Risque d’émergence du virus Oropouche (OROV) en Guyane et dans les Antilles françaises: du virus et son écologie, à l’évaluation du risque et aux mesures de santé publique à mettre en œuvre

Une analyse des risques coordonnée par Jean-Claude Desenclos, Marie-Claire Paty, Henriette De Valk de Santé publique France livre toutes les informations disponibles sur le virus, son vecteur, sa circulation et son écosystème, ainsi que sur les différentes formes de la maladie. Les auteurs y proposent également une réponse pragmatique à la situation actuelle et des propositions pour améliorer cette réponse dans l’avenir.

L’augmentation de la présence d’OROV, son risque de recomposition par réassortiment pour générer de nouvelles souches virales émergentes, la possibilité d’une extension avec les changements climatique et environnemental, la nécessité de l’identifier, de la mesurer et de la distinguer de la dengue afin d’adapter les réponses de santé publique ont conduit Santé publique France à réaliser une analyse des risques pour les populations de Guyane et des Antilles. Elle a été coordonnée par Jean-Claude Desenclos, Marie-Claire Paty, Henriette De Valk avec les cellules régionales Antilles et Guyane de Santé publique France avec la participation d’entomologistes, virologues, infectiologues et vétérinaires.  

Dans les années récentes, la maladie «Oropouche» a diffusé en Amérique du Sud et a été identifiée en Guyane en 2020 lors de la survenue d’une épidémie à Saül, dans une petite communauté villageoise au cœur de l’Amazonie. Encore peu connue, cette arboviroseArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. est due au virus OROV. Sur le plan clinique, ses manifestations ressemblent à celles de la dengue, qui peut rester asymptomatique ou pauci-symptomatique, mais aussi donner des formes sévères pouvant aller jusqu’au décès. Oropouche peut être transmise en cours de grossesse. Son diagnostic repose sur une RT-PCR à partir d’un prélèvement réalisé pendant les 7 premiers jours de la maladie ou sur une sérologieSérologie Étude des sérums pour déterminer la présence d’anticorps dirigés contre des antigènes. Il n’existe à l’heure actuelle ni traitement spécifique ni vaccin.

Dans un document publié en décembre 2024 et actualisé en juin 2025, les auteurs livrent toutes les informations disponibles sur le virus, son vecteur, sa circulation et son écosystème, ainsi que sur les différentes formes de la maladie. En plus d’améliorer les connaissances jusqu’ici limitées, l’équipe de Santé publique France a évalué les risques en considérant l’écologie du vecteur C. paraensis et la mobilité humaine entre territoires, y compris la possibilité d’introduction de cas ou d’une épidémie locale aux Antilles françaises. Enfin et surtout, les auteurs proposent une réponse pragmatique à la situation actuelle et aux propositions pour améliorer cette réponse dans l’avenir.

On ne peut qu’inviter tous ceux et celles qui s’intéressent aux infections émergences de lire ce texte court (61 pages): Analyse du risque d’émergence du virus OROPOUCHE (OROV) en août 2024 en Guyane et dans les Antilles françaises.

Et pour aller plus loin, on trouvera ci-dessous les réponses de Jean-Claude Desenclos à nos questions supplémentaires. 

La rédaction de Vih.org

Un moucheron de type Culicoides (à gauche), à côté d’un moustique (probablement Ochlerotatus annulipes). Photo prise dans la forêt de Devilla, dans le Fife, en Écosse. Source : Dunpharlain on Wikimedia.

Qu’est-ce que l’infection par le virus Oropouche (OROV) ?

La maladie «Oropouche» est causée par un arbovirusArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. le virus Oropouche ou OROV. L’OROV appartient au genre viral Orthobunyavirus dont l’ARN est segmenté (comme celui du virus de la grippe), ce qui lui permet de se recomposer par réassortiment pour générer de nouvelles souches virales émergentes. L’infection par OROV touche à la fois les animaux et les Hommes : en forêt, au sein d’un cycle selvatique, via la transmission par des arthropodes ; et en milieu périurbain / urbain par transmission interhumaine via des moucherons anthropophiles, principalement Culicoides paraensis (d’autres vecteurs sont discutés, dont Culex quinquefasciatus). Les espèces hôtes et vectrices qui maintiennent le cycle selvatique d’OROV sont encore mal connues.

La maladie chez l’Homme est caractérisée par des symptômes aigus de type grippaux (fièvre, maux de tête, douleurs articulaires et musculaires…) qui guérissent spontanément en quelques jours. Des complications neurologiques (méningite aseptique) peuvent toutefois survenir. Le diagnostic repose sur un test sanguin (RT-PCR sur un prélèvement pendant les 7 premiers jours de la maladie ou par sérologie). En absence de ces tests en pratique clinique, la maladie n’est pas reconnue et ses symptômes ne permettent pas de distinguer l’infection à OROV des autres arbovirosesArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. Par conséquent, son importance est très sous-estimée et les épidémies ne sont pas détectées. Il n’existe pas de traitement ou vaccin spécifique contre l’infection à OROV et le traitement est symptomatique.

Dans une région comme la Guyane où la dengue est très fréquente, quelle est l’importance d’un diagnostic différentiel entre dengue et infection oropouche en termes cliniques et pour les mesures de santé publique ?

Sur un plan purement clinique, l’importance d’avoir un diagnostic différentiel entre une forme habituelle de dengue et l’infection par OROV est relatif dans la mesure où la prise en charge clinique n’est pas spécifique à chaque infection. En revanche, ce qui importe est de pouvoir détecter au plus tôt une transmission d’infection à OROV qui s’installerait sur le territoire pour adapter les mesures de santé publique. Cliniquement, l’infection à OROV est très similaire à la dengue. Les études conduites en Amérique du Sud pour identifier une spécificité clinique de l’infection à OROV n’ont pas mis en évidence de tableau clinique qui permette de distinguer en routine les 2 infections. D’où l’importance de disposer des algorithmes d’utilisation des tests diagnostic. Ainsi face à des syndromes dengue like dont le diagnostic virologique (PCR) serait négatif pour le DENV, la recherche d’une infection à OROV serait indiquée en l’absence de circulation d’un autre arbovirus (CHIKV, ZIKAV…). Pour la première fois lors de la recrudescence épidémique de 2023-2025, des formes sévères avec décès et des cas de transmission materno-fœtale avec malformations congénitales ont été signalés. De même, des syndromes de Guillain-Barré ont été observés à Cuba, et une possible transmission par voie sexuelle et par transfusion sanguine a été mise en évidence. Ces éléments nouveaux soulignent l’importance de disposer d’un diagnostic au cas par cas en cas d’épidémie.  

Les capacités diagnostiques en l’absence de tests industriels sont-elles actuellement suffisantes en Guyane ? Où sont les capacités pour développer des tests industriels ?

Un laboratoire associé au Centre Nationale de Référence des arboviroses est présent à Cayenne. Il a une grande expérience des arboviroses endémo-épidémiques de cette région du monde, de la fièvre jaune, des émergences qui ont eu lieu lors des 20 dernières années (CHIKV, ZIKAV) et des arboviroses présentes en Amérique du Sud. Il a en particulier permis de porter le diagnostic d’infection à OROV lors d’une épidémie qui a eu lieu dans un village reculé de Guyane (épidémie de Saül en 2020). Grâce à des techniques PCRPCR "Polymerase Chain Reaction" en anglais ou réaction en chaîne par polymérase en français. Il s'agit d'une méthode de biologie moléculaire d'amplification d'ADN in vitro (concentration et amplification génique par réaction de polymérisation en chaîne), utilisée dans les tests de dépistage. et sérologiques maison, il a été en mesure de confirmer, caractériser et évaluer l’importance de cette épidémie. La capacité diagnostique et sa mise à disposition des principaux centres hospitaliers (Guyane, Martinique et Guadeloupe) sont donc bien en place, en coordination avec les cliniciens de la Guyane et des Antilles.

Pour le développement de tests industriels, je n’ai pas d’information particulière…  

Le rapport estime le risque de cas sporadiques élevé en Martinique et en Guadeloupe en raison des flux de voyageurs, et le risque d’épidémie élevé en Martinique et modéré en Guadeloupe. Qu’en est-il pour l’Hexagone ? Y-a-t-il un risque que de nouveaux vecteurs compétents apparaissent pour permettre des épidémies autochtones ?

Pour qu’il y ait des chaines de transmission autochtone en métropole il faudrait que des voyageurs infectés introduisent le virus dans une zone où un vecteur compétent est présent en quantité suffisante à proximité du point de retour du voyageur malade et susceptible de transmettre le virus à des résidents « à portée de piqûre » du vecteur. Le vecteur principal de la transmission d’OROV dans le cycle urbain/périurbain est Culicoïdes paraensis (Il existe plus de 1300 espèces de Culicoïdes dans le monde dont plus de 80 en France). La compétence vectorielle des espèces de Culicoïdes en Europe pour OROV n’est pas connue et la présence de C paraensis n’est pas documentée en France métropolitaine. Plusieurs études récentes (une en Italie et une aux Pays Bas), portant sur plusieurs espèces appartenant aux genres Culex et Aedes n’ont pas mis en évidence leur capacité à transmettre OROV. Aux États-Unis, une évaluation de la compétence de C sonorensis, présente aux États-Unis, a montré une bonne capacité vectorielle pour le virus impliqué dans l’épidémie de 2023-2025 en Amérique du Sud. Si le risque pour l’Europe semble limité, l’inventaire des vecteurs pouvant transmettre OROV est une question de recherche opérationnelle. Pour la Réunion, qui a un climat tropical proche de celui des Antilles et de la Guyane, la question de la survenue de cas autochtones d’infections à OROV à la suite de cas humains importés a été soulevée et est en cours d’expertise à l’ANSES.

Plusieurs vecteurs autres que C paraensis font l’objet de discussion, voire de spéculation, notamment des espèces appartenant au genre Culex (C quintafascius) en Amérique du Sud. Les conclusions des travaux sur la compétence vectorielle de ces vecteurs secondaires sont loin d’être unanimes et il semble se dégager un consensus sur le fait que la transmission urbaine/péri urbaine par ces vecteurs dits secondaires est peu probable.

L’analyse du risque Oropouche en Guyane met en exergue l’importance des connaissances « fondamentales » de multiples disciplines à mobiliser, la connaissance du terrain et, in fine, une analyse systémique et qualitative pour évaluer le risque en santé publique. D’autres analyses de ce niveau ont-elles été conduites par le passé par Santé publique France ou une autre agence ou institution en France ? Est-il envisagé de systématiser cette approche pour des risques émergents à venir ?

Une analyse de risque permet d’évaluer précocement les dangers émergents, qu’ils soient d’origine infectieuse, environnementale ou liés à des comportements à risque. En évaluant la probabilité et l’impact de ces risques, les autorités sanitaires peuvent prioriser les actions à mener et mettre en place des mesures préventives ou correctives adaptées. Le risque lié à l’OROV, notamment pour la Guyane, a été considéré depuis 2018. La nécessité de son analyse approfondie a été renforcée en 2020 à la suite de l’épidémie de Saül, mais elle n’a pu être conduite à son terme du fait de l’épidémie de COVID-19Covid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. Il était aussi prévu de conduire la même analyse de risque pour l’infection par le virus Mayaro (une arbovirose présente en Amérique du Sud due à un alphavirus proche du CHIKV avec un cycle selvatique et possiblement urbain lié à des vecteurs anthropophiles du genre Aedes) dont un nombre croissant d’infections avait été détecté en Guyane avant 2020 – avec un épisode plus important en 2020 – par le laboratoire associé au Centre national de référence. Lors de la recrudescence de l’infections à OROV en 2023 et 2024, l’analyse de risque pour OROV a été reprise et actualisée en 2024 au regard des développements de l’épidémie dans les pays de l’Amazone et au-delà. L’analyse de risque initiée pour l’infection par MAYV a aussi été actualisée récemment et est en cours de finalisation.

Dans le même état d’esprit, on peut noter un travail multidisciplinaire et collégial d’Arbo-France (https://arbo-france.fr) conduit en 2024 sur « un scénario de survenue d’une émergence de fièvre jaune en Martinique ». S’il n’existe pas de cycle selvatique du virus de la FJ aux Antilles, contrairement à la Guyane, la présence abondante d’Aedes aegypti (qui est un vecteur compétent pour la transmission du virus de la FJ aux Antilles) rend ce scénario possible en cas d’introduction du virus par un voyageur non vacciné infecté en Guyane ou dans les zones de transmission de la FJ d’Amérique Latine (ou d’Afrique). Cet exercice visait à renforcer la préparation pour faire face à ce risque. Le rapport est disponible sur le site d’Arbo-France.

Quels recherches et dispositifs engager pour prendre un temps d’avance ?

Les risques infectieux transmis par des arthropodes vecteurs sont en forte expansion. Ils reposent sur des systèmes vectoriels divers. Le plus répandu pour les arboviroses humaines rencontrées en France (Dengue, Chikungunya, Zika…) est celui lié au vecteur Aedes aegypti (Antilles, Guyane, la Réunion et Mayotte) et Aedes albopictus pour la métropole. Concernant Oropouche, le système vectoriel selvatique et péri-urbain repose sur un moucheron (Culicoïdes) pour lequel les connaissances et l’expérience en entomologie médicale sont très limitées. La stratégie de prévention et de lutte pour ce système vectoriel n’est pas la même que pour celui reposant sur Aedes. Les quelques experts en France et aussi en Europe en matière de Culicoïdes relèvent du champ de la santé animale du fait des épizootiesEpizootie Épidémie qui frappe les animaux. de Fièvre catarrhale Ovine (FCO), la maladie hémorragique épizootique (MHE) ou l’infection à virus Schmallengerg qui sont transmis par des vecteurs du genre Culicoïdes. Les stratégies de prévention actuelle et en cours de développement pour les infections transmises par Aedes (les plus fréquentes au niveau mondial) ne sont pas applicables à celles transmises par les Culicoïdes qui sont des moucherons qui mesurent quelques millimètres, dont l’écologie diffère et que l’on sait mal évaluer sur le terrain, dont les larves sont si petites que l’on ne sait ni les détecter ni les élever en laboratoire contrairement à celles des moustiques tels ceux du genre Aedes. C’est donc dire l’importance de la recherche sur les différents compartiments (réservoir, hôte, malade, vecteur, virus), leur interaction et les facteurs intervenant sur la dynamique et l’évolution de ces infections, comme l’évolution climatique, l’altération de l’environnement et de la biodiversité, la mobilité humaine, la démographie… jouent un rôle majeur pour l’expansion du risque dans le monde. L’importance de disposer d’une expertise de terrain sur les moucherons du genre Culicoïdes est tout aussi essentielle pour la gestion du risque et la prévention, en particulier une capacité à détecter ce vecteur (système de capture, caractérisation…) et à en faire l’inventaire de manière systématisée dans les zones exposées au risque d’introduction du virus par la mobilité humaine.