En 2024-2025, La Réunion a connu une flambée de chikungunya d’ampleur inédite depuis celle de 2005-2006, qui avait alors touché 38 % de la population1 2. Cette nouvelle épidémie, caractérisée comme souvent avec le chikungunya par une évolution brutale, rapide et un taux d’attaque très élevé a atteint environ 40 % des habitants, provoquant des dizaines de décès, principalement chez les personnes âgées et les nouveau-nés. Chez l’adulte, l’infection au chikungunya entraîne également des complications chroniques invalidantes dans près d’un tiers des cas.

Face à cette situation, la Haute Autorité de Santé (HAS) a recommandé, fin février, l’utilisation rapide d’IXCHIQ®, vaccin vivant atténué administré en dose unique, malgré l’absence de données en vie réelle3. Cette décision s’appuyait sur les résultats favorables d’essais de phase 3 menés sur plusieurs milliers de participants, et sur la nécessité de réduire au plus vite la morbi-mortalité associée à l’épidémie4.
L’importance du timing… et de la préparation
Un vaccin nécessite plusieurs semaines pour induire une protection, et son impact collectif dépend de la couverture atteinte avant que la transmission ne s’emballe. À La Réunion, la campagne vaccinale a débuté le 7 Avril 2025 alors que l’île était au pic épidémique, réduisant mécaniquement toute chance d’influer sur la dynamique virale.
Ce lancement tardif s’explique par plusieurs facteurs : IXCHIQ® venait tout juste d’obtenir son feu vert réglementaire, les stocks devaient encore être identifiés et acheminés, et les protocoles ainsi que les autorisations de vaccination mis en place. Dans ce contexte d’urgence, l’objectif n’était plus de freiner la transmission, mais de réduire la morbidité et l’impact des formes sévères chez les personnes les plus vulnérables et notamment les personnes âgées (voir notre encadré ci-dessous). Les hôpitaux fonctionnaient alors en « plan blanc », et le plan ORSEC sanitaire avait été déclenché depuis janvier afin de mobiliser tous les moyens disponibles5.
À ces contraintes s’ajoutait une communication perçue par certains comme tardive, renforçant l’impression d’une campagne improvisée, voire opportuniste. Or, pour qu’une telle stratégie fonctionne, il faut anticiper : disposer de stocks prépositionnés, de protocoles opérationnels validés en amont, et impliquer les relais communautaires dès les premiers signaux d’alerte.
Associer les populations pour mieux protéger
L’acceptabilité vaccinale à La Réunion est historiquement plus faible qu’en métropole, un écart accentué par la polarisation des débats autour du covidCovid-19 Une maladie à coronavirus, parfois désignée covid (d'après l'acronyme anglais de coronavirus disease) est une maladie causée par un coronavirus (CoV). L'expression peut faire référence aux maladies suivantes : le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) causé par le virus SARS-CoV, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) causé par le virus MERS-CoV, la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) causée par le virus SARS-CoV-2. 6 7. Cette épidémie nous montre combien l’adhésion peut évoluer rapidement : faible avant l’épidémie, le risque de tomber malade étant non perçu ; plus forte au début, portée par l’inconscient collectif lié au traumatisme de 2005-2006 où le risque était perçu comme grave ; puis en recul au pic, lorsque ce risque a été relativisé (“tout le monde l’a déjà eu”).
Un tournant majeur est survenu fin avril, avec l’apparition d’événements indésirables graves chez des personnes âgées (8). Malgré une alerte rapide et la suspension immédiate de la vaccination des plus de 65 ans par la DGS, la HAS et l’ANSM, la confiance a été fragilisée8 9.
Les réseaux sociaux et les groupes antivaccin, ont amplifié ces craintes, insistant sur l’absence de recul, l’impression de servir de «cobayes» et le manque de données en vie réelle. Dans un contexte où 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté et où un Réunionnais sur dix présente des difficultés de littératie en santé, la question de l’information est centrale. Les experts ont investi les ondes de Radio Freedom (radio en créole la plus écoutée à la Réunion) pour informer, mais délivrer un message clair, précis et cohérent est un exercice complexe lorsque la situation évolue rapidement et que la gestion d’événements indésirables graves alimente l’hésitation vaccinale.
Associer les populations n’est pas seulement un impératif éthique: c’est une condition opérationnelle pour atteindre une couverture suffisante, surtout dans un contexte insulaire où la dynamique sociale et la mémoire collective de la maladie jouent un rôle déterminant.
Penser global, mesurer local
L’expérience réunionnaise met aussi en lumière l’importance de documenter et d’évaluer toute vaccination déployée en contexte épidémique. La collecte de données sur l’efficacité réelle, la sécurité, l’acceptabilité et l’impact sur la transmission est essentielle non seulement pour guider les réponses futures sur l’île, mais aussi pour enrichir la réflexion internationale.
En 2025, le chikungunya circule actuellement en métropole, et la majorité des cas importés proviennent de La Réunion10. L’épidémie réunionnaise a également entraîné un effet domino avec la survenue d’épidémies à Mayotte et à l’île Maurice. Cet enchaînement illustre combien les départements et régions d’outre-mer sont étroitement connectés à la métropole, et comment les dynamiques épidémiques locales peuvent avoir un impact direct sur la santé publique nationale et régionale.
La politique vaccinale contre le chikungunya ne peut donc pas être pensée isolément : elle doit s’inscrire dans un cadre plus large de préparation aux arbovirosesArbovirose Les arboviroses sont des maladies virales dues à des arbovirus transmis obligatoirement par un vecteur arthropode (moustique, moucheron piqueur, tique) à des hôtes vertébrés (mammifères, oiseaux), d’où leur nom adapté de l’anglais : ARthropod-BOrne virus. incluant une coordination régionale avec les zones sources d’importation (Madagascar, Comores, Asie du Sud-Est) et une intégration avec les autres stratégies de lutte (vectorielle, surveillance, communication). C’est à cette condition que l’on pourra transformer des vaccins prometteurs en un outil réellement efficace de santé publique.
Conclusion
L’épisode du chikungunya de 2025 à La Réunion illustre combien la brutalité et la rapidité d’une épidémie compliquent la mise en place d’une réponse vaccinale efficace. L’arrivée d’un vaccin en pleine vague ne garantit pas un impact significatif si elle n’est pas anticipée et intégrée à une stratégie globale. Le succès d’une telle intervention repose sur trois piliers : un timing optimal, une préparation logistique et communautaire en amont, et une évaluation rigoureuse en vie réelle. Au-delà de l’efficacité, la sécurité d’un vaccin est un enjeu central, d’autant plus qu’il s’agit d’un traitement préventif destiné à des personnes en bonne santé, et non d’un traitement curatif administré à des malades. Les exigences de tolérance doivent donc être particulièrement élevées, et la pharmacovigilance active intégrée dès le lancement.
Au-delà de l’île, cette expérience doit nourrir la réflexion internationale sur la place des vaccins contre les arboviroses dans les réponses d’urgence. Car un vaccin n’est pas seulement une solution biomédicale : c’est un outil social et politique, qui ne fonctionne que s’il est compris, accepté et porté collectivement.
Chiffres-clés d’une épidémie massive
La Réunion compte environ 870 000 habitants (INSEE, 2025). L’épidémie de 2005-2006 avait touché 38 % de la population selon les enquêtes sérologiques post-crise. Avant la flambée de 2024-2025, la séroprévalence résiduelle n’était que de 17 % (données ArboFrance-EFS, non publiées), laissant la majorité des habitants susceptibles d’être infectés. Au cours de l’épidémie actuelle, le taux d’attaque a été estimé à 43,35 % (données Mosnier et al., non publiées, sondage pondéré CHU Réunion-IPSOS juillet 2025), avec plusieurs dizaines de décès attribués au chikungunya, principalement chez les personnes âgées et les nouveau-nés. Fin avril 2025, trois semaines après le lancement de la campagne vaccinale, un signal de sécurité a été identifié chez les personnes âgées, incluant plusieurs événements indésirables graves et un décès (Mosnier et al. OFID 2025). Cette alerte a conduit à la suspension rapide de la vaccination pour les personnes de 65 ans et plus
Références
- Santé Publique France. Surveillance sanitaire à La Réunion. Bulletin du 8 août 2025. 8 août 2025 ; ↩︎
- Economopoulou A, Dominguez M, Helynck B, Sissoko D, Wichmann O, Quenel P, et al. Atypical Chikungunya virus infections: clinical manifestations, mortality and risk factors for severe disease during the 2005-2006 outbreak on Réunion. Epidemiol Infect. avr 2009;137(4):534‑41. ↩︎
- HAS. Épidémie de chikungunya : utilisation du vaccin IXCHIQ à La Réunion et à Mayotte [Internet]. 2025. Disponible sur : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3593981/fr/epidemie-de-chikungunya-utilisation-du-vaccin-ixchiq-a-la-reunion-et-a-mayotte ↩︎
- McMahon R, Fuchs U, Schneider M, Hadl S, Hochreiter R, Bitzer A, et al. A randomized, double-blinded Phase 3 study to demonstrate lot-to-lot consistency and to confirm immunogenicity and safety of the live-attenuated chikungunya virus vaccine candidate VLA1553 in healthy adults†. J Travel Med. 1 mars 2024;31(2):taad156. ↩︎
- Préfet de la Réunion. Chikungunya : en raison de l’accélération de la diffusion de l’épidémie, le préfet déclenche le niveau 3 du plan ORSEC à La Réunion. 22 janv 2025; Disponible sur: https://www.reunion.gouv.fr/Actualites/Communiques-de-presse/Chikungunya-le-prefet-declenche-le-niveau-3-du-plan-ORSEC-a-La-Reunion ↩︎
- Tran PL, Leruste S, Sitthisone J, Humbert M, Gilhard X, Lazaro G, et al. Understanding barriers and motivations to papillomavirus vaccination in a middle school in Reunion Island. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol. juin 2023;285:17‑23. ↩︎
- Santé Publique France. Vaccination à La Réunion. Bilan de la couverture vaccinale en 2023. 22 avr 2024; Disponible sur: https://www.santepubliquefrance.fr/regions/ocean-indien/documents/bulletin-regional/2024/vaccination-a-la-reunion.-bilan-de-la-couverture-vaccinale-en-2023 ↩︎
- ANSM. Chikungunya : nous publions les premiers résultats de l’enquête sur les effets indésirables du vaccin Ixchiq [Internet]. 2025. Disponible sur: https://ansm.sante.fr/actualites/chikungunya-nous-publions-les-premiers-resultats-de-lenquete-sur-les-effets-indesirables-du-vaccin-ixchiq ↩︎
- DGOS. Les autorités sanitaires retirent les personnes de 65 ans et plus des cibles de la campagne de vaccination contre le chikungunya avec le vaccin IXCHIQ à La Réunion et à Mayotte. 2025. ↩︎
- Santé Publique France. Chikungunya, dengue et zika en France hexagonale. Bulletin de la surveillance renforcée du 6 août 2025. 5 août 2025; ↩︎
Le rapport bénéfices-risques du vaccin IXCHIQ®
Ce point des recommandations HAS a été discuté et même critiqué par certains experts, notamment lors des dernières Journées Nationales d’Infectiologie et sur Vih.org en raison de la constitution du vaccin IXCHIQ®.
On sait en effet que la réactivation de ce vaccin vivant atténué est empêchée par la délétion mais l’atténuation du virus vaccinal n’est pas optimale. L’un des patients âgés décédé à la Réunion dans un tableau neurologique (encéphalite) aurait eu du virus vaccinal dans le LCR. Les mécanismes en cause dans la génération de ces événement indésirables graves (EIG) serait plutôt la présence d’anticorps anti-Interféron (lire sur ce point l’article de Jean-Daniel Lelievre). L’IXCHIQ® fabriqué par le laboratoire Valneva, pourrait avoir une fréquence des EIG chez les personnes âgées plus importante du fait de l’immunosénescence.
D’après l’analyse rendue par le Centre régional de pharmacovigilance de Bordeaux (CRPV), en charge de la pharmacovigilance dans les Outre-mer en lien avec l’ANSM pour ces trois événements indésirables graves, «le lien de causalité avec le vaccin semble très vraisemblable considérant les symptômes et leur délai d’apparition après la vaccination, ainsi que le résultat des examens biologiques», comme le précise le communiqué de presse du ministère.
Plus surprenant encore en termes de transparence et de réactivité des autorités sanitaires, il règne un flou peu artistique autour de la place actuelle en septembre 2025 de la vaccination contre le chikungunya: la mortalité est certes faible mais pas nulle, et le fardeau (CHIK long) est important. Le tout dans un double contexte de vaccinosepticisme post-covid et propre aux départements ultramarins (voir ci-dessus). La vaccination par IXCHIQ® est toujours ouverte pour les personnes âgées de 18-64 ans et présentant des comorbidités, mais elle est en réalité peu prescrite suite aux limites d’indications à la Réunion post-EIG.
D’autant que Valneva a annoncé le 25 Août dernier que l’agence de santé américaine, la Food and Drug Administration (FDA), avait suspendu la licence d’IXCHIQ®, en raison de quatre nouveaux cas d’EIG s’apparentant à la maladie provoquée par le chikungunya. Cette suspension est entrée en vigueur immédiatement aux États-Unis. Sur le site de l’ECDC en date du 25 juillet 2025, on lit que l’Agence européenne des médicaments (EMA), a contrario, «a levé la restriction temporaire sur la vaccination des personnes âgées de 65 ans et plus avec le vaccin IXCHIQ®. La vaccination restant ouverte à La Réunion uniquement pour les personnes âgées de 18 à 64 ans présentant des comorbidités et les professionnels de la lutte antivectorielle ». Le Rapport de l’EMA précise au passage que «pour les personnes de tous âges, le vaccin ne doit être administré qu’en cas de risque significatif d’infection par le virus chikungunya et après une évaluation minutieuse des bénéfices et des risques. IXCHIQ® a été autorisé dans l’Union européenne en juin 2024. Au début de l’examen, environ 36 000 doses du vaccin avaient été utilisées dans le monde (…) les données de sécurité montrent des effets indésirables graves liés au vaccin ont été signalés principalement chez les personnes âgées de 65 ans et plus et chez celles présentant plusieurs pathologies sous-jacentes (…) Bon nombre des effets indésirables graves signalés sont similaires aux symptômes de l’infection par le virus chikungunya et comprennent de la fièvre, des malaises, une perte d’appétit et une confusion pouvant entraîner des chutes. Les symptômes de type chikungunya sont généralement bénins, mais certains adultes (environ 2 personnes sur 100) peuvent développer des symptômes plus graves.» La question centrale est donc bien celle de l’évaluation bénéfice-risques. On sait qu’au début d’une épidémie, il faut vacciner largement et précocement (cf. ci-dessus), en vaccinant les sujets à risques même avec un vaccin «non optimal» si le risque d’EIG après vaccination est évalué comme inférieur à celui après infection.
Par ailleurs, il est important de noter l’existence d’un nouveau vaccin contre le chikungunya, VIMKUNYA®, vaccin protéique de type VLP (vaccin protéique recombinant à base de pseudo-particules virales dont ne posant pas les problèmes des vaccins atténués et limitant les contre-indications). Les vaccins VLP sont bien supportés chez les sujets âgés. La problématique est bien liée au fait qu’il s’agissait jusque-là d’un vaccin vivant atténué non qu’il s’agît d’un vaccin contre le Chikungunya. Développé par Bavarian Nordic®, il a reçu une AMM européenne en février 2025 et est aujourd’hui disponible en France. Actuellement non remboursé et non agréé collectivités, il est en attente d’un éventuel taux de remboursement. La Haute Autorité de santé (HAS) n’a en effet pas encore défini la place de VIMKUNYA® dans la stratégie vaccinale, et la stratégie de vaccination contre le chikungunya n’est pas décrite dans le calendrier vaccinal 2025. Par contre selon le site vaccination-info-service.fr du Ministère ce vaccin «peut être utilisé pour les voyageurs de moins de 65 ans avec comorbidités se rendant dans les zones où circule le Chikungunya et peut être envisagé chez les personnes de moins de 65 ans sans comorbidités et chez les personnes de plus de 65 ans voyageant dans ces zones».
On manque sans doute de données scientifiques en termes de bénéfices/risques, a fortiori dans les populations les plus vulnérables comme les plus de 65 ans et les immunodéprimés, et il est probablement nécessaire d’obtenir davantage de données en vie réelle d’un vaccin comme VIMKUNYA®, ce qui suppose qu’il soit aisément accessible et aussi que l’on dispose d’essais ou de cohortes de vaccinés, en particulier indépendants des laboratoires.
Difficile, au final, pour les populations massivement exposées comme à la Réunion et à Mayotte de s’y retrouver, et pour les institutions, professionnels de santé et médias de tenir un discours qui tienne compte à la fois du bénéfice populationnel et du bénéfice-risque individuel dans le contexte anti-vax ou de scepticisme que l’on connait. À l’évidence, ce flou institutionnel, malgré une multitude de comités d’experts (SPILF, HAS, Commission technique des vaccinations (CTV), Haut Conseil de Santé publique…), ne sert pas la prévention contre le Chikungunya. Il est à prévoir des épidémies de douleurs articulaires chroniques (CHIK long) et l’accroissement de la défiance vaccinale.
Gilles Pialoux et France Lert