Virus du Nil occidental : un vaccin vivant atténué conçu base par base
Et si la clé d’un vaccin sûr et efficace résidait non pas dans les protéines du virus, mais dans la manière dont son ARN est écrit ? C’est le pari qu’a fait l’équipe de Nguyen Phuong Khanh Le et al. (Université d’État de l’Ohio, Université de la Saskatchewan, et partenaires européens), qui publie en octobre 2025 dans PLOS Pathogens une étude prometteuse sur un vaccin vivant atténué contre le virus du Nil occidental.
Un virus encore sans vaccin
Depuis son apparition en Amérique du Nord en 1999, le virus du Nil occidental est devenu endémique sur l’ensemble des continents. Aux États-Unis, il est désormais le principal arbovirusArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. Responsable d’atteintes du système nerveux central, notamment d’encéphalites, de méningites et de paralysies parfois irréversibles, il représente une sérieuse menace en termes de santé publique. Malgré plus de vingt ans de recherche, aucun vaccin humain n’a été homologué. Les candidats existants – inactivés, à ADN ou recombinants – n’ont jamais déclenché de réponse immunitaire assez robuste, et les vecteurs vivants atténués (comme ChimeriVax basé sur la fièvre jaune 17D) n’ont pas convaincu sur le plan des réponses T cellulaires.
C’est cet obstacle que l’équipe de Nguyen Phuong Khanh Le et al. a voulu contourner, avec une approche entièrement nouvelle de la virologie appliquée.
Objectif : réécrire le virus sans toucher à ses protéines
L’équipe américano-polono-canadienne s’est donné pour mission de concevoir un virus du Nil occidental atténué “à la carte”, en modifiant uniquement la structure de son ARN. L’approche, dite de “recodage par enrichissement en dinucléotides CpG et UpA”, consiste à ajouter dans le génome viral des combinaisons de bases que les cellules reconnaissent comme suspectes. Ces séquences (CpG pour cytosine-phosphate-guanine, et UpA pour uracile-phosphate-adénine) sont naturellement rares dans les génomes viraux car elles déclenchent l’action de la protéine antivirale ZAP, un facteur cellulaire qui détecte et détruit les ARN contenant trop de CpG et, dans une moindre mesure, d’UpA.
À travers leurs travaux, les chercheurs voulaient répondre à quatre questions précises :
- Jusqu’où peut-on enrichir le génome du virus du Nil occidental en CpG et UpA sans lui faire perdre sa capacité de réplication ?
- Cet enrichissement rend-il le virus réellement moins virulent, et ce mécanisme dépend-il bien de ZAP ?
- Ce virus atténué reste-t-il capable de stimuler une réponse immunitaire protectrice, après une seule injection ?
- Enfin, les mutations introduites sont-elles stables et sûres à long terme ?
Ils ont donc recodé différentes régions du génome viral (notamment celles codant les protéines E, NS1 et NS5) pour introduire des CpG ou UpA supplémentaires, sans changer les protéines produites. Cette manipulation permettait de tester la “tolérance” du virus à ces enrichissements. Ils ont ainsi créé dix variants du virus. Puis ils ont comparé la réplication des virus enrichis à celle du virus sauvage dans des cellules normales (ZAP-WT) et dans des cellules dépourvues de la protéine virale ZAP (ZAP-KO), afin de confirmer que l’atténuation dépend bien de cette voie antivirale. Ensuite, ils ont procédé à une injection intrapéritonéale de trois des candidats-vaccins retenus chez des souris immunocompétentes sensibles au virus du Nil occidental afin d’en observer les effets : taux de mortalité, signes neurologiques (neuroinvasion, paralysie), et charge viraleCharge virale La charge virale plasmatique est le nombre de particules virales contenues dans un échantillon de sang ou autre contenant (salive, LCR, sperme..). Pour le VIH, la charge virale est utilisée comme marqueur afin de suivre la progression de la maladie et mesurer l’efficacité des traitements. Le niveau de charge virale, mais plus encore le taux de CD4, participent à la décision de traitement par les antirétroviraux. dans le cerveau et la rate. Enfin, ils ont testé chez les rongeurs la capacité du vaccin à induire des anticorps neutralisants (nAb) et des réponses T (via IFN-γ), la protection après un “challenge” (réinjection d’un virus du Nil occidental sauvage à dose létale), et la stabilité génétique du virus après plusieurs passages en culture et en animaux.
Un virus affaibli, mais toujours “vivant”
Parmi les dix candidats-vaccins conçus par les chercheurs, une souche baptisée E-MAX s’est rapidement imposée. Sa particularité : un enrichissement maximal en CpG et UpA dans la région du génome codant la protéine d’enveloppe (E), essentielle à l’entrée du virus dans les cellules.
Dans les cellules humaines et animales, E-MAX se réplique mal, et uniquement si la protéine ZAP est absente — preuve que son atténuation dépend de ce mécanisme antiviral naturel.
Injectée chez les souris, E-MAX n’a provoqué ni maladie ni décès, mais a déclenché une forte réponse immunitaire. Une seule dose a suffi à protéger totalement les animaux contre une infection létale par le virus sauvage. Les rongeurs présentaient un taux d’anticorps neutralisants élevé et des cellules T sécrétant de l’interféron γ, témoignant d’une immunité solide et durable. Même après 60 jours, le virus n’était plus détectable sous forme infectieuse dans le cerveau ou la rate, et les séquences enrichies en dinucléotides restaient stables, signe d’une atténuation génétique durable. Enfin, aucune réversion vers une forme plus virulente n’a été observée.
Un vaccin qui “éveille” l’immunité innée
Pour comprendre comment ces virus atténués interagissent avec les cellules humaines, les chercheurs ont infecté des cellules de foie humain avec les différents variants et réalisé un profil transcriptomique (RNA-seq). Ils ont observé que l’enrichissement en CpG et UpA fait plus qu’affaiblir le virus, il renforce la reconnaissance du virus par la cellule. En culture de cellules humaines (Huh7), E-MAX induit une surexpression de gènes liés à la voie de l’interféron, sans provoquer la réplication virale massive observée avec la souche sauvage. Autrement dit, E-MAX ne trompe pas le système immunitaire — il le prépare à une réponse antivirale efficace.
Une sécurité renforcée : le mutant E-MAX+FR
Enfin, les chercheurs ont testé l’injection sous-cutanée (au niveau des coussinets plantaires des souris), plus proche d’une potentielle vaccination. À la dose de 10⁷ copies d’ARN, aucune neuroinvasion ni mortalité n’a été observée. À dose dix fois supérieure, un seul cas isolé de neuroinvasion a été détecté, sans mutation des CpG/UpA.
Pour renforcer encore la sécurité, les chercheurs ont donc créé un nouveau variant en introduisant deux mutations d’acides aminés (L107F et K440R dans la protéine E) connues pour réduire la virulence chez d’autres flavivirus. Baptisé E-MAX+FR, ce candidat-vaccin conserve la forte immunogénicitéImmunogénicité Capacité à produire une réponse immunitaire. d’E-MAX tout en supprimant tout signe d’infection cérébrale, même après plusieurs injections.
Limites de l’étude
Les auteurs reconnaissent que les tests ont été réalisés exclusivement chez des souris dont le système immunitaire ne reproduit pas totalement celui de l’humain. Par conséquent, des essais devront être menés dans des modèles plus proches de l’homme — notamment le cheval, suggèrent-ils.
Et si la version E-MAX+FR n’a montré aucun signe de neuroinvasion, même à très haute dose, les auteurs proposent de mener des études neuropathologiques approfondies, notamment pour évaluer le tropisme viral dans différents tissus du système nerveux.
Vers une nouvelle génération de vaccins vivants
Nonobstant ces limites, cette étude montre que l’enrichissement en dinucléotides CpG/UpA et certaines substitutions d’acides aminés dans la protéine E d’une souche agressive du WNV constituent une base prometteuse pour un vaccin. Elle suggère également que l’exploration des interactions entre l’ARN viral modifié et les protéines cellulaires, de même que les recherches visant à savoir si ces interactions au cours de l’infection précoce affectent les réponses immunitaires innées et adaptatives en aval, pourraient améliorer la compréhension et le développement ciblé de nouveaux vaccins.
Les auteurs envisagent déjà d’appliquer cette approche à d’autres membres de la famille des flavivirus : Zika, dengue, encéphalite japonaise. Mais avant toute application clinique, des études sur modèles supérieurs, une évaluation de la transmission vectorielle et une standardisation du degré d’atténuation sont indispensables, insistent-ils.
Référence
- Le N.P.K., Singh P.P., Trus I., Karniychuk U. West Nile virus vaccine candidates attenuated by dinucleotide enrichment are immunogenic and protective against lethal infection. PLOS Pathogens, octobre 2025 — doi.org/10.1371/journal.ppat.1013560