité dans des infections neurotropes comme RVFV.

Les auteurs signalent toutefois que les doses les plus élevées (15 mg/kg) entraînent parfois une perte de poids transitoire, signe possible de la limite de la tolérance. Néanmoins, aucun effet létal ni atteinte organique n’a été observé, et les animaux ont tous retrouvé un poids normal après l’arrêt du traitement.

Ces résultats placent la 4′-FlU comme un candidat majeur dans la lutte contre les arbovirusArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. émergents. Son administration orale, sa large fenêtre thérapeutique et son activité à large spectre en font une alternative crédible aux antiviraux de type favipiravir, aujourd’hui la seule molécule approuvée (au Japon) contre le SFTS. Les auteurs ajoutent que des diagnostics rapides seront essentiels pour déterminer le traitement le plus efficace pour chaque patient, afin de s’assurer de l’absence de résistance à ce composé – comme c’est le cas des flavivirus.

Une arme potentielle contre les futures épidémies virales

Mais l’intérêt de 4′-FlU dépasse ces trois infections, soulignent les auteurs de l’étude. Ils rappellent que le composé a déjà démontré une activité contre les virus respiratoires (grippe, RSV, Sars-CoV-2) et les fièvres hémorragiques (Lassa, Junín, Heartland, Chikungunya).

Sa barrière de résistance élevée et son spectre d’action multi-familles en font un outil stratégique face aux virus émergents pour lesquels les options thérapeutiques restent quasi inexistantes.

L’étude suggère qu’une courte cure de 1 à 3 doses pourrait suffire pour des infections aiguës, limitant les coûts et les effets secondaires. Avant une application humaine, les auteurs prévoient des essais dans des modèles primates non humains, première étape vers un essai clinique de phase I.

Vers une médecine antivirale universelle ?

Au-delà de cette publication, la 4′-FlU illustre un changement de paradigme : l’émergence d’une classe de molécules antivirales pan-virales. Dans un contexte d’épidémies successives — CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. mpox, dengue, Oropouche — ces découvertes plaident pour un renforcement de la recherche sur les analogues nucléosidiques, afin d’anticiper les prochaines crises infectieuses.

Référence

  • Westover J.B. et al. Effective treatment of advanced Oropouche virus, Rift Valley fever virus, and Dabie bandavirus infections with 4′-fluorouridine. mBio, vol. 16, no 10, octobre 2025. DOI :10.1128/mbio.01467-25