Confrontés à un flux permanent d’informations de santé, il est parfois difficile pour certains de distinguer le vrai du faux, surtout dans des périodes de vulnérabilité comme la grossesse ou la vieillesse. Nutrition, nouvelles technologies, vaccination… tous les domaines sont concernés. La désinformation sur les maladies infectieuses émergentes, orchestrée par la sphère complotiste antivax, est particulièrement préoccupante car elle peut réduire les chances de vie, a souligné Priscille Rivière, responsable du service de presse de l’Inserm.

Éducation à la littératie médiatique : Désinformation, Mésinformation et Malinformation, des concepts entre falsification et intention. Institut supérieur de formation au journalisme (dernier accès : 26/08/2024)
Canal Détox « débunke » les fake news
Dès 2018, l’Inserm s’est mobilisée en créant Canal Detox. Ce site Internet non seulement « débunke » les fausses informations et déconstruit les idées reçues, mais dresse un état des lieux de la science sur une question donnée. Calqué sur le modèle de fact-checking existant dans les médias, Canal Détox propose une centaine de contenus portant sur des sujets variés en réaction à l’actualité ou intemporels, datés et validés par au moins deux experts du domaine. L’outil met à disposition ses sources et propose une liste d’experts à contacter. Il est complété depuis 2021 par la cellule Riposte qui réunit une centaine de chercheurs de l’Inserm et de l’ANRS qui peuvent intervenir dans les médias pour « débunker » de fausses informations. Conçu à l’origine pour les journalistes, il est de plus en plus sollicité par d’autres acteurs (universitaires, étudiants, éditeurs scolaires…), preuve d’une demande de plus en plus forte d’une information scientifique fiable et de qualité, a souligné Priscille Rivière. Une expérience reconnue au plus haut niveau puisque l’Inserm fait partie du comité de pilotage de lutte contre les fausses informations en santé pilotée par le ministère de la Santé. Mission confiée à Dominique Costagliola, Mathieu Molinar et Hervé Maisonneuve sous la forme d’un « benchmark » de toutes les initiatives françaises qui doit rendre ses conclusions et ses propositions d’actions d’ici la fin de l’année. Une campagne de communication sur les fausses informations a été lancée le 3 novembre dans le métro parisien.

Infodémie sur X : quand désinformation et manipulation fragmentent la santé publique
Pourquoi certaines informations scientifiquement exactes échouent à convaincre les citoyens ? Et à l’inverse, pourquoi les fausses informations touchent particulièrement certaines personnes ? Pour répondre à ces questions, Gilles Brachotte, (Université de Bourgogne Europe), a mené deux projets : Cocktail, dont l’objectif est de détecter les signaux faibles sur X, et Belzebot, qui vise à créer le premier outil français capable de détecter des stratégies de manipulation orchestrées par des armées de robots sur X. À partir d’un corpus de plusieurs centaines de millions de tweets, le chercheur a analysé la façon dont la communication en santé a évolué depuis 2012 sur Twitter rachetée en 2022 par Elon Musk pour devenir X. « En 2012, lorsque j’ai commencé à étudier les discours sur Twitter, le petit oiseau bleu était une nouvelle forme d’AFP (Agence France Presse). Tous les acteurs y étaient présents […]. Aujourd’hui, X reste une arène discursive où vont s’exprimer les responsables politiques, les journalistes, les experts, les institutions mais aussi des gens ordinaires et anonymes. L’étudier, c’est l’occasion d’observer et d’analyser un terrain d’expression privilégié sur l’infodémie », a expliqué le chercheur pour justifier le choix de cette plateforme.
Pour ce dernier, « les mécanismes et les algorithmes au cœur de X, qui mettent en avant les contenus les plus engageants, les logiques de recommandations et l’économie de l’émotion [constituent] un vecteur d’amplification de la désinformation et du désordre ».
Dans ce nouvel écosystème informationnel, le chercheur pointe du doigt l’incapacité des systèmes médiatique et social à maintenir un équilibre entre vitesse, vérification et confiance des contenus. En résulte une polarisation accrue des publics qui, à leur tour, alimentent cette désinformation. « La santé se politise, se moralise et la raison scientifique y perd son statut de référence partagée », analyse Gilles Brachotte. La vérité ne suffit plus à convaincre, les témoignages qui font écho à une expérience personnelle ont plus de poids viral. « Grâce à des algorithmes qui privilégient l’émotion par rapport à la véracité, les opinions se confirment dans des « chambres d’écho », le public se fragmente et les mêmes mots n’ont plus du tout le même sens empêchant le dialogue et faisant obstacle à toute politique de prévention sanitaire ». Tout devient débat. La cacophonie qui en résulte nourrit la défiance à l’égard de la parole scientifique. En attestent différents sondages dont celui d’Ifop/Reboot/Fondation Jean-Jaurès d’octobre 2022 qui révélait, par exemple, que 17 % des 18-24 ans considèrent que « la science apporte plus de mal que de bien » et 41 % « autant de bien que de mal », quand 17 % de cette génération Z pensent « qu’il est possible que la terre soit plate ».
En brouillant les frontières entre savoir et illusion, l’intelligence artificielle ne va qu’amplifier cette dérive. Comment riposter ? En faisant de la pédagogie auprès du grand public afin de faire comprendre les mécanismes au cœur des réseaux sociaux et en communiquant bien, conseille le chercheur.
Projet européen Recover
Autre sujet abordé lors de la conférence de presse de l’ANRS, le projet européen Recover. Mené en 2020 dans 7 pays par Léonard Heyerdahl (Institut Pasteur), à partir des données collectées dans environ 2000 messages publiés sur Twitter, ce projet visait, entre autres, à mesurer l’influence de la mésinformation sur le taux d’adhésion de la population à une vaccination contre le CovidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2.
En décembre 2020, moins de la moitié des Français y étaient favorables, mais 40 % des personnes exprimant leur refus se montraient prêtes à revoir leur position après que d’autres l’auraient acceptée ou après avoir constaté l’efficacité vaccinale dans d’autres pays. Les raisons d’une telle hésitation ? La suspicion d’un contrôle démographique, d’un avantage géopolitique, de rentes financières pour Big Pharma ou d’un contrôle social par l’État, « quatre thématiques auxquelles souscrivent la plupart des rumeurs du champ de la santé », a souligné Léonard Heyedahl. « Plusieurs discours supputaient que la vaccination n’était qu’un prétexte pour museler la population ou un entraînement pour que le pouvoir exerce de plus en plus de contrôle sur la population », a-t-il précisé.
L’enquête a également montré une confiance variable envers les différentes sources d’informations : très faible envers les politiques, elle était en revanche très forte envers les soignants et les scientifiques. Avec une nuance toutefois concernant ces derniers puisque les vaccino-septiques citaient volontiers des scientifiques controversés tels que l’ancien président de l’IHU de Marseille, Didier Raoult, condamné en février 2025 à une interdiction d’exercer la médecine pendant deux ans, en raison de ses prises de position en faveur de l’hydroxychloroquine comme traitement du Covid (alors que son inefficacité est prouvée) et pour des essais cliniques non autorisés.
S’il n’est pas possible de mesurer précisément l’impact de X sur la population – les personnes présentes sur ce réseau social n’étant pas représentatives de la population générale – les experts observent néanmoins une chute des pro-vaccinations depuis le rachat de Twitter par Elon Musk, a indiqué Léonard Heyedahl.
Éducation et pédagogie bienveillante
Lors d’une crise sanitaire, la peur modifie considérablement la manière dont les populations interagissent avec l’information. Si la pandémie de Covid a indubitablement permis à la population d’améliorer ses connaissances en matière de dynamique pandémique et de se préparer ainsi à une prochaine crise sanitaire, il faut également s’attendre à ce qu’elle soit plus critique à l’égard des recommandations officielles lorsque cette dernière surviendra, a mis en garde Sylvie Birand, responsable des pandémies à l’OMS. « La recherche d’informations va se faire dans un contexte d’infodémie où les informations fiables côtoient les rumeurs, les opinions, les fausses nouvelles ou les campagnes menées par des charlatans. Un environnement dans lequel distinguer le vrai du faux est très difficile pour des non-spécialistes. Et les algorithmes des réseaux sociaux enferment les utilisateurs dans des bulles informationnelles, les exposant encore plus à des contenus qui renforcent leurs peurs ou leurs croyances, ce qui peut être très dommageable si celles-ci sont déjà erronées. »
Si la désinformation, volontairement trompeuse et malveillante, appelle une riposte juridique, la mésinformation appelle davantage d’éducation et de pédagogie bienveillante, estime la responsable de l’OMS. Elle invite les médias et la communauté scientifique à comprendre les peurs du public, à les reconnaître et à y répondre avec clarté afin d’établir un dialogue basé sur la confiance. « Si l’on traite les gens qui n’ont pas bien compris l’information de complotistes, on risque justement de les précipiter vers les sphères complotistes parce qu’ils vont se sentir incompris et dénigrés dans leurs croyances. Il est donc très important, entre les crises sanitaires, de donner aux populations des outils pour accéder à une information fiable mais aussi leur permettre de comprendre les enjeux sanitaires qui sont liés. Ça implique de renforcer leur littératie en santé, ainsi que leur esprit critique et leur capacité à naviguer dans un environnement complexe. », a-t-elle conclu invitant les autorités sanitaires à « reconstruire le capital confiance qui a été érodé ».
Répondre à la désinformation ou diffuser massivement l’information ?
L’information scientifique devenant un signal faible, il faut en augmenter l’accès, selon Sylvie Briand. Pour cette dernière, « les autorités sanitaires ont clairement intérêt à mettre en œuvre une stratégie pour essayer de comprendre comment on communique sur les sujets de santé au XXIème siècle sur les réseaux sociaux et en dehors ». Elle propose d’élargir le périmètre des intervenants en faisant appel aux professionnels de santé qui ont la confiance de la population, quand Gilles Brachotte se dit favorable à l’utilisation des mêmes techniques que ceux qui font de la désinformation, notamment des bots, pour pouvoir lutter à armes égales.
Référence : conférence de presse de l’ANRS, 30 octobre 2025.