Les dilemmes de la réponse au chikungunya à La Réunion (suite)

Notre article concernant la situation de la vaccination contre le Chikungunya par la docteure Emilie Mosnier, PH à la Réunion, a rencontré un certain succès et suscité quelques réactions.

Il y était démontré combien l’épisode du chikungunya de 2025 à la Réunion illustre la brutalité et la rapidité d’une épidémie, imprévisible par essence, qui compliquent la mise en place d’une réponse vaccinale efficace et rapide. L’arrivée d’un vaccin en pleine vague, voire trop tardivement comme ce fut le cas, ne garantit pas un impact significatif si elle n’est pas anticipée et intégrée à une stratégie globale. L’article replaçait au centre l’importance de la réactivité en matière de mise en place des recommandations vaccinales en cas d’épidémie, de cohérence des recommandations nationales et internationales et d’information des populations sur la balance bénéfice/risque.

Rappelons les faits : au cours de l’épidémie actuelle, le taux d’attaque a été estimé à 43,35% avec plusieurs dizaines de décès attribués au chikungunya, principalement chez les personnes âgées et les nouveau-nés. Fin avril 2025, trois semaines après le lancement de la campagne vaccinale par le vaccin IXCHIQ® de Valneva, un signal de sécurité a été identifié chez les personnes âgées, incluant plusieurs événements indésirables graves et un décès1Mosnier et al. OFID 2025. Cette alerte a conduit à la suspension rapide de la vaccination pour les personnes de 65 ans et plus. Qui reste recommandée pourtant par l’Agence européenne des médicaments (EMA)… Et alors même qu’un autre vaccin le VIMKUNYA®, vaccin protéique de type VLP (vaccin protéique recombinant à base de pseudo-particules virales ) développé par Bavarian Nordic a reçu son AMMAMM Autorisation de Mise sur le Marché. Procédure administrative qui autorise un laboratoire pharmaceutique à commercialiser une molécule. européenne.

Nous avons reçu du Professeur Xavier Deparis, directeur de la veille et sécurité sanitaire à l’ARS de la Réunion, ce commentaire appelant de ses vœux à un RETEX2Un RETEX est un retour d’expérience, sous le forme d’une une analyse rétrospective d’une situation. :

« Je découvre l’article paru sur le site Vih.org à propos de la campagne vaccinale contre le chikungunya à La Réunion. L’article pourrait laisser penser qu’à l’ARS La Réunion, nous aurions pu ou que nous aurions dû aller plus vite dans la campagne vaccinale : pas si simple malheureusement.

Tout d’abord, il ne faut pas oublier que le vaccin Ixchiq® de VALNEVA avait obtenu l’AMM de l’agence européenne du médicament en juin 2024, sous condition de poursuite d’études complémentaires d’efficacité et d’innocuité. L’ARS a informé la DGS de l’intérêt d’une campagne vaccinale sans attendre décembre 2024. Avoir l’autorisation de disposer des vaccins avant fin janvier 2025 aurait peut-être permis de casser la dynamique de l’épidémie. La DGS a sollicité la HAS fin décembre 2024, quatre mois après les premiers cas de chikungunya. La HAS a rendu son avis suivant une procédure de saisine en urgence début mars 2025 : trop tard pour impacter la dynamique de l’épidémie.

Enfin, mettre en œuvre la campagne vaccinale en moins d’un mois, entre mi-mars et début avril a été une grande performance technique, logistique et administrative. Un RETEX effectué par un comité indépendant permettrait d’analyser le déroulement et la mise en œuvre de cette campagne vaccinale. Ce RETEX serait riche d’enseignements pour le futur. Il permettrait de tirer toutes les leçons positives et négatives de cet épisode. »

Et ce commentaire de Nicolas Arvis, directeur général délégué Valneva France :

 « Nous avons lu avec grand intérêt l’article paru le 3 septembre 2025 «Vacciner vite, vacciner bien? Les dilemmes de la réponse au chikungunya à La Réunion». Notre laboratoire a été fortement engagé dans la réponse à la crise sanitaire survenue en 2024-25 à la Réunion via la fourniture de vaccins, en collaboration étroite avec les autorités sanitaires et les professionnels de santé sur l’île de la Réunion. Dans ce contexte, nous souhaitons apporter quelques compléments et retours du point de vue industriel.

L’article met en avant les différents facteurs expliquant le lancement tardif de la vaccination, dont l’impact collectif aurait pu éviter que la transmission s’emballe. La production de vaccins notamment du vaccin contre le chikungunya a un temps de cycle long, au minimum 6 à 9 mois pour produire le vrac (principe actif) et 3 mois pour la mise sous forme et la disponibilité.

Notre laboratoire a collaboré dès l’apparition des premiers cas sur l’île de la Réunion avec les autorités sanitaires pour identifier les stocks mobilisables et a proposé un plan d’acheminement de stocks de vaccins IXCHIQ® avec des livraisons réalisables dès le mois de novembre et une capacité graduelle pour fournir au-delà de la centaine de milliers de doses fin 2024. Afin de mener à son terme cette opération, un positionnement de la Haute Autorité de Santé était fixé comme une condition préalable, position qui a été publiée le 5 mars 2025, donc à un moment où la circulation était déjà généralisée et l’épidémie déclarée. Une fois la position HAS publiée, le temps d’implémentation & d’acheminement a été réalisé dans un temps record, grâce au support des différentes autorités qui ont rendu possible l’arrivée du vaccin sur l’île tout début avril.

Nous souscrivons à la conclusion de l’article, à savoir la nécessité de la préparation en amont, et donc de disposer de stocks prépositionnés de vaccins pour les territoires identifiés comme à risque. Nous identifions également la nécessité de formuler une stratégie vaccinale réactive et un protocole opérationnel pour l’utilisation du vaccin dès l’identification d’une circulation accrue du virus (démarrage d’un cluster). Ce positionnement préalable des autorités est requis pour intervenir rapidement dans un contexte de flambée épidémique.

La mobilisation citoyenne et l’association des communautés dans la politique vaccinale sont également nécessaires. Ces éléments avaient été formulés par un groupe d’experts dans un livre blanc rédigé avant la crise de 2024-2025 et disponible sur ce lien

Enfin sur le sujet de la sécurité du médicament, l’expérience à la Réunion nous enseigne que la communication auprès des prescripteurs est un enjeu de taille, afin que les médecins, pharmaciens, infirmières soient parfaitement au fait des contrindications du vaccin et des effets indésirables attendus. Ces informations ont fait l’objet de relais d’information de la part de l’ARS et du laboratoire sur le résumé caractéristique produit du vaccin. »

A suivre donc.